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« De toutes façons, elle peut crever. Elles peuvent toutes crever. Comme l’autre, tiens, c’est bien toi qui as raison, Forlane.

− Putain, Darius, tes conneries, on n’en a rien à foutre, là. Et arrête de m’appeler comme ça.

− Si, mon pote, si. Fais pas le modeste, c’est toi qu’as eu raison. T’as eu foutrement raison, même. Tu veux que j’te dise, y a rien d’autre à faire, on est foutu sinon. Tu veux qu’on fasse quoi d’autre ? Qu’on encaisse sans rien dire ? Qu’on perde le peu qu’y nous reste ? Pourquoi qu’ça tombe sur nous. Ça fait cinq-mille ans qu’on vit tranquillement, qu’ça tourne plutôt bien comme ça, et il faut que tout c’merdier nous tombe sur le crâne, qu’ça tombe sur nous, ça pouvait pas attendre une génération de plus ! Même la mienne, de bonne-femme, si elle s’pointait, là, qu’elle passait la porte du bar, là-bas derrière toi, je crois qu’je l’égorgerais. Même celle là-haut, dans la chambre, tu crois quoi ? Putain, quand tu vois c’qu’elle sait faire à son âge, on n’a pas idée. Elles ont toutes perdu la tête, ma parole. Elles sont siphonnées.

− Tu délires, Darius, répondit Irvine.

− J’te l’dis comme je le pense.

− Tu irais crever ta femme ? Crever Elena ? Tu ne parles pas sérieusement.

− Absolument. Bien sûr que si, j’suis sérieux. Un autre verre, s’il te plait. Et sers-moi bien, cette fois. Parce que le précédent, il avait vraiment l’air con. C’est pas un dé à coudre, hein. »

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Ainsi le temps avait passé, et passa encore le temps et nous avec. A toute allure, que ça avait passé, les années nous les avions bouffées une à une. C’étaient des éclats de rire quotidiens, des lego que je construisais sous tes yeux, des embouteillages de petites voitures que nous alignions dans le couloir. J’étais Papa-Pâtes, tu disais. Papa-Cinéma, Papa-Rigolo, Papa Jamais Casse-couilles. Je t’emmerdais pas, ne t’engueulais pas, ne te filais aucune torgnole, pas même lorsque tu répétais « Crotte de cul » à longueur de journée. Je t’apprenais la vie, celle de la rue, celle des embrouilles, celle des promesses. Pas celle de l’école, non. Les trucs essentiels, les trucs immuables. Savoir que ceux qui poussent le volume de leur autoradio à fond écoutent systématiquement de la musique de merde. Que les livreurs, à qui tu stipules d’appeler avant de passer, te téléphonent toujours quand ils sont devant ta porte. Que lorsqu’une femme trompe son mari, c’est toujours dans le lit conjugal. Ou que c’est tout comme. La vie, pour nous, c’était une poursuite à coup de bombes de chantilly jusqu’à saccager le papier peint du salon ; une bataille rangée avec tes copains venus diner, clôturée par des morceaux de betteraves ou d’asperges balancés plein les gueule et plein les murs ; des feux d’artifice allumés à la fenêtre de ta chambre tandis que les petites vieilles du quartier s’arrêtaient pour observer notre baraque illuminée ; ta tête posée sur mes genoux quand je te faisais découvrir The Champ ou Raging Bull à la télévision… Tout ça, Oh ! C’était pas si mal, dis. Ne m’étais-je finalement pas trop mal débrouillé ?

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