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Vous êtes la personnification vivante de la fourberie narcissique l'outrecuidance de vos perpétrations dépasse le terminus du légitimement licite j'abhorre et de déprécie votre lubricité présomptueuse votre rouerie n'a consisté qu'à l'hypnotiser par votre méticulosité et votre dilettantisme vous n'êtes qu'un marasme syphilitique, leucodermique, fébrile, apyrétique et fistulaire
Afficher en entier« Hé ! Duggie ! Duggie ! » Il arrivait vers moi en courant, un cierge magique à la main. J’avais bien envie de lui en coller une, à ce petit con. Personne ne m’appelait Duggie. Il me planta le cierge magique sous menez en disant :
« Attends. Attends. »
J’attendais déjà. Je n’avais pas le choix.
« Voilà, dit-il. Regarde ! C’est quoi, ça? »
À ce moment précise cierge s’éteignit dans un ultime crépitement. Je ne disais rien, alors il fournit lui même la réponse : « La mort du rêve socialiste. »
Il se mit à ricaner comme un fou furieux miniature, me dévisageant pendant quelques secondes avant de décamper, et en cet instant je lus dans son regard la même chose que dans celui de Stubbs la veille. Le même triomphalisme, la même excitation, non parce que quelque chose de neuf se créait, mais parce que quelque chose était détruit. Je repensais à Philip et à sa pathétique symphonie de rock, et je jure que j'en eus les larmes aux yeux. Sa risible ambition de contenir des millénaires d'histoire en une demi-heure de riffs minables et de changements d'accord ne me paraissait soudain guère plus utopique et donquichottesque que toutes ces choses pour lesquelles mon père et ses collègues avaient oeuvré si longtemps. Une couverture médicale gratuite à l'échelle nationale offerte à quiconque en aurait besoin. La redistribution des richesses par l'imposition. L'égalité des chances. De belles idées, papa, de nobles aspirations, de même qu'il y avait de la beauté en germe dans le salmigondis musical de Philip. Mais ça n'aboutirait jamais. Il y avait peut-être eu une époque où ça aurait pu aboutir, mas c'était trop tard. Le moment était passé. Adieu à tout ça.
Afficher en entierLorsqu'il revint, il était 20 h 16, et Lois fredonnait au son du juke-box.
"J'adore ce disque, dit-elle. C'est ma chanson préférée. pas toi ?
C'était une reprise de "I Get A Kick Out Of You" par Gary Shearston. Elle était au hit-parade depuis des lustres. Lois ferma les yeux et entonna les paroles.
I got no kick from champagne
Mere alcohol doesn't thrill me at all
C'est pas le champagne qui me fait de l'effet
Tous les alcools me laissent froid
Malcolm posa son verre et reprit à son tour la chanson
So tell me why should it be true
That I get a kick out of you ?
Alors, je t'en prie, dis-moi pourquoi
Ce qui me fait de l'effet, c'est toi.
Lois fut surprise de l'entendre chanter. C'était la première fois. Elle éclata de rire
" Je ne savais pas que tu aimais ce genre de chansons, dit-elle.
- Rien ne vaut les vieilles chansons." Il se pencha vers elle, une flamme dans le regard. "Hé ! voilà ce qu'on devrait prendre ce soir.
- Quoi ? De la cocaïne ?" demanda Lois, car on en était au couplet suivant.
"Mais non, grosse bête ! Du champagne ! On va s'offrir une bouteille.
- C'est pas trop cher pour toi ?
- Penses-tu ! C'est un grand jour." Et puis, se lançant enfin, il ajouta : "Plus grand que tu ne crois."
Le coeur de Lois s'emballa. "Qu'est-ce que ça veut dire ?"
Malcom effleura l'écrin de cuir dans la poche de sa veste. Il n'avait pas prévu de faire sa demande si tôt, mais impossible d'attendre plus longtemps.
"Ecoute, mon amour, tu sais ce que je ressens pour toi, pas vrai ?"
Lois ne répondit ps. Elle se contenta de le regarder les yeux embués.
"Je t'aime, dit Malcom. Passionnément." Il prit sa respiration, une immense respiration. "J'ai quelque chose à te dire. Quelque chose à te demander." Il lui prit la main, la pressa, la serra. Comme pour ne plus jamais la lâcher. "Tu sais ce que c'est ?"
Bien sûr qu'elle savait. Et bien sûr, Malcolm savait ce que serait sa réponse. En cet instant, ils se comprenaient à la perfection. Ils étaient aussi proches, et aussi près du bonheur qu'il nous est jamais permis de l'être. Jamais Malcolm ne posa sa question.
Afficher en entierPar une nuit étoilée de l’année 2003, sous le ciel limpide et bleu-noir de Berlin, deux jeunes gens s’apprêtaient à dîner. Ils s’appelaient Sophie et Patrick.
Les deux jeunes gens ne s’étaient jamais rencontrés jusqu’à ce jour. Sophie visitait Berlin avec sa mère, Patrick visitait Berlin avec son père. La mère de Sophie et le père de Patrick s’étaient connus, vaguement, il y a bien longtemps. Le père de Patrick s’était même brièvement amouraché de la mère de Sophie, lorsqu’ils étaient encore au lycée. Mais cela faisait vingt-neuf ans qu’ils ne s’étaient pas adressé la parole.
— Ils sont allés où, d’après toi ? demanda Sophie.
— Danser, sûrement. Faire la tournée des boîtes techno.
— Tu plaisantes ?
— Évidemment. Mon père n’a jamais mis les pieds en boîte. Et le dernier disque qu’il a acheté, c’était un Barclay James Harvest.
— Qui ça ?
— C’est bien ce que je dis.
Sophie et Patrick regardèrent apparaître un énorme monstre illuminé de verre et de béton : le nouveau Reichstag. Le restaurant qu’ils avaient choisi, au sommet de la tour de télévision qui surplombe l’Alexanderplatz, tournait sur lui-même, et plus vite qu’ils ne l’auraient cru. Apparemment, la vitesse de rotation avait doublé depuis la réunification.
— Comment va ta mère ? demanda Patrick. Elle s’est remise ?
— Oh oui, rien de grave. On est rentrées à l’hôtel et elle s’est allongée un peu. Et après, elle allait bien. On a attendu une heure ou deux, et on est sorties faire les magasins. C’est là que j’ai trouvé ma jupe.
— Elle te va très bien, tu es superbe.
— En tout cas, je suis plutôt contente que ça se soit passé comme ça, parce que sinon ton père ne l’aurait pas reconnue.
— Non, sans doute pas.
— Et nous, on ne serait pas ici, pas vrai ? Ça doit être le destin. Enfin, un truc comme ça.
Étrange situation que la leur. Il y avait entre leurs parents comme une intimité spontanée, eux qui ne s’étaient pas vus depuis si longtemps. Ils s’étaient abandonnés à leurs retrouvailles avec une sorte de soulagement joyeux, comme si cette rencontre de hasard dans un salon de thé berlinois pouvait effacer toutes ces décennies, apaiser la douleur du temps passé. Ce qui avait condamné Sophie et Patrick à se débattre dans une intimité à eux, beaucoup plus gauche. Ils n’avaient rien en commun, ils s’en rendaient bien compte, sinon le passé de leurs parents.
— Ton père parle souvent de ses années de lycée ? demanda Sophie.
— Eh bien… c’est marrant. Avant, il n’en parlait jamais. Mais depuis quelque temps, ça lui revient. Des gens qu’il connaissait à l’époque sont réapparus. Tiens, un garçon qui s’appelait…
— Harding ?
— Oui. Tu as entendu parler de lui ?
— Un peu. J’aimerais bien en savoir plus.
— Alors je vais te raconter. Et des fois, papa parle de ton oncle. Ton oncle Benjamin.
— Ah, oui ! Ils étaient copains, non ?
— C’était son meilleur ami, je crois.
— Tu savais qu’ils avaient joué ensemble dans un groupe ?
— Non, il n’en a jamais parlé.
— Et le journal qu’ils éditaient ?
— Non, il ne m’en a jamais parlé non plus.
— Je connais tout ça par ma mère, tu sais. Elle n’a rien oublié de cette époque.
— Comment ça se fait ?
— Eh bien…
Et c’est ainsi que Sophie se mit à raconter l’histoire. Mais par où commencer ? Cette période qu’ils évoquaient semblait remonter à la préhistoire la plus obscure. Elle dit à Patrick :
— Tu n’as jamais essayé d’imaginer comment c’était avant ta naissance ?
— Comment ça ? Tu veux dire dans l’utérus ?
— Non, je veux dire à quoi ressemblait le monde avant toi.
— Pas vraiment. J’ai du mal à l’imaginer.
— Mais tu te rappelles comment c’était quand tu étais petit. Tu te souviens de John Major, par exemple ?
— Vaguement.
— Oh, lui, c’est normal qu’il soit vague. Et Mme Thatcher ?
— Non. J’avais seulement… cinq ou six ans quand elle a démissionné. Mais pourquoi tu me demandes ça ?
— Parce qu’il va falloir qu’on remonte encore plus loin. Beaucoup plus loin.
Sophie s’interrompit, son visage s’assombrit.
— Tu sais, je peux te raconter tout ça, mais ça risque d’être frustrant. Il n’y a pas de fin à cette histoire. Elle s’arrête, c’est tout. Je ne sais pas comment ça se termine.
— Peut-être que moi, je la connais, la fin.
— Tu me raconteras, alors ?
— Bien sûr.
Et ils échangèrent un sourire fugace, leur premier sourire. Tandis que l’horizon peuplé de grues, le chantier incessant du paysage berlinois défilait derrière elle, Patrick regardait le visage de Sophie, la ligne gracieuse de la mâchoire, les longs cils noirs, et il sentit un frémissement, une gratitude de l’avoir rencontrée, un éclair de curiosité pour les promesses nouvelles de l’avenir.
Sophie se versa de l’eau pétillante servie dans une bouteille bleu marine et dit :
— Alors je t’emmène, Patrick. On va remonter le temps. Jusqu’au tout début. Jusqu’à un pays qu’on serait sûrement incapables de reconnaître. L’Angleterre de 1973.
— Tu crois vraiment que c’était si différent que ça ?
— Complètement différent. Imagine. Un monde sans téléphones mobiles, sans magnétoscopes, sans Playstations. Même pas de fax ! Un monde qui n’avait jamais entendu parler de la princesse Diana ou de Tony Blair, qui n’aurait jamais imaginé partir en guerre au Kosovo ou en Irak. À l’époque, Patrick, il n’y avait que trois chaînes de télé. Trois ! Et les syndicats étaient tellement puissants que, s’ils le voulaient, ils pouvaient très bien couper une chaîne pendant toute une soirée. Il y avait même des fois où les gens étaient obligés de se passer d’électricité. Imagine !
Afficher en entierPar une nuit étoilée de l'année 2003, sous le ciel limpide et bleu-noir de Berlin, deux jeunes gens s'apprêtaient à dîner. Ils s'appelaient Sophie et Patrick.
Afficher en entierIls burent en silence. Les tables qui reflétaient vaguement leurs visages étaient marron foncé, très foncé, couleur Cadbury pur cacao. Les murs étaient marron moins foncé, tendance chocolat au lait. La moquette était marron, semée de losanges d'un marron subtilement différent. Le plafond se voulait officiellement crème, mais n'en était pas moins marron, bruni par la nicotine de millions de cigarettes sans filtre. La plupart des voitures au parking étaient marron, idem pour les vêtements des clients du pub. Personne ne remarquait ce marron envahissant, ou en tout cas n'y voyait un sujet de conversation. Le monde était marron.
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