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Extrait ajouté par chouquette14K 2015-10-25T17:43:08+01:00

— Entre, lui dit-elle en réprimant une grimace. Mes colocataires adorent tester la résistance au bruit.

— J'entends cela.

— Un instant, dut-elle hurler pour couvrir les basses déchaînées.

Elle fit une moue caractéristique et s'en fut vers le fond de l'appartement. Il jeta un coup d'oeil autour de lui. Le logis n'avait rien de désagréable, avec un grand salon et une vraie cuisine. Il pouvait même y voir la main d'Amélia. Non pas dans le tas de chaussures à talons accumulé près du sofa, ni dans les journaux étalés par terre, mais dans les rideaux, blancs à filets bleus, aux embrasses délicatement nouées. L'arrangement floral sur la cheminée aussi devait être son oeuvre, ainsi que les chandelles près du fauteuil à oreillettes.

— Salut.

Il pivota vers l'origine de cette voix grave et féminine, celle d'une blonde, qui lui souriait depuis le couloir.

— À qui ai-je l'honneur ?

— Jay.

Le sourire s'élargit encore plus.

— Moi, c'est Donna.

— Salut.

Elle avança vers lui avec la démarche de celle qui sait se servir de son corps. Le sweater qu'elle portait était juste assez petit pour révéler chacune de ses courbes et juste assez grand pour lui éviter une accusation d'outrage aux bonnes moeurs. Quant à son jean, elle avait dû le coudre sur elle. Oh oui, cette femme savait parfaitement ce qu'elle faisait.

— Vous êtes venu avec quelqu'un ? Ou est-ce le destin qui vous amène ?

La musique cessa si brusquement que cela en fut presque douloureux. Le silence résonna quelques secondes, puis Amélia fut de retour, un sweater bleu foncé passé sur son jean. Immédiatement suivie par une brunette en jogging et sweat-shirt.

— Eh, Donna, c'est qui ton ami ?

— Il n'est pas à moi, répondit la blonde, c'est ça le drame.

— Je suis Kathy, lança la brune en lui tendant la main, une main aux ongles immenses et carmin.

— Jay, dit-il en secouant la tête.

— Racontez-nous donc comment vous avez rencontré Tabby.

Il regarda Amélia, puis Kathy.

— Tabby ?

— Vous n'êtes pas avec... ?

Il rejoignit alors Amélia et lui passa un bras autour de la taille.

— Tu es prête, bébé ?

Le regard que lancèrent ses deux colocataires à Amélia fut plus qu'explicite. Aucune d'entre elles ne savait rien de la jeune femme. Il doutait même qu'elles aient jamais essayé de le faire.

— Laisse-moi le temps de prendre ma veste, lui répondit-elle en souriant, avant de disparaître dans le couloir.

— Vous êtes avec Amélia ? s'étonna Donna.

— En effet. Pourquoi ?

— Eh bien, je...

Elle lança un regard implorant à Kathy.

— Elle ne sort pas beaucoup.

— J'ai de la chance, alors.

Kathy le dévisagea, visiblement perplexe.

— Quand l'avez-vous rencontrée ?

Il se fichait de ces filles, car c'étaient des «filles», quel que soit leur âge.

— Dans un café.

— Alors, ça fait un moment que vous vous connaissez ? intervint Kathy en se rapprochant.

— Assez longtemps.

Donna s'approcha de l'autre côté.

— C'est le jean ? Il est à moi, vous savez.

Il haussa un sourcil.

— Ce n'est pas le jean.

— Hou là.

— Oui, hou là.

Un faible mouvement lui attira l'oeil, il découvrit Amélia, debout dans le couloir, sa veste à la main, et il se demanda depuis combien de temps elle était là. Et si elle le croyait. Ce devait être épouvantable de vivre avec ces deux-là. Il traversa la pièce, lui prit sa veste et l'aida à l'enfiler. Puis il la prit par la taille pour l'entraîner dehors.

— Vas-y, ma fille, lança Kathy à Amélia.

Celle-ci rougit, mais ne se laissa pas démonter. Jay adressa un signe de tête à Donna en passant devant elle, et faillit pouffer devant son air ébahi.

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Extrait ajouté par chouquette14K 2015-10-25T17:40:23+01:00

Elle se pencha de nouveau et lui tendit le seau. Il ne put l'attraper sans se tortiller vers la droite, lui confia le siphon et prit le seau en échange. Puis il le positionna, défit les derniers écrous et, peu de temps après, il avait nettoyé

les tuyaux. En tordant le cou, il arrivait à voir ses jambes.

— Tu peux me passer le siphon ?

Elle se pencha, mais avant qu'il n'ait pu empoigner la pièce, elle la laissa échapper, directement sur ses testicules. La douleur le fit se plier en deux, il se cogna le front contre l'évier et renversa le contenu du seau sur ses jambes.

— Seigneur ! Je suis désolée, s'exclama Amélia en s'accroupissant.

Il ne put la rassurer tout de suite, pas encore. Et le fait d'entendre Shawn et Bill se tordre de rire n'arrangea rien. Mais pourquoi avait-il fallu que ça tombe là ? Une autre vague de douleur le submergea.

— Jay, ça va ? Seigneur, je n'arrive pas à croire que c'est moi qui ai fait ça.

— Ça va, grommela-t-il entre ses dents.

Il ramassa le siphon et tendit le seau à Amélia, qui le prit mais continua à le fixer. Son inquiétude l'aurait touché

s'il n'avait pas eu envie de se rouler en boule et de pleurer. Elle se redressa, et il fit appel à toute sa volonté pour terminer la réparation. Son jean trempé empestait littéralement. Le siphon remis en place, il rampa pour se dégager et s'assit. Il n'était pas encore prêt à se lever.

Elle s'accroupit devant lui.

— Hou là, s'exclama-t-elle en effleurant la bosse sur son front.

— Aïe.

Elle recula aussitôt.

— Excuse-moi. Oh, je suis si désolée !

Il hocha la tête, ravi que la douleur de son front soit maintenant plus violente que celle de son aine. Elle se leva alors et se dirigea vers le réfrigérateur, où elle emplit de glaçons une serviette que lui avait donnée Shawn. Puis elle revint lui appliquer la poche à glace sur le front.

— Ouille.

— Désolée.

— Tu n'as pas à être désolée.

— Mais c'est ma faute.

— C'était un accident.

Il bougea, et ne put retenir une grimace. Elle prit une mine inquiète. Puis elle reprit la poche et la posa, fort, sur sa braguette. Il tressaillit. Elle recula précipitamment. Shawn et Bill reprirent le fou rire.

— Ne mettez pas de glace là, réussit à éructer Bill. Vous savez ce qui arrive.

— Non, quoi ? s'enquit-elle en se tournant vers lui.

— Ça ratatine ! brailla-t-il entre deux éclats de rire. Et si vous comptez faire ce que je pense que vous allez faire, il aura besoin de son équipement en état de marche.

Les joues couleur pivoine d'Amélia le rassérénèrent quelque peu. Pas rétabli, mais bien mieux.

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Extrait ajouté par chouquette14K 2015-10-25T17:40:13+01:00

Ses amies avaient passé toute la soirée à «la relooker», selon leur propre expression, faisant des essais pour l'habiller, la coiffer, la maquiller... À tel point qu'elle avait eu l'impression d'être une poupée Barbie entre leurs mains. Elle osa jeter un autre coup d'oeil à Jay, mais ne put déchiffrer son expression. Il avait la bouche ouverte, les yeux écarquillés, l'air totalement perdu.

— C'est moi, murmura-t-elle. Amélia, du café d'à côté.

Il secoua la tête.

— Je pensais te connaître, répliqua-t-il. Mais maintenant je n'en suis plus certain. Elle ne sut que répondre, ni que faire de ses mains. Il la fixait toujours comme si elle était une extraterrestre. Ce n'était tout de même pas un changement vestimentaire qui pouvait provoquer un tel choc. Elle était toujours Amélia, toujours affligée de son épouvantable timidité, et il ne faisait rien pour arranger les choses.

— Ils ne sont pas à moi, lâcha-t-elle d'une traite, je les ai empruntés. Parce que je me disais... Enfin, vous avez parlé de balade en moto. Alors j'ai pensé que, vous savez... Peut-être aujourd'hui. Mais vous avez du travail, alors tant pis. Désolée de vous avoir dérangé.

Elle pivota vers la porte.

— Attends, Amélia.

Elle n'aurait pas dit non, mais ses pieds s'obstinaient à avancer. Ils l'avaient presque conduite sur le seuil quand il lui prit le bras.

— Attends.

Elle n'essaya pas de se dégager, malgré l'infarctus qui la menaçait.

— Attends, tu veux bien ? J'ai juste besoin d'une minute.

— Je suis la même Amélia.

— C'est cela. Et un tigre du Bengale est un gentil chaton.

— Est-ce que c'est une bonne chose ?

Au bout d'un instant de réflexion, il planta ses yeux dans les siens.

— Je pense que tu es encore plus belle qu'hier. Et hier, tu m'as déjà fait tomber à la renverse. Un plaisir intense se répandit en elle.

— Oh.

— Oui, oh.

— Hum, patron ?

Jay se tourna vers le comptoir.

— Oui ?

— Tu comptes rappeler Jim, ou quoi ? s'enquit son assistant en brandissant le téléphone.

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Extrait ajouté par chouquette14K 2015-10-25T17:39:13+01:00

Il était obsédé par Amélia. À en devenir dingue

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Extrait ajouté par chouquette14K 2015-10-25T17:37:59+01:00

dans le cybercafé Jay parle a Amélia:

— Est-ce vous qui avez fait tomber ça ?

Elle cilla.

— Mademoiselle... ?

Parle, merde. Dis quelque chose. N'importe quoi.

— Edwards.

Il sourit. Seigneur ! Il avait souri d'une manière dont elle ne l'avait encore jamais vu sourire. D'un sourire doux, sensuel. Son fantasme devenu réalité.

— Avez-vous fait tomber cela ?

Elle s'obligea à regarder sa main, qui lui tendait un stylo-bille. Blanc, avec un capuchon rouge, inconnu au bataillon.

— Non.

— Oh. J'ai cru que c'était à vous.

Elle secoua la tête.

— Je n'ai pas de stylos comme celui-ci.

Il inclina la sienne sur le côté.

— Aimeriez-vous l'avoir ?

— Quoi donc ?

Le sourire s'élargit.

— Ce stylo.

Elle cilla derechef.

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Extrait ajouté par chouquette14K 2015-10-25T17:36:36+01:00

— N'aie pas peur. Tu sais que tu en as envie. Presque autant que moi.

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Extrait ajouté par chouquette14K 2015-10-25T17:35:01+01:00

Elle avait même un solide sens de l'humour, une appréciation mordante des ironies de la vie. Il appela la confession suivante et lut tout en mangeant.

Ainsi, le sexe a un nom. J. W.

Il avala de travers, s'étrangla et passa plusieurs minutes à tousser. J.W., c'était lui, non ? Elle parlerait de lui ?

Nom de D... c'était lui, l'objet de ses fantasmes ? Ce serait lui, qui marchait comme le sexe incarné ?

Bon sang. Il s'était imaginé qu'elle parlait de Brad Pitt, nom qu'elle avait cité à plusieurs reprises, mais jamais il n'aurait pensé...

Mais alors, ça changeait tout. Absolument tout. Il se pencha sur l'écran, le fusilla du regard et cliqua sur l'entrée suivante.

Je me promène sous les arches de Washington Square, tard le soir. Il y a bien longtemps que j'aurais dû rentrer. Ma gorge se serre quand j'entends des pas derrière moi, mais bon, on est à New York. Pourquoi et où n'entendrais-je pas des pas ? Je continue à avancer sans regarder autour de moi. Soudain, je reçois un coup dans le dos, je tombe sur les genoux en poussant un cri. Quelqu'un m'arrache mon sac et, avant que j'ai pu le voir ou mémoriser son apparence, il a disparu. Mais alors, il y a un autre homme qui le prend en chasse. Je regarde, éberluée, le poursuivant faire un croche-pied au tire-laine. Ils sont à terre à présent, ils se battent, et je me remets debout. Avant que j'ai pu faire un pas, c'est terminé, le voleur se sauve en claudiquant. L'homme qui l'a terrassé se relève, époussette son pantalon et me regarde.

Il vient vers moi, mon sac à la main.

C'est lui.

Il me tend mon sac.

— Je ne savais pas si vous aviez été blessée ou s'il valait mieux lui courir après, me dit-il.

— Tout va bien. En fait, c'est extraordinaire, vous auriez pu être tué, et vous ne me connaissez même pas. Il me sourit.

— Oh, mais si, je te connais, Amélia.

J'ai le coeur qui tambourine. Est-ce un mauvais tour ? Une arnaque ?

— Je t'ai vue au café. Et je sais ce que tu fais sur cet ordinateur.

— Vraiment ?

Il hoche la tête et fait un pas vers moi.

— Je sais tout de toi. Ce que tu aimes, ce que tu veux. Ce dont tu as besoin. Je peux à peine respirer. Comment est-ce possible ?

— Ce que j'écris est privé. Anonyme.

— Je n'ai pas besoin de lire, répond-il en arrondissant sa main autour de ma joue. Je lis en toi, Amélia. Je vois au travers de la carapace. Je sais à quel point tu es remarquable. Je sais à quel point tu as travaillé à ton éducation. À quel point tu aimes ta tante. Je sais tout, Amélia. Mais je sais surtout que tu es la femme la plus incroyablement sensuelle que j'aie jamais rencontrée. Tous les autres sont des imbéciles de ne pas l'avoir remarqué. Ils ne te voient pas comme moi je te vois.

Je suis muette. Comment peut-il me parler ainsi ? Nous ne nous connaissons pas... Il me caresse la joue. Me tient captive de son regard. Puis ses lèvres se posent sur les miennes, et tout disparaît autour de nous. Je me noie dans son baiser tandis qu'il m'enserre dans ses bras. Il me caresse le dos, la taille, puis en dessous. Il referme ses mains sur mes fesses et me presse contre lui. Je sens son érection. Elle est énorme !

Il avala encore une fois de travers et fut pris d'une autre quinte de toux. Énorme, croyait-elle ? Il baissa les yeux vers sa braguette, sous laquelle son pénis était à moitié érigé. D'accord, il n'avait jamais eu honte de se promener dévêtu dans le vestiaire, mais énorme ? Fichtre.

Il retourna au récit.

Son baiser se fait plus passionné, puis il se recule.

— Viens avec moi, murmure-t-il.

— Où ?

— Dans mon lit.

— Mais...

Il pose gentiment un doigt sur mes lèvres.

— N'aie pas peur. Tu sais que tu en as envie. Presque autant que moi.

Je hoche lentement la tête, tout en sachant qu'il serait ridicule de nier l'évidence. Il Et puis plus rien. Boum. Ça finissait comme ça. Il éplucha les pages suivantes, mais n'y trouva pas trace de la conclusion du fantasme. Mais quoi, bon sang ?

Pourquoi s'était-elle arrêtée juste au moment où elle allait le suivre chez lui ? Alors qu'elle savait qu'il était vain de nier l'évidence...

Il se laissa aller en arrière sur sa chaise et secoua la tête devant sa propre stupidité. C'était un fantasme, pas une promesse.

Pourtant...

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Extrait ajouté par chouquette14K 2015-10-25T17:34:51+01:00

Sa démarche est le sexe incarné. Elle n'est pas délibérée, mais sure. Arrogante. Comme s'il savait. Quand il me regarde, mon corps devient douloureux de désir. Mais je ne suis pas la femme qu'il veut. Je ne parviens même pas à

lui sourire, à lui parler. Mon désir me brûle, mais ma lâcheté me brûle encore plus.

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Extrait ajouté par chouquette14K 2015-10-25T17:33:55+01:00

Chapitre 1 (entier)

Il y eut une subtile modification dans l'air du cybercafé. Non pas une odeur, ni même un courant d'air, mais plutôt de l'électricité. Oui, voilà ce qu'elle perçut. Une tension d'avant l'orage. Amélia Edwards tourna subrepticement les yeux vers David, son voisin de droite. L'étudiant fourragea dans sa tignasse et redressa le dos. Lui aussi l'avait sentie...

Tout comme la superbe blonde qui était assise non loin de lui. Étudiante également, à en juger par son sac à

dos. La jeune fille se mordilla les lèvres, bomba la poitrine et regarda vers la porte. Tout le monde avait perçu un changement, cela ne faisait aucun doute. Pourtant, aucune loi physique ne pouvait l'expliquer. C'était autre chose, quelque chose qui tenait du mystère. À ceci près qu'elle, Amélia, savait ce que cela signifiait.

Il arrivait.

Il, c'était Jay Wagner, le propriétaire du magasin Harley, mitoyen. À peine plus vieux qu'elle, il devait avoir vingt-six ou vingt-sept ans. Grand, brun, les cheveux un peu trop longs, il possédait les yeux bruns les plus fascinants qu'elle ait jamais vus. Quand il déambulait dans la salle, plus rien ne semblait exister autour de lui, le temps ralentissait...

Démarraient alors les pensées inavouables.

Amélia se passa une main dans les cheveux, s'humecta les lèvres, tira sur sa jupe. Le patron, Brian, enclencha dans le lecteur un CD de Stevie Ray Vaughn. Elle tourna les yeux vers la porte deux secondes avant son ouverture. Il portait sa veste de cuir noire, jean noir, T-shirt blanc, boots noires. Noires également, les lunettes devant ses yeux. À vue de nez, le personnage svelte et nerveux, devait mesurer un mètre quatre-vingt-cinq. Elle avait une véritable fascination pour ses mains, longues et élégantes.

Il referma derrière lui avant de se diriger vers le bar sans regarder ni à droite ni à gauche. Mais ce n'était qu'un préambule. Tout commencerait vraiment lorsqu'il arriverait à sa table. Certes, il n'était pas obligé de passer près de cet angle, où elle travaillait bien à l'abri des regards, mais il se faisait un devoir de traverser la pièce chaque fois qu'elle était là.

Et, bien sûr, à un peu plus d'un mètre d'elle, il ôtait ses lunettes, les fourrait dans sa poche, puis tournait la tête dans sa direction. Oh, elle tentait bien de ne pas le regarder, mais n'y arrivait jamais. D'ailleurs, il ne partirait pas tant que leurs regards ne se seraient pas rencontrés. Pourquoi ? Pourquoi ne faisait-il cela qu'avec elle ? Il devait forcément voir que cela la mettait dans tous ses états, qu'elle passait par toutes les teintes conduisant à l'écarlate. Aimait-il ce pouvoir qu'il avait sur elle ? La gêne avec laquelle elle se tortillait sur sa chaise ?

Et pourquoi, mais pourquoi, continuait-elle à venir ici, jour après jour ? Pourquoi avait-elle le coeur si lourd lorsqu'il ne se montrait pas ?

Allez, encore un peu de résistance. Avant de céder, de fixer son regard d'abord sur son torse, sa veste. Puis de le faire remonter vers le cou, la mâchoire déterminée. Elle laissa échapper un souffle qu'elle ignorait avoir retenu. Et qu'elle perdit tout à fait en ramenant les yeux sur son visage.

Il plongea aussitôt ses yeux dans les siens. Et ne les lâcherait pas tant qu'il n'aurait pas eu ce qu'il voulait. Il releva un sourcil amusé, comme devant une gamine excentrique, les lèvres incurvées en un semblant de sourire. Mais c'était bien ce défi dans son regard qui la bouleversait.

Jamais un mot entre eux, jamais elle n'en avait eu le cran. Pourtant, cela faisait maintenant des semaines que durait son manège. Qu'il la provoquait. Qu'il l'invitait.

Et elle, elle rêvait de relever le défi, de se lever, d'aller vers lui et de l'embrasser. Ici, en plein milieu du café, dans les arômes d'arabica, au son de la musique tonitruante. Bon sang ! Sûr que ça effacerait ce sourire suffisant. Sûr que ce serait fabuleux.

Mais voilà, elle n'était qu'une froussarde. Une épouvantable froussarde. Les joues en feu, elle s'obligea à

reporter les yeux sur son ordinateur. Il avait gagné. Encore une fois. Elle soupira quand il pouffa. Comme hier. Comme avant-hier.

Elle se concentra sur l'écran, mais les mots qu'elle y avait écrits à peine quelques instants plus tôt lui parurent étranges, hors de propos. Cet exposé, elle avait encore quatre jours pour le rendre. Elle sauvegarda donc son travail sur disquette puis, les doigts tremblants, appela l'adresse Web de Totaleconfession.com. Une fois la page d'accueil affichée, elle entra son pseudo, «Gentille fille».

Autant avouer la vérité, aussi consternante soit-elle. Elle avait indubitablement tout de la «Gentille fille». À

vingt-quatre ans, étudiante en troisième cycle à l'université de New York, elle était, pour tout dire, une anomalie. Une réminiscence de l'époque où les filles marchaient droit et ne fréquentaient que leur fiancé officiel. À ceci près qu'elle n'avait personne dans sa vie avec qui faire cela. Sans parler de choses plus audacieuses. Cette pensée lui fit relever la tête. Et découvrir que Jay était debout juste devant elle. Plus près. Elle s'empourpra en prenant conscience de son erreur. D'habitude, il était toujours parti quand elle se cachait derrière son travail. Aujourd'hui, il était resté à la regarder, l'oeil si intense qu'elle s'en tortilla sur sa chaise. Il fit un pas vers elle, et son coeur s'emballa. Il en fit un autre, et elle en oublia comment respirer. Seigneur, il continuait à avancer, à faire cliqueter ses boots sur le plancher.

Il atteignit le côté de sa table. Tout en elle lui cria alors de filer au pas de course, de se cacher, au moins de se pencher vers son écran. Mais elle demeura parfaitement immobile, la tête rejetée en arrière, le regard braqué vers le plus bel homme qu'elle ait jamais vu.

Il sourit. Oh, ce ne fut pas un grand sourire, plutôt une incurvation des lèvres. Puis elle manqua mourir en le voyant lever une main, comme pour la toucher, lui tapoter la joue. Oui mais voilà, cette main s'arrêta à mi-course, puis disparut. Horriblement gênée, elle fut certaine qu'elle allait mourir de combustion spontanée d'ici peu. Son petit rire ne rendit les choses que plus difficiles encore. Peut-être perçut-il qu'elle était sur le point de tomber dans les pommes, car il dirigea son regard vers l'écran. Elle en profita pour respirer une bonne fois.

— Gentille fille, murmura-t-il.

Elle ouvrit la bouche. Rien n'en sortit.

Il émit un autre petit rire, sensuel et profond. Grace au ciel, il passa devant elle et se dirigea vers son pote Brian, derrière le bar.

Elle ferma les yeux en attendant que son pouls retrouve un rythme normal. Il lui avait parlé. À elle. Seigneur !

Même s'il l'avait déjà regardée, même s'il l'avait déjà fait rougir, elle avait toujours eu l'impression d'être invisible. Et elle l'était, la plupart du temps. En classe. En compagnie de ses ravissantes colocataires. Les gens lui rentraient généralement dedans parce qu'ils ne l'avaient tout bonnement pas remarquée. Mais lui, il lui avait adressé la parole.

Elle tourna les yeux vers la fille blonde et, comme elle s'y attendait, celle-ci faisait une tête de trente-six pieds de long. Une tête de femme jalouse. D'elle. Non pas qu'elle voulut que cette fille se sente mal... Oui, bon. Peut-être que si, après tout.

Amélia se concentra sur son ordinateur. Il ne lui restait qu'un quart d'heure sur les deux heures payées. Les doigts comme des mitraillettes, elle s'efforça de saisir l'instant. L'instant, l'excitation, son murmure, le parfum du cuir. Les mots se déversèrent sans qu'elle prenne la peine de revenir en arrière pour corriger ses fautes de frappe. Mais, quand ce fut terminé, quand tout fut là, sur l'écran, la bulle éclata. Il l'avait remarquée, et alors ?

Comment aurait-il pu faire autrement ? Elle était toujours là. Et elle s'empourprait tellement qu'elle aurait sans problème pu remplacer un feu rouge défaillant. Il était juste venu faire joujou avec elle, point à la ligne. La taquiner. C'était du sadisme. Un crève-coeur. Et même si tante Grace passait son temps à lui dire que jamais personne n'était mort de timidité, Amélia avait des doutes. Les gens mouraient bien de solitude. Ou de nostalgie. Si seulement quelqu'un pouvait voir à quel point je rêve d'être caressée. À quel point je rêve qu'un baiser me fasse prendre feu. Si seulement il savait comment je rêve de lui. Comme j'ai envie qu'il m'emporte vers les sommets de l'extase. Oh, mais je me moque de qui, là ? Je veux qu'il me fasse l'amour jusqu'à en défaillir d'épuisement. Je veux qu'il fasse tout et n'importe quoi, je veux devenir folle, je veux rester folle. Avec lui. Le bip de fin de connexion retentit sur son ordinateur, sans qu'elle ait ni le temps ni l'argent pour prolonger la séance. Elle sauvegarda donc son journal avant de quitter le site web. Rapide et efficace, elle ramassa ses affaires, se leva et s'en alla, sans même jeter un coup d'oeil en arrière pour savoir s'il la regardait. Mais tout de même rouge comme une pivoine.

Jay patienta tandis que Brian servait son café à un consommateur, encore un étudiant. Si le lieu n'était ni vaste ni tape-à-l'oeil, il offrait en revanche six postes de travail reliés à Internet par modems haute définition. Les clients disposaient donc d'un accès rapide aux bases de données utiles à leurs recherches. Ou aux sites pornos. Fan du rock des années 60, Brian avait placardé sur les murs des posters de Jimmy Hendrix, Janis Joplin, The Grateful Dead et consorts, et avait toujours un magazine Rolling Stone en lecture gratuite. Probablement hippy dans une vie antérieure, il ne passait les tubes du moment que par obligation. Bizarre, d'ailleurs, qu'il se soit lancé dans un commerce aussi high-tech. Cependant, Jay devait bien admettre qu'il avait fait de son établissement un endroit incontournable. À trente-deux ans, Brian était non seulement le spécialiste du café, mais il savait également pirater n'importe quel ordinateur, et s'assurait toujours de la satisfaction de sa clientèle. Cette leçon-là, Jay l'avait d'ailleurs retenue lorsqu'il avait ouvert sa boutique Harley à côté.

— Encore un caoua ? s'enquit Brian en arrivant devant Jay, la cafetière à la main.

— Totaleconfession.com, qu'est-ce que c'est ?

Selon sa vieille habitude, Brian haussa les épaules. Mais, contrairement à ce que pensaient les gens, cela ne voulait pas dire qu'il n'en savait rien. Plutôt qu'il y avait des questions plus intelligentes à poser.

— C'est un site sur lequel les gens vont confesser leurs péchés. Ou leurs fantasmes. En général, ce sont des adolescentes qui viennent y déclarer leur amour éternel pour leur chéri du moment.

— Et ces confessions, on peut les lire ?

— Oui. C'est public. Enfin, c'est aussi anonyme. Ils ont un système qui rend difficile de remonter jusqu'au nom des utilisateurs.

— Difficile, mais pas impossible.

— Rien n'est impossible tant que je ne m'y suis pas cassé les dents.

— Je porte un toast à ton arrogance, s'esclaffa Jay en levant sa chope.

— Et c'est toi qui dis ça...

Jay avala le reste de son café en souriant avant de tendre sa chope vide à Brian.

— Je vais faire un tour deux secondes sur une de tes bécanes. Apporte-moi un autre café. Brian leva les yeux au ciel.

— Oui, maître. Aimeriez-vous autre chose, maître ? Un petit massage, peut-être ? Un rendez-vous avec Penelope Cruz ?

— Oui, j'aimerais bien que tu la boucles, pour une fois.

— Tu te tirerais une balle dans le crâne si tu ne m'avais pas pour te casser les pieds. Jay se dirigea vers une table. Sa table.

Il aimait bien traîner au café, même s'il se servait rarement des ordinateurs. L'endroit était pratique, juste à côté

de sa boutique, et, si le café était fameux, ce n'était pas pour lui qu'il venait. Non, il venait surtout pour les filles. Toutes ces jolies étudiantes qui ne rêvaient que de se jeter à son cou.

Sauf elle.

Bon sang, comme il aimait la voir rougir.

Quand elle avait commencé à fréquenter le café, il ne l'avait tout d'abord pas remarquée. Il ignorait qui lui achetait ses fringues mais, bon sang, son pourvoyeur vestimentaire aurait mérité d'être écartelé. Avec ces cardigans et ces pompes à talon plat, elle ressemblait à une grand-mère. Sauf que...

Il ne pouvait se rappeler ce qui l'avait poussé à la regarder. Peut-être un bruit qu'elle avait fait, ou une toux. Mais non, ce devait plus certainement être ses joues écarlates. En revanche, ce dont il se souvenait parfaitement, c'était le choc monstrueux qu'il en avait éprouvé. Elle était magnifique. Une peau pâle et sans défaut, délicate, un corps de déesse. Grande - un mètre soixante-dix, à vue de nez - et un peu trop mince, elle se déplaçait avec la grâce d'une danseuse. Il ne l'avait vue sourire qu'une seule fois, et pas à lui, au cours des mois écoulés. C'était une vraie beauté. Pas de seins siliconés, pas de cheveux oxygénés, pas de piercings. Elle lui faisait penser aux dames d'antan. Cependant, il percevait également autre chose derrière ces vêtements démodés. Derrière les joues enflammées. Il le sentait. Il en était sûr. Et ce quelque chose, il le voulait. Il s'installa et passa les doigts sur le clavier. Était-ce un effet de son imagination, ou percevait-il son parfum ? Il alluma l'ordinateur et appela le site Totaleconfession.com. Une fois à l'intérieur, il en fit le tour afin de se familiariser avec son mode de fonctionnement.

Gentille fille.

C'était ce nom-là qu'il avait vu. Si elle n'avait pas été aussi fébrile, elle aurait probablement caché l'écran, ou éteint la machine. Mais elle n'y avait pas pensé. Et lui était exactement le genre de salaud à profiter de la situation. Environ cinq minutes plus tard, juste après que Brian lui eut apporté son café, il tomba sur le filon. Autrement dit, le journal de Gentille fille. Son café, il n'en but pas une goutte.

Une musique tonitruante, basses poussées au maximum, émanait de la chambre de Tabby. Sur les meubles, les vases tremblaient, sur la table, les miettes se promenaient toutes seules. Amélia essaya de ne pas s'en faire. Enfin, de ne pas trop s'en faire.

Ses trois colocataires étaient des filles bien. Un peu égocentriques, un peu trop obsédées par le sexe, mais comme elles avaient toutes la vingtaine toute neuve, à quoi aurait-elle pu s'attendre d'autre ?

Bon, d'accord, prétendre qu'elle n'était pas aussi obsédée qu'elles aurait été un énorme mensonge. Car bien qu'elle n'en laissât rien paraître, ses pensées avaient une fâcheuse tendance à dériver dans cette direction. Et ses amies ne faisaient rien pour arranger les choses. Chacune ramenait régulièrement un homme à la maison. Tabby était la seule à former un couple stable avec Josh. Kathy, elle, multipliait les aventures. Quant à Donna, elle recevait ses trois copains en alternance.

En règle générale, elle ne s'en tirait pas trop mal. Sauf la fois où deux de ses amants étaient arrivés en même temps. Mais, cela ne lui avait pas vraiment posé de problème. Elle les avait accueillis tous les deux dans sa chambre et, cette nuit-là, il avait fallu s'enfoncer des boules Quiès dans les oreilles. Et se flanquer la tête sous l'oreiller. Au début, cela l'avait choquée, bien sûr. Un bref moment. Et bientôt, l'idée de faire plein de vilaines choses avec deux hommes dans son lit lui avait presque paru alléchante. Mais bien sûr, elle n'aurait jamais le cran de passer à

l'acte. Déjà qu'elle avait du mal à prendre la parole en classe...

Ce simple souvenir la fit rougir, et sa rougeur ramena ses pensées sur Jay. Amélia ferma les yeux pour mieux le revoir et, au bout d'un moment, dut aller se chercher une bouteille d'eau glacée dans le réfrigérateur. Allons, s'exhortat-elle, il était presque 4 heures et demie, et elle avait encore sa dissertation à faire. Elle allait devoir y passer la moitié

de la nuit, moralité elle ne pourrait aller au café dans la matinée. Ou alors elle serait tellement fatiguée qu'elle piquerait du nez en classe.

Avant de quitter la cuisine, son regard s'attarda sur le monceau de vaisselle sale accumulé dans l'évier. Personne n'y avait touché depuis la dernière fois qu'elle s'y était attelée. Elle savait bien que les autres, et surtout Kathy, profitaient d'elle. Mais aussi, elle semblait être la seule des quatre à avoir assez de temps pour en consacrer un peu aux tâches ménagères. Chaque fois qu'elle nettoyait à leur place, elle se jurait bien que c'était la dernière. Mais si elle ne parvenait pas à trouver le courage de les obliger à faire le ménage, comment trouverait-elle celui de lui parler ?

C'est cela, oui. Sûr que ça allait arriver. «Le jour où des singes me sortiront du derrière.» Elle gloussa, vaguement scandalisée par elle-même. Mais juste vaguement, parce que cela faisait déjà un moment qu'elle s'entraînait. Oui, depuis deux mois, elle avait proféré tout un tas d'horreurs, des jurons à faire rougir un charretier, des insultes vachardes, des quolibets si bien trouvés qu'elle en riait toute seule. Bien sûr, ils ne s'adressaient qu'à elle, mais bon, c'était un début, non ? Bientôt, elle serait aussi crâneuse, aussi branchée que tout le monde, à la fac. D'accord, peut-être pas aussi grossière, mais elle tiendrait sa place. Elle ne serait plus un monstre, un outsider. Un soupir lui échappa cependant. Jamais Jay ne voudrait pas d'une fille comme elle. Jamais, même pas dans un million d'années. Autant le chasser tout de suite de ses pensées. Lui interdire l'accès à ses rêves. Comme si c'était facile...

À 5h15, Jay ne tenait plus en place. Il fallait qu'il se bouge, et tout de suite.

— Karl ?

Accroupi derrière une Harley Vintage, son assistant releva la tête.

— Oui ?

— Ça te dirait, de fermer la boutique ce soir ?

Karl opina, puis remonta ses lunettes sur son nez. Il avait beau avoir dix ans de plus que Jay, ses longs cheveux filasse et son bouc déplumé le faisaient ressembler à ces étudiants qui venaient s'extasier sur les bécanes.

— T'as un rencard ?

— On peut dire ça comme ça.

— T'inquiète. Marie ne rentrera pas à la maison avant 11 heures.

Jay empoigna sa veste, l'enfila et prit son casque.

— Ce boulot, elle l'a toujours ?

— Oui. Il se trouve qu'elle aime bien travailler avec les chiffres. Va comprendre. En marchant vers la porte du magasin, Jay jeta machinalement un regard aux modèles d'exposition rutilants.

— Au moins, elle travaille.

— J'avoue qu'un salaire supplémentaire n'est pas de trop. Bien sûr, si tu me payais selon ma valeur...

— Allons, mon pote, on ne va pas en arriver là.

Son assistant éclata de rire, mais Jay avait déjà ouvert la porte. Il n'avait pas réussi à penser à grand-chose aujourd'hui... à part à Gentille fille. Au café, il avait lu pas mal de ses récentes confessions et, plus il les lisait, plus sa perplexité augmentait. Cette fille était - chose plutôt rare - une totale surprise pour lui. Personne ne pouvait deviner que sous le costume de la petite souris se cachait une véritable passionaria. Il enfila son casque et enfourcha sa moto, un modèle de 1965 caréné en parfait état de conservation. Le moteur démarra au quart de tour, et il s'élança en direction de sa maison et de son ordinateur. Seul le ronronnement des cylindres parvint à le détendre.

Tout en manoeuvrant au milieu du trafic de Manhattan, il ne put s'empêcher d'imaginer Gentille fille en train d'ôter ses vêtements un à un. Et dut couper court à ce fantasme après avoir failli percuter un camion. Vingt minutes plus tard, il arrivait en vue de son vieil immeuble de pierre, en plein coeur de ce qu'on appelait Hell's Kitchen. Le quartier n'était plus ce qu'il avait été. Boutiques et restaurants branchés y avaient poussé comme des champignons un peu partout.

Il rangea sa moto dans un coin et lui arrima trois solides cadenas après avoir ôté son casque. Le quartier avait peut-être pris de la valeur, mais on était toujours à Manhattan. Puis il se dirigea vers la porte d'entrée. Là, il prit le temps de saluer le portier, un personnage d'au moins mille ans au costume datant, selon toutes apparences, de la guerre de Crimée. Mais, aussi loin que remontait la mémoire des habitants, ils avaient toujours connu Jasper à ce poste, et n'en voudraient pas d'autre jusqu'à sa mort. Rien ne changeait vraiment dans la bâtisse, pas même l'odeur de chien mouillé de l'ascenseur. Jay pressa le bouton du cinquième. La cabine s'arrêta au troisième. Les portes s'ouvrirent sur un homme presque aussi vieux que Jasper.

— Hello, Jay. Ta vue est un régal pour mes yeux fatigués.

Jay sourit à Shawn Cody, son voisin et pipelette de la maison. S'il venait du troisième, cela voulait dire qu'il était allé voir si Darlène avait bien pris ses médicaments. À quatre-vingt-quatre ans, Shawn avait toujours l'esprit aussi vif et veillait sur tout le monde. S'il prétendait être écrivain, jamais personne n'était tombé sur un de ses livres. Aucune importance, c'était un type bien.

— Comment allez-vous, Shawn ?

Lorsque le vieil homme pénétra dans la cabine, l'odeur de chien mouillé fut brouillée par des senteurs de camphre et d'Old Spice.

— Comme le disait mon père, je vais aussi bien que possible pour un homme destiné à retourner à la poussière.

— Pas aujourd'hui, mon vieux. Aujourd'hui, vous êtes bien là pour enquiquiner le monde.

— Exact. Je suis là pour réconforter les tourmentés et tourmenter les réconfortés. L'ascenseur reprit son ascension grinçante, silencieusement exhorté à la vitesse par Jay. Si jamais Shawn démarrait une conversation, il en aurait bien pour dix minutes avant de pouvoir s'esquiver. Pourtant, il aimait bien le personnage, et aussi Bill, son compagnon depuis presque cinquante ans. Cela n'avait pas toujours été facile, mais ils avaient tenu bon.

— Tu sais, reprit Shawn, ton grand-père me manque affreusement.

— À moi aussi.

— C'était un type bien, un type vraiment bien.

— C'est vrai.

Il sentit le chagrin reprendre possession de lui. Malade depuis deux ans, son aïeul était mort quatre mois plus tôt. Grand-père et petit-fils s'étaient beaucoup rapprochés quand Jay était venu prendre soin de lui. À tel point que Jay avait finalement décidé de continuer à vivre là, même s'il était bien le seul à n'avoir pas largement dépassé l'âge de la retraite dans ce fichu bâtiment. Mais c'était sympa. De temps à autre, il donnait un coup de main à l'un de ses vieux voisins, tous anciens amis de son grand-père, bon sang, c'étaient aussi ses amis ! Et puis, l'appartement était en loyer contrôlé : il avait, pour trois cents dollars par mois, un quatre pièces à vous donner des envies de meurtre. Parvenu au cinquième, il s'effaça devant le vieil homme.

— Prenez soin de vous, Shawn.

— Toi aussi, freluquet.

Il descendit le couloir chichement éclairé et ouvrit sa porte, encore étonné de n'être pas accueilli par l'odeur de la pipe de son grand-père. Ce qui aurait été impossible, bien sûr. La pipe avait été enterrée avec son propriétaire, conformément à ses voeux.

Après avoir jeté son casque et sa veste sur le canapé, Jay fit un crochet par la cuisine, pêcha une bière dans le réfrigérateur, puis fila droit sur son ordinateur. Quelques instants plus tard, branché sur Totaleconfession.com, il lisait le journal de Gentille fille, et le monde alentour avait disparu.

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