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"Idéologies
Avant, sans crainte de procès, nous pouvions caricaturer les juifs et les injurier bassement dans des magazines antisémites librement répandus ; montrer, quasi scientifiquement, que les Africains, que les Aborigènes australiens, que les Noirs en général, incultes et proches des primates, dataient d’avant le néolithique bien que nos contemporains ; nous prétendions aussi que les catholiques, culs-bénits, formaient un troupeau d’ignorantins et de conservateurs ; que les Allemands n’étaient que brutes sanguinaires, comme les socialistes et les communistes, au couteau entre les dents ; que les enseignants et les ouvriers, paresseux, ne recherchaient que congés payés ; que les patrons, ignobles capitaliste, suçaient à chaque repas le sang des prolétaires ; sans oublier les nobles, les francs-maçons, les immigrés, les banlieusards…tous , comme on le devine, diaboliquement dangereux. Chaque groupe social tramait donc un complot contre nous. Les réseaux sociaux jouent encore à ce jeu stupide en dangereux. Hautement haineux des autres, le dialogue social et l’affrontement politique se dirigèrent ainsi sans obstacle majeur vers les crimes susdits. Passage des phrases aux actes."
Afficher en entierCaudillo, Duce, Führer, Grand Timonier…
Avant, nous fûmes guidés par Mussolini et Franco, Hitler, Lénine et Staline, Mao, Pol Pot, Ceausescu… rien que des braves gens, spécialistes raffinés en camps d’extermination, tortures, exécutions sommaires, guerres, épurations. Auprès de ces acteurs illustres, tel président démocratique fait mine anonyme, sauf lorsqu’il fait signer au vaincu le traité humiliant de Versailles, qu’il lance cent bombardiers ordinaires sur Dresde ou l’arme atomique pour irradier à mort les civils d’Hiroshima et de Nagasaki.
Ce XXe siècle politique enchanta notre enfance. Combien d’hymnes, face au drapeau, fûmes-nous obligés de chanter ? Combien de défilés nous força-t-on, enfants, de suivre, afin de fêter des fantoches qui changeaient d’opinion, selon victoires ou défaites ? À combien de mensonges fûmes-nous exposés ? Combien de torturés entendîmes-nous hurler, combien de cadavres d’amis vîmes-nous dans les fossés ?
Afficher en entierÀ ceux qui affichent le mépris de l’intellect tout en cherchant, cependant, comme tout le monde, à résoudre leurs difficultés, conseillez d’essayer l’ignorance d’avant.
Afficher en entierGuerre et paix
Avant, nos aïeux firent la guerre de 70, nos pères, jeunes, celle de 14, où tombèrent presque tous nos paysans, vint ensuite, dès 36, la guerre civile en Espagne, dont la sauvagerie ensanglanta ce pays magnifique ; s’ensuivirent la guerre mondiale 39-45, avec son cortège d’abominations racistes, plus les conflits coloniaux, Indochine et Algérie, où je dus porter les armes. Mon grand-père échappa aux débâcles de Sedan, les gaz délétères blessèrent mon père au milieu des bombes de Verdun, je dus finir l’expédition de Suez… de sorte que, pendant un siècle, ma famille et moi connûmes la guerre, la guerre, la guerre… De ma naissance à l’âge adulte, mon corps se forma, bras et jambes, cœur et cerveau, de guerre, de guerre, de guerre.
Depuis lors, nous vécûmes soixante-cinq ans de paix, ce qui n’était point arrivé, en Europe occidentale du moins, depuis l’Iliade ou la Pax Romana. Les générations de guerre, les miennes, préparèrent et réalisèrent ces six à sept décennies, plus heureuses que les bains de sang d’antan. Or le calme de la paix incite à l’oubli, alors que le bruit et la fureur des conflits ne quittent jamais le souvenir. Villes et hameaux leur dressent même des monuments aux morts, aux listes insoutenables. Grand-Papa Ronchon souffrirait-il de lacunes commémoratives ? Ne passe-t-il jamais sur la place de villages vides désormais ? La paix d’aujourd’hui, est-ce moins divertissant que ces guerres d’antan ?
Avant, ces boucheries perpétuelles et autres crimes d’État, goulag ou Shoah, tuèrent cent millions de victimes. Les statistiques disent que, dans des temps plus anciens, le nombre des morts par maladies infectieuses dépassait toujours d’assez loin celui des victimes de guerre, alors que le XXe siècle fut le premier où les morts aux champs de l’horreur l’emportèrent largement sur la malignité des microbes. Le savoir stratégique vainquit en grand leur petitesse. Pour battre ce record d’assassinats, des experts avisés inventèrent la mitrailleuse, les armes chimiques et les bombes nucléaires ; notre élite rêva de destructions massives. Avant, nous parvînmes à ces chefs-d’œuvre de conception et de fabrication.
Or, avant que ces crimes commencent, jamais l’Occident n’avait atteint un aussi haut niveau de culture dans les sciences et les arts, peinture et musique, électricité, mécanique quantique et chimie, techniques et transports, vie courante et confort, jamais il n’avait accédé à un tel sommet de liberté ou de démocratie, sans compter la Société des Nations, la Croix-Rouge, dix mouvements pacifistes, égalitaires et libérateurs que nous connûmes et parfois encourageâmes. L’abîme de sauvagerie où nous tombâmes et le volume de cadavres que notre cruauté folle entassa étonnent moins que le rapport entre ces abominations et un tel apex de culture.
De quoi donc protège-t-elle ?
Avant, je veux dire pendant l’Occupation, mille mots allemands fleurissaient sur les murs de Paris et des autres villes de France. J’y ai pris l’horreur des langues dominantes et l’amour de celles que l’on veut éradiquer. Comme je compte, aujourd’hui, plus de mots américains en ces mêmes lieux que de mots destinés aux nazis à l’époque, je cherche à défendre la langue française, celle désormais des pauvres et des assujettis. Et constate que, de père en fils, les collabos de cette importation se recrutent dans la même classe, dite d’élite.
Afficher en entierVoilà pourquoi tous redoutent l'homme : chacun sait la vraie loi de la jungle, celle que je viens d'énoncer, qu'il ne faut surtout pas gagner, mais l'homme, le dernier, ne le sait toujours pas. Car il n'a pas encore gagné.
Afficher en entierDix Grands-Papas Ronchons ne cessent de dire à Petite Poucette, chômeuse ou stagiaire qui paiera longtemps pour ces retraités : “C’était mieux avant.” Or, cela tombe bien, avant, justement, j’y étais. Je peux dresser un bilan d’expert. Qui commence ainsi : avant, nous gouvernaient Franco, Hitler, Mussolini, Staline, Mao... rien que des braves gens ; avant, guerres et crimes d’état laissèrent derrière eux des dizaines de millions de morts. Longue, la suite de ces réjouissances vous édifiera.
Afficher en entierAvant, de guerre ou de maladie, de misère ou de souffrance, on mourait plus jeune, c'était beaucoup mieux. Pourquoi? Mieux, parce qu'au moment du mariage, les conjoints ne se juraient fidélité que pour cinq ans de moyenne, alors qu'aujourd'hui la statistique dit qu'ils se la disent pour soixante-cinq ans : galère !
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