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Liste des extraits

** Extrait offert par Suzanne Barclay **

Chapitre 1

Highlands, mai 1390

C’était une nuit pleine de violence, à l’unisson des hommes en cette époque troublée et chaotique. Un banc de nuages cachait la lune et rendait encore plus sombre le bosquet d’arbres sous les frondaisons duquel Lionel Sutherland était tapi. Le vent d’ouest soufflait par rafales, fouettant sans relâche les pins et les chênes tordus et rabougris.

Il n’aurait su dire à quel point il lui avait manqué, ce pays rude, battu par les vents. L’odeur de la terre humide et de la bruyère au printemps. Ce parfum si doux du pays où l’on est né. Il leva la tête et respira à pleins poumons. C’était si bon d’être enfin de retour chez soi…

Une nuit idéale pour ces coups de main où les Highlanders n’avaient pas leurs pareils — tendre une embuscade, lancer une expédition punitive, razzier le bétail d’un clan ennemi.

Lion sourit, sensible à l’ironie de la situation. La lueur joyeuse qui pétillait dans ses yeux et les fossettes qui adoucissaient les traits mâles de son visage lui avaient valu maintes conquêtes féminines. Mais pas celle, la seule, pour laquelle il aurait été prêt à donner sa vie.

Son sourire s’effaça. Oui, quelle ironie ! Braver la pluie et la tempête pour essayer de sauver la vie de l’homme qu’il détestait le plus au monde… S’il ne faisait rien et que Padruig Gunn venait à mourir, Rowena serait libre… Non, il ne serait pas capable de vivre avec un tel poids sur la conscience.

Sentant sa nervosité, Turval se mit à gratter le sol de son sabot.

— Du calme, murmura-t-il. Il n’y en a plus pour très longtemps maintenant.

Il avait quitté le château de Blantyre un long moment avant Padruig, et ce dernier était obligé de suivre ce chemin pour rentrer chez lui. Il devrait arriver d’un instant à l’autre. Lui, Lion, ferait son devoir, puis rentrerait au château, comme si rien ne s’était passé.

Son cheval dressa les oreilles.

— Il arrive ?

Rassemblant ses rênes, il se pencha et regarda à travers les branches du chêne derrière lequel il était dissimulé. Un cavalier trottait sur le sentier caillouteux qui longeait la rive d’un torrent gonflé par les dernières pluies.

— Par le Christ, il est fou de chevaucher ainsi à découvert, sans aucune escorte, marmonna Lion entre ses dents.

Il devrait le laisser se débrouiller… Non, son sens du devoir lui interdisait de ne pas l’avertir.

Lorsque Padruig approcha du bosquet où il était caché, Lion sortit à découvert.

— Que diable…

Padruig brandit l’épée qu’il gardait devant lui, posée en travers de sa selle.

— Qui êtes-vous ?

— Un ami, répondit Lion en montrant ses mains vides.

— Les amis ne se mettent pas en travers du chemin d’un voyageur au milieu de la nuit.

La quarantaine passée, Padruig était un homme grand et sec, avec des cheveux gris parsemés et un visage couturé de cicatrices. Comment Rowena avait-elle pu l’épouser ? Cela lui faisait mal de l’imaginer en train de l’embrasser, de partager son lit, de faire l’amour avec elle.

— Vous avez quitté Blantyre précipitamment. Et, étant donné le caractère délicat de ma mission, il m’a semblé préférable de vous rencontrer ici.

— Avancez un peu, afin que je puisse vous voir !

Lion fit faire deux ou trois pas à son cheval.

En découvrant le visage de Lion, les yeux de Padruig s’élargirent de surprise.

— Lion Sutherland…

Lion hocha la tête.

— Soi-même. Comment se fait-il que vous me connaissiez ?

Padruig n’avait passé que quelques heures à Blantyre, mandé par son suzerain, Alexander Stuart, comte de Buchan, et pendant ce bref laps de temps, il n’avait pas eu l’occasion d’être présenté à Lion.

Il haussa les épaules.

— J’ai mes raisons de savoir qui vous êtes.

Rowena lui avait-elle parlé de lui ? Avait-elle dit à son mari que c’était à cause de lui qu’elle n’était pas arrivée vierge à leur mariage ? A cette pensée, Lion éprouva une satisfaction sauvage. Il aurait été au moins le premier à goûter à ses charmes… Ce n’était guère suffisant, mais il n’avait rien d’autre pour apaiser ses regrets et sa frustration.

— Je vois, dit-il d’une voix nerveuse, en se demandant s’il allait devoir affronter un mari jaloux.

Ce serait la première fois, car il n’avait pas l’habitude d’aller braconner sur les terres des autres.

L’ombre d’un sourire — ou bien était-ce une grimace ? — erra sur les lèvres fines de Padruig.

— J’en doute. A moins que… Etes-vous venu ici pour me tuer ?

Lion fronça les sourcils. Padruig avait l’air d’être un homme direct et carré… Que signifiaient ces sous-entendus ? Peu importe. Il essaierait d’en percer la signification plus tard, quand il aurait le temps.

— Non, je suis seulement venu vous mettre en garde. Le comte vous a demandé des hommes pour soumettre les bandes de brigands qui ravagent les Highlands. Une requête que vous avez refusée.

Padruig jura et cracha par terre.

— Soumettre des brigands ? C’est un prétexte pour nous assujettir et nous dépouiller de nos biens. Alexander Stuart a décidé d’anéantir tous les clans qui s’opposent à lui et de s’emparer de leurs terres. Un jour ou l’autre, il se déclarera roi des Highlands, vous pouvez me croire.

Lion fut surpris que Padruig ait aussi bien compris les intentions secrètes du frère du roi. La plupart des chefs de clans qui avaient fait allégeance à Alexander avaient été abusés par ses belles paroles — quand ils ne l’avaient pas rejoint pour satisfaire leur propre ambition. Ceux qui avaient refusé appartenaient à deux catégories. Les chefs de clans sans foi ni loi qui avaient, effectivement, besoin d’être « pacifiés » et ceux qui, comme Lion Sutherland, avaient deviné les desseins du comte et voulaient l’empêcher de parvenir à son but.

C’était une tâche dangereuse, peut-être impossible. Une tâche qui avait conduit Lion à jouer le rôle d’espion à la cour d’Alexander.

— Si Alexander est aussi ambitieux et impitoyable que vous le dites, vous avez été très imprudent de le défier ouvertement. Et encore, je pèse mes mots.

Padruig haussa les épaules.

— La poignée de Gunn que j’aurais pu lui apporter ne manquera pas à son armée. Nous sommes un petit clan, pauvre et isolé.

— Il n’est pas homme à accepter facilement un refus.

Padruig grommela un juron.

Lion soupira. Il ne parvenait pas à imaginer sa jeune et rayonnante Rowena mariée à cet homme froid et bourru. Cela lui faisait trop mal.

— Il aurait mieux valu faire semblant d’approuver ses projets.

— Mentir ?

— Un mensonge est souvent utile quand il permet de gagner du temps et de sauver des vies.

— Du temps ? Pour quoi faire ?

— Pour trouver un moyen de sortir de cette situation périlleuse, répondit Lion.

— En acceptant de s’acoquiner avec un fourbe et un assassin ? J’ai entendu comment certains de ses hommes le surnommaient derrière son dos. Le Loup des Highlands. Un surnom bien gagné, si j’en crois ce que l’on dit de la façon dont il prend plaisir à torturer et à massacrer.

Lion ne put s’empêcher d’admirer sa droiture, même s’il trouvait son entêtement stupide.

— N’avez-vous donc aucune inquiétude pour votre clan ? Pour… pour votre femme ?

Le mot avait failli rester coincé au fond de sa gorge.

— Ah, ma femme…

Le regard perçant de Padruig scruta le visage de Lion.

— Je m’inquiète beaucoup pour elle. Et pour les terres que je léguerai à mon fils. C’est la raison pour laquelle je refuse de me salir les mains en m’associant à ce bâtard. Néanmoins, je vous remercie de votre mise en garde. Si j’avais été à votre place, je ne sais pas si j’aurais pris la peine de vous prévenir.

Sur ces paroles sibyllines, il reprit ses rênes et donna un coup de talon à sa monture.

Lion le regarda s’éloigner, puis, quand il eut disparu, il soupira et décida de rejoindre ses hommes qui l’attendaient, de l’autre côté du petit bois. Il y avait encore une longue route jusqu’au point de rendez-vous dont il était convenu avec Fergie Ross.

Fergie… Un autre de ces vieux guerriers obstinés qui préféraient défier le comte au lieu d’écouter les conseils de prudence de Lion.

Il n’avait pas parcouru un demi-mile quand il l’entendit — un cri rauque qui déchira le silence de la nuit.

Il jura entre ses dents et fit faire demi-tour à son cheval. Alors qu’il approchait de l’orée du bois, une troupe de cavaliers passa au galop sur le chemin qui longeait le torrent. Au moins une dizaine, s’il en jugeait au bruit que faisaient leurs chevaux. A travers les branches d’un arbre, il aperçut un éclair rouge et bleu. Les MacPherson ? Probablement. Alexander envoyait souvent Georas MacPherson faire son sale travail à sa place.

Lion attendit que les cavaliers se soient suffisamment éloignés, puis, son épée à la main, il sortit du petit bois et mit son cheval au trot. Ses craintes ne tardèrent pas à se matérialiser. Il n’avait pas chevauché pendant cinq minutes, lorsqu’il découvrit Padruig allongé dans l’herbe, au bord du torrent, au milieu d’une flaque de sang. Il descendit de sa monture et s’approcha de lui, mais un seul coup d’œil lui suffit pour voir qu’il n’y avait plus rien à faire. Le malheureux avait été percé de part en part. En pleine poitrine.

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** Extrait offert par Suzanne Barclay **

Prologue

Highlands, juillet 1384

Il n’arrivait toujours pas.

Rowena ferma les yeux, en proie à une angoisse terrible, presque douloureuse. Sa main se posa machinalement sur son ventre. Il était encore plat, mais si la vieille Meg ne s’était pas trompée — et dans ces domaines-là, elle se trompait rarement —, il ne tarderait pas à s’arrondir.

Rowena était enceinte de Lion Sutherland.

La joie qu’elle avait ressentie en apprenant la nouvelle s’était peu à peu estompée et transformée en angoisse au fur et à mesure que son attente se prolongeait. Elle frissonna en imaginant son retour au château de ses parents.

Elle entendait déjà sa mère crier.

« Petite idiote ! Tu n’as donc rien dans la tête ? A quoi pensais-tu quand tu t’es laissé séduire par un homme comme lui ? Jamais il ne t’épousera ! L’héritier du chef du clan des Sutherland ! S’il se marie un jour, ce sera avec une fille aussi riche et aussi noble que lui, pas avec une MacBean. Il voulait s’amuser, et, toi, tu as été assez stupide pour croire en ses promesses. Il doit bien rire maintenant ! »

Connaissant sa mère, elle n’échapperait pas à une correction en règle et devrait subir les regards méprisants de son frère aîné et les sarcasmes des garçons qu’elle avait éconduits.

— Lion n’est pas ainsi, maman, murmura-t-elle, le dos appuyé contre le tronc d’un vieux chêne.

Pendant deux mois — depuis leur rencontre en mai à la fête qui avait réuni les clans du voisinage —, elle était venue retrouver secrètement Lionel dans les bois, à mi-chemin entre Tarbert, la forteresse familiale, et Kinduin, l’orgueilleux château des Sutherland.

Il allait venir. Il ne l’abandonnerait pas. C’était un homme d’honneur. Il lui avait dit qu’il l’aimait. Il lui avait promis de l’épouser dans trois ans, à son retour de France — son père avait décidé de l’envoyer parfaire son éducation sur le continent.

— Tu auras alors dix-huit ans, lui avait-il dit en la serrant dans ses bras, quand les battements de leurs cœurs s’étaient un peu apaisés. Je reviendrai te chercher et je t’emmènerai dans mon fief de Glenshee — le bastion que mon père m’a donné en attendant que je lui succède un jour à la tête du clan des Sutherland.

Le souvenir de leurs ébats amoureux fit renaître une lueur d’espoir dans son cœur.

Lion l’aimait. Il viendrait. Il était seulement en retard.

Il n’avait jamais été en retard. Pas une seule fois en deux mois. Souvent, il était même venu à sa rencontre, au lieu de l’attendre au point de rendez-vous convenu, tellement il avait hâte de la retrouver. Si elle le lui avait permis, il serait venu la chercher à la porte de Tarbert, mais, craignant la colère de sa mère, Rowena avait insisté pour qu’ils se rencontrent en secret.

Les préparatifs de son départ pour la France dans quinze jours avaient dû le retarder, se dit-elle intérieurement.

La nouvelle qu’elle allait lui annoncer changerait-elle ses plans ?

Sa confiance vacilla de nouveau, puis elle se reprit au souvenir du sourire et des yeux brûlant d’amour de son beau chevalier. Il ne faillirait pas à ses promesses. Il saurait convaincre ses parents. Un prêtre scellerait leur union et il l’emmènerait en France avec lui. La cour du roi de France serait sûrement beaucoup plus imposante que le château de Kinduin, mais avec Lion à ses côtés, elle braverait sans crainte les regards des barons français. Elle se confectionnerait une robe de velours, comme celle que portait lady Elspeth, la mère de Lion. Naturellement, il lui faudrait changer de coiffure. Elle était très fière de sa longue crinière blonde et aimait la sentir battre sur son dos quand elle galopait dans la lande, mais pour plaire à Lion, elle n’hésiterait pas à adopter les macarons sévères et rigides qui étaient alors à la mode chez les femmes de la noblesse. Elle était prête à tous les sacrifices pour devenir une vraie lady et ne pas faire honte à Lion.

Son Lion.

Jamais surnom n’avait été plus mérité. Brave jusqu’à la témérité, un tempérament de feu, prompt à se mettre en colère, mais encore plus prompt à pardonner. Avec cela d’une douceur et d’une gentillesse incroyables avec elle. A cette pensée, elle reprit courage. Il l’aimait, c’était sûr.

Elle serra les pans de son manteau et regarda fixement le petit chemin de terre qui serpentait à travers les arbres. Une heure passa. Puis une autre. Ses épaules s’affaissèrent. Quatre heures. Elle l’attendait depuis plus de quatre heures. Le soleil commençait à baisser sur l’horizon. Si elle ne s’en allait pas maintenant, il ferait nuit lorsqu’elle reprendrait le chemin de Tarbert.

Après une dernière hésitation, elle détacha les rênes de son cheval de la branche où elle les avait attachés et se mit en selle. Elle se sentait raide et endolorie, comme si on l’avait battue. Battue… Elle ne tarderait pas à l’être lorsque sa mère apprendrait qu’elle attendait un petit bâtard.

Il faisait nuit noire lorsqu’elle arriva devant la porte de Tarbert. Will passa la tête par-dessus le parapet du mur et la considéra d’un air réprobateur.

— Tu rentres bien tard, Rowena.

— Je le sais. Ouvre-moi vite, j’ai froid.

Quand elle mit pied à terre dans la cour, elle avait les pieds gelés. Le logis seigneurial la dominait de toute sa masse, sombre et massif. Une lumière parcimonieuse filtrait à travers le papier huilé des fenêtres à meneaux de la salle commune. Sa famille et les domestiques étaient à table. Son estomac gargouilla, mais elle ne se sentit pas le cœur d’affronter leurs regards. Au lieu de les rejoindre, elle traversa subrepticement les cuisines et gravit l’escalier en colimaçon qui conduisait à sa chambre, sous les combles. La porte refermée et le verrou tiré, elle se déshabilla dans le noir et se glissa, toute frissonnante, entre les draps rugueux de son lit. Ce fut alors seulement qu’elle laissa libre cours aux larmes qui lui brûlaient les yeux. Elle pleura comme elle n’avait pas pleuré depuis bien longtemps. Puis, une fois la crise passée, elle s’assoupit pour se réveiller aux premières lueurs de l’aube.

Qu’allait-elle faire ? Blottie sous ses couvertures, elle échafauda et rejeta une douzaine de plans. Pour le moment, il y avait une seule chose raisonnable à faire. Aller à Kinduin et demander à parler à Lion. Alors, seulement, elle pourrait prendre une décision.

Bien que ce fût l’été, sa chambre était glaciale. Elle fit sa toilette rapidement et revêtit à la hâte sa plus belle robe. Puis elle prit un soin particulier à démêler ses cheveux, à les tresser et à rouler les tresses en macarons de part et d’autre de sa tête. Ses mains tremblaient quand elle les fixa avec des épingles. Le seul bijou qu’elle possédait était une broche en forme de cygne que son père lui avait donnée à l’anniversaire de ses treize ans. Elle s’en servit pour attacher sa cape, puis elle sortit sur la pointe des pieds de sa chambre.

Il n’y avait personne aux écuries quand elle sella son cheval. A la porte, un homme montait la garde, à moitié assoupi sur sa pique. Elle lui dit qu’elle avait une course à faire au village. Il consentit à lui ouvrir en marmonnant des mots peu aimables entre ses dents. Cinq miles, environ, séparaient Tarbert de Kinduin, une distance qui lui sembla affreusement longue, tant elle avait les nerfs à fleur de peau. Quand elle arriva en vue de la forteresse, elle avait l’estomac noué et était sur le point de défaillir. D’une voix tremblante, elle héla l’homme qui montait la garde derrière le parapet de l’une des deux tours qui protégeaient la porte d’entrée du château. Au bout d’un moment, le guichet s’ouvrit et un soldat lui fit signe d’avancer.

— Qu’est-ce que tu veux, femme ? questionna-t-il en l’examinant d’un air méfiant.

— Je… je viens voir sir Lio… Lionel Sutherland.

— Tu es seule ?

Les sourcils froncés, il scruta la forêt derrière elle, comme s’il craignait que des hommes y soient tapis, prêts à bondir.

— Oui. Pou… pourrais-je lui parler ?

— Il n’est pas là.

— Pas là ? Où est-il alors ?

— En France, répondit-il sèchement.

— Mais… Il ne devait partir que dans quinze jours…

— Son départ a été avancé.

Non. Il ne pouvait pas être parti… pas sans lui avoir laissé un mot d’adieu. Hébétée, elle vacilla sur sa selle.

— Pourquoi ? murmura-t-elle.

Les yeux de l’homme s’étrécirent.

— Qui es-tu ?

— Ro… Rowena MacBean. Je…

— MacBean !

Le soldat fit un pas en avant et la considéra d’un air de plus en plus soupçonneux.

— Je ne vois pas ce que l’une de ces pouilleuses de MacBean pourrait avoir affaire avec notre Lion. Aurais-tu l’intention de le séduire et de mettre ainsi le grappin sur un riche mari ? Va-t’en, ribaude, avant que je ne te chasse avec la pointe de ma pique !

Rowena fit faire demi-tour à sa jument et redescendit au trot le chemin escarpé qui conduisait à la forteresse, plus pour surmonter l’horrible angoisse qui lui enserrait le cœur que pour échapper aux menaces du soldat. En bas de la colline, elle lâcha les rênes de sa monture, mais le vent qui lui fouettait le visage ne réussit pas à l’apaiser. Il était parti. Sans un mot. Parti… Parti… Le mot résonnait dans sa tête au rythme du battement des sabots de sa jument. Lorsqu’elle arriva à Tarbert, la douleur s’était métamorphosée en colère. Une colère froide, meurtrière.

Elle n’avait jamais donné facilement sa confiance à quelqu’un. Lion l’avait courtisée avec toute l’habileté et le charme dont il était capable. Comme il avait dû triompher quand, finalement, elle avait cédé à ses instances ! Elle était furieuse contre lui, mais encore plus contre elle-même. Elle aurait dû deviner qu’il cherchait seulement à la séduire, à profiter de son ingénuité. Sa mère l’avait assez mise en garde contre les hommes — tous les hommes.

Le garde l’avait traitée de pouilleuse et Tarbert n’avait certes rien de grandiose. Une maison forte bâtie au milieu de terres pauvres et ingrates. Depuis l’aube des temps, les MacBean vivaient chichement de l’élevage des moutons, de la culture de quelques champs et du dressage des chevaux pour d’autres clans, plus riches et plus puissants. Cela suffisait à les nourrir et à les vêtir, mais rien de plus. Cependant, Tarbert était bien entretenu et sa famille avait une grande réputation d’honnêteté. Une honnêteté dont, apparemment, l’héritier des Sutherland était dépourvu, se dit-elle avec amertume.

* * *

A son arrivée dans la cour, les MacBean étaient en train de prendre leur déjeuner de midi. Comme tous les palefreniers étaient à table, elle emmena elle-même sa jument à l’écurie et entreprit de la dessangler.

Elle s’apprêtait à enlever la lourde selle en cuir, lorsqu’une voix rocailleuse résonna derrière elle.

— Laissez-moi faire.

Rowena poussa un cri de surprise et se retourna.

— Oh, c’est vous, laird Padruig…

Elle se détendit. Padruig venait souvent à Tarbert, soit pour amener, soit pour rechercher les jeunes chevaux qu’il confiait à John, le frère aîné de Rowena, afin de les débourrer et de les dresser pour la selle ou l’attelage.

— Où êtes-vous allée ? questionna-t-il tout en prenant la selle.

La semi-pénombre qui régnait dans les écuries accentuait les traits rugueux et taillés à la serpe de son visage. Des yeux froids. Une bouche qui ne souriait jamais.

— Je… je suis allée faire une promenade à cheval, bredouilla-t-elle. Je… merci de votre aide, mais je suis déjà en retard. Je dois rentrer maintenant.

S’il y avait une chose dont elle n’avait pas envie, c’était bien de faire la conversation avec un client de son frère.

— Un instant, l’arrêta Padruig en déposant la selle dans la paille. Venez… Un palefrenier s’en occupera plus tard.

Il lui prit le bras et l’escorta hors de l’écurie, mais en voyant qu’il l’emmenait à l’écart, vers le jardin potager, elle haussa un sourcil interrogateur.

— Laird Padruig ?

Elle n’avait pas peur, car elle le connaissait depuis longtemps et savait qu’elle n’avait rien à craindre de sa part.

— J’ai à vous parler, répondit-il brièvement.

Rowena s’arrêta, en proie à une brusque inquiétude.

— Il est arrivé un malheur ? Maman ? Papa ? John ?

Il secoua la tête.

— Rassurez-vous, il n’est rien arrivé. Vos parents et votre frère vont bien, pour autant que je sache, répondit-il sans lui lâcher le bras.

— De quoi voulez-vous me parler, alors ?

— Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais je vous ai beaucoup observée, ces derniers temps.

— Non, avoua-t-elle. Je ne l’avais pas remarqué.

Depuis deux mois, elle avait été totalement accaparée par son idylle avec Lion.

— Pourquoi ?

— J’ai besoin d’une femme, répondit-il de but en blanc.

Rowena battit des cils. Padruig détenait une sorte de record dans les Highlands en matière de mariages à l’essai, ayant contracté pas moins de quinze de ces unions éphémères au cours des dernières années. Aucun d’entre elles n’avait duré un an et un jour — la durée prescrite par les lois coutumières de l’Ecosse — car aucune des femmes qu’il avait épousées n’avait réussi à produire la seule chose qu’il désirait, un héritier pour lui succéder à la tête de son clan, les Gunn. Elle se souvint que son frère lui avait dit que son obstination à vouloir concevoir un héritier était due à sa méfiance à l’égard de son demi-frère, Enéas, qui serait le prochain chef du clan si Padruig ne parvenait pas à avoir un fils.

— En quoi cela me concerne-t-il ? questionna-t-elle prudemment.

— J’ai besoin d’une femme et je pense que vous avez besoin d’un mari, dit-il en regardant son ventre d’une façon suggestive.

Rowena se déplaça nerveusement d’un pied sur l’autre.

— Je… je ne sais pas de quoi vous…

— Oh, allons, vous le savez très bien. Vous êtes une fille intelligente et raisonnable… la plupart du temps, du moins. Vous n’avez sûrement pas trop envie d’annoncer à votre famille que vous attendez un enfant et qu’il n’y a aucun mari à l’horizon.

Elle rougit jusqu’à la racine de ses cheveux.

— Comment pouvez-vous le savoir ?

— Au fil des ans, j’ai regardé les femmes des autres hommes embellir et s’arrondir. Regardé et envié. Il y a une lueur spéciale dans les yeux d’une fille quand elle attend un enfant…

L’ombre d’un sourire effleura ses lèvres.

— Et j’ai eu la chance de surprendre, tout à fait par hasard, votre conversation avec la vieille Meg, ce matin.

— Oh…

Sentant ses jambes vaciller, Rowena chercha désespérément un endroit où s’asseoir.

Padruig lui saisit de nouveau le bras et l’amena jusqu’à un banc de bois.

— Là, asseyez-vous. Je ne voudrais pas que vous vous fatiguiez et que vous risquiez de perdre mon bébé.

— Vous… vous seriez prêt à revendiquer l’enfant d’un autre comme étant le vôtre ?

— Oui, et si vous avez écouté seulement un quart des ragots colportés à mon sujet, vous savez pourquoi.

— Cet enfant n’aura pas une goutte de sang Gunn, fit-elle observer.

— Il sera issu d’une bonne lignée. Vous êtes une fille belle, gentille et intelligente… bien qu’un peu bécasse quand il s’agit d’amour. Mais, après tout, la plupart des filles le sont. Quant au père…

Padruig Gunn grinça des dents.

— Il vaudrait mieux que son nom ne soit jamais prononcé entre nous, au cas où l’on viendrait à nous entendre, mais j’ai appris des choses excellentes à son sujet. Courageux au combat, dévoué à son clan et pourvu d’un sens de l’honneur sans faille… Je pourrai mourir sans regret le jour où je saurai qu’un garçon possédant ces qualités va me succéder et préserver ce que j’ai eu tant de mal à bâtir.

Son regard devint aussi sombre que les montagnes au-delà des murs de Tarbert.

— Je suis prêt à tout, ou presque, pour empêcher Enéas de devenir le chef des Gunn après moi. Il est sans entrailles et tellement avide de pouvoir qu’il entraînera notre clan en enfer avec lui.

Rowena regarda fixement ses mains, déchirée entre son amour pour Lion et la voix de la raison.

— Vous pensez peut-être qu’il pourrait changer d’avis et revenir vous chercher ?

— Comment savez-vous qu’il est parti ?

— J’ai mes espions… assez bien placés pour ne rien ignorer à son sujet. Son père a des grands projets pour lui. Il a décidé de l’envoyer en France, afin qu’il s’instruise et apprenne les manières de la Cour. Ensuite, il le mariera à une riche héritière. Les dernières batailles entre la France et l’Angleterre ont décimé la noblesse française, laissant maintes veuves éplorées et jeunes damoiselles désespérant de trouver un jour un mari. Il n’aura que l’embarras du choix. D’autant plus que les Ecossais, à ce qu’on dit, sont très en faveur auprès des Françaises.

Rowena soupira et baissa la tête. Ces paroles ne concordaient que trop avec les craintes qu’elle avait eues quand Lion avait commencé à la courtiser. Jamais elle n’aurait dû se départir de sa prudence naturelle… Elle aurait dû résister, se battre contre elle-même. Elle n’en serait pas là maintenant.

— Et si le bébé est une fille ?

— C’est un risque à courir. Je prendrai soin de son éducation et je la marierai à un homme de mon choix. Affaire conclue, alors ?

Une petite voix au fond de son cœur lui cria de refuser, mais, pour la première fois depuis deux mois, Rowena préféra écouter la voix de la raison.

— Oui…

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