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Le monstre ! Ses propos venimeux étaient encore plus horribles que tout ce qu’elle avait craint. Lily respira à fond, si profondément blessée par le mépris avec lequel il traitait l’affection qu’elle avait éprouvée pour Edward que, pendant plusieurs minutes, elle fut incapable d’articuler un seul mot. Elle était presque — presque ! — tentée de le prendre en pitié tant il n’avait rien compris.

Ou plutôt si, elle avait pitié de lui. Un homme aussi arrogant et insensible que Giles Montague ne pourrait jamais se figurer le genre de lien qui unissait Edward à elle, cette complicité si profonde et durable qu’il était devenu pour elle, le frère qu’elle n’avait jamais eu, en même temps que son plus cher ami.

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Intrigué par l’impertinence toute féminine de Mlle Seagrove, Giles l’examina du haut de sa monture. Enfant, Lily était une créature hirsute et indomptable, ce qu’il était tenté d’expliquer par ses origines fâcheuses. Il s’en souvenait comme si c’était hier : sa longue chevelure bouclée retombait emmêlée sur ses épaules menues, du jus de baies tachait invariablement sa bouche couleur de groseille et ses petites mains, et ses vêtements présentaient toujours un ou deux accrocs. Cela ne l’embarrassait pas le moins du monde de ramper dans le sous-bois avec Edward au cours de leurs escapades.

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Une bête qu’on ne voudrait contrarier pour rien au monde… Lily recula malgré elle, avant de risquer un coup d’œil vers son propriétaire. Imposant et large d’épaules, l’homme se découpait à contre-jour dans le soleil de cette fin d’après-midi, la figure indiscernable sous le bord de son haut-de-forme.

Cherchait-il à l’impressionner, en la couvrant ainsi de son ombre ? Lily n’avait nul besoin de voir ce visage arrogant pour savoir à quoi il ressemblait. Chacun de ses traits sombres et sévères était gravé dans sa mémoire. Le regard gris et froid sous d’épais sourcils, le nez aristocratique, les pommettes dures et bien ciselées, la bouche invariablement pincée dans une moue de dédain, le menton ferme, relevé dans une attitude hautaine…

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Huit ans les séparaient, elle et lui, si bien que lord Giles était déjà en pension au loin lorsque Lily avait été en âge de jouer plus hors du jardin du presbytère. Il ne revenait pas toujours pendant les vacances, préférant souvent passer ses congés dans la maison d’un camarade de classe. Et quand il était à Castonbury, il refusait avec dédain de gaspiller son temps avec des enfants qui auraient dû être encore confinés à la nursery, à l’en croire.

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Quel plaisir de voir renaître la campagne ! Le printemps était bel et bien de retour. Le soleil brillait, les fleurs sauvages s’épanouissaient et les oiseaux gazouillaient dans les arbres qui déployaient des feuilles toutes neuves après le long hiver. C’était une de ces fins d’après-midi où on se sentait si heureux d’être vivant qu’on ne doutait plus de l’existence de Dieu.

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Mais depuis un an, Lily se sentait bien incapable de faire preuve de la même mansuétude à l’égard de lord Giles Montague. Même si elle l’avait voulu, elle aurait eu le plus grand mal à voir en lui autre chose que le gentilhomme arrogant et dédaigneux qui l’avait si délibérément insultée lors de leur dernier entretien. Apparemment, elle et sa famille étaient d’une lignée trop basse à son goût… La seule pensée que cet être odieux ait jamais pu être un « enfant adorable » la laissait totalement incrédule !

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Le prétexte de sa visite était tout trouvé — offrir à Mme Stratton un pot de la légendaire confiture de framboises de Mme Jeffries. Nul dans la paroisse n’ignorait que les framboisiers du presbytère n’avaient pas leurs pareils dans tout le comté.

Et bien entendu, cette habile offrande lui avait aussitôt valu une invitation de Mme Stratton à prendre le thé avec elle dans son salon.

Non que la brave dame fût sujette aux commérages ! Sa loyauté à l’égard des Montague était pure et sans faille. Mais Lily espérait tout de même qu’elle pourrait infléchir la conversation, mine de rien, vers le sujet qui l’intéressait.

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Les derniers événements lui avaient ôté tout repos. Il y avait déjà quatre jours que M. Seagrove, père adoptif de Lily et ami du duc, de retour d’un dîner au château, lui avait appris que le duc avait écrit à son fils Giles, ce hautain aristocrate ayant choisi d’établir sa résidence dans la capitale depuis qu’il avait démissionné de l’armée neuf mois plus tôt. « Sa Grâce lui demande de revenir, ce qui est bien naturel. La place de l’héritier est à Castonbury Park », avait alors déclaré le pasteur.

Confidence que Lily avait écoutée avec horreur, en se rappelant les circonstances de sa dernière rencontre avec Giles Montague…

Après avoir passé ces quatre jours à se ronger les sangs à la seule pensée du retour de Montague, elle s’était sentie incapable de supporter un instant de plus sa fébrile angoisse. Mieux valait en avoir le cœur net que de se torturer ainsi !

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En tant que fille adoptive du pasteur de Castonbury, Lily était en position de se lier aussi bien avec les domestiques qu’avec les maîtres à Castonbury Park et elle avait noué des liens d’amitié avec les deux filles du logis, lady Phaedra et lady Kate.

Mais c’était le regretté lord Edward qui avait été son ami le plus cher. Enfants, ils avaient joué sur les terres du domaine. Et lorsqu’ils étaient devenus trop grands pour les jeux, ils étaient restés bons amis et avaient souvent dansé ensemble aux assemblées locales.

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— Sa Grâce semble aller beaucoup mieux aujourd’hui, merci. C’est gentil à vous de vous en inquiéter, Lily, déclara avec chaleur Mme Stratton, la gouvernante de Castonbury Park.

Tout en devisant ainsi, elle conduisait la jeune femme vers son salon privé, situé à l’arrière de la grande demeure, logis ancestral des ducs de Rothermere.

— Pas plus tard que ce matin, Smithins, le valet de Sa Grâce, m’a fait observer que l’arrivée du printemps semblait avoir eu un effet très positif sur l’humeur du duc, ajouta-t-elle en jetant un coup d’œil approbateur au soleil qui brillait derrière la fenêtre.

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