Extraits

Je lui parle de mes récents déboires avec la gent féminine, sans citer de noms. Il pense que c'était sans doute dû à une grande "franchise très rafraîchissante".

- Cela doit être un euphémisme pour dire que je suis insensible et grossière.

La cuisine est déjà petite mais, avec lui en plein milieu, on ne peut plus bouger. Je commence à étouffer car il sent très mauvais. Je n'ose ni ouvrir la fenêtre ni vaporiser du désodorisant.

- Je suis sûre qu'il porte une perruque.

- Évidemment, c'est une perruque, mais il faut faire comme si tu ne le savais pas. J'ai eu peur à un moment que tu ne tires dessus, tellement tu la regardais fixement.

Quand j’arrive à l’appartement de Sophie, ses deux colocataires, les deux C comme Chipies, sont là. Ce sont des filles qui se disent branchées et qui trouvent amusant de vivre dans un quartier célèbre. Autrefois, on y croisait Jack l’Eventreur, bien que ce dernier ait plutôt fréquenté Whitechapel en son temps. Aujourd’hui, on y rencontre des artistes connus et, malgré les restaurants asiatiques et les pubs, ce quartier a gardé son cachet d’autrefois. En tout cas, pour Jemima et Fiona, vivre à Shoreditch, le quartier hype de Londres, c’est un minimum quand on a de l’ambition. Et, de l’ambition, elles n’en manquent pas ! Leur objectif est de percer dans leurs milieux professionnels respectifs, la publicité et le marketing. Elles lisent Tatler en rêvant d’être un jour quelqu’un. Mais leur but ultime est d’épouser un jeune homme de bonne famille, si possible un joueur de polo plein aux as, qui prendra soin d’elles et leur évitera tout stress, notamment celui de gagner leur vie. A part leur besoin obsessionnel de se faire remarquer, leur occupation favorite est de se moquer de mon accent du nord — Sophie, ma compatriote, ayant perdu le sien depuis longtemps. Il est vrai qu’il est difficile de se moquer de Sophie, qui arbore un décolleté vertigineux et des petits amis plus canons les uns que les autres. Cela lui vaut un certain respect de la part des deux Chipies. Je ne comprends pas comment elle en est venue à partager son appartement avec deux filles aussi différentes d’elle.

Mais se loger à Londres est tellement difficile que parfois, il faut accepter l’inacceptable. Un jour, dans un pub près de son travail, Sophie a entendu Jemima et Fiona commenter le départ de leur précédente colocataire. Celle-ci, amoureuse d’un Brésilien, s’apprêtait à le suivre au bout du monde. Sophie, qui recherchait désespérément un logement et qui ne rate jamais une opportunité quand elle se présente, s’est immiscée dans la conversation. D’après elle, la cohabitation n’est pas si difficile parce que l’appartement est non seulement proche de son travail mais étonnamment confortable pour une HLM. Son occupant officiel le sous-loue, ce qui est formellement interdit par la municipalité, mais comme le loyer est ridiculement bas pour la superficie et le quartier, les deux C n’ont posé aucune question en entrant dans les lieux. C'est évidemment une arnaque, mais le jour où j’ai croisé l’occupant officiel, un grand mec baraqué avec une toile d’araignée tatouée sur la joue, j’ai compris pourquoi Sophie non plus n’a pas osé poser trop de questions. La conversation s’arrête lorsque j’entre dans la pièce, je comprends aussitôt qu’elles sont en train de casser du sucre sur mon dos.