Extraits

Nous sommes samedi soir, et nous sommes à Ainsworth House, en train de prendre un verre avant le dîner. Les préliminaires de l'apéritif se prolongent depuis sept heures du soir, heure de notre arrivée, et il est maintenant neuf heures et demie. Roma s'est éclipsée dans la cuisine que depuis deux minutes pour "s'occuper un peu du repas". Les Cannon font partie de ces gens chez qui la partie dînatoire, lorsqu'ils reçoivent des invités, est la moins importante. La totalité des boissons alcoolisées dont j'ai pu entendre prononcer le nom au cours de mon existence est disponible dans le bar du salon, camouflé, lors de ma première visite précédente, en buffet, ou en console, reproduction en acajou d'une pièce d'époque victorienne.

Il est manifeste qu'il nourrissait l'espoir d'être le sujet d'une biographie, au vu du soin ordonné avec lequel il conservait toutes les lettres importants (à ses yeux) qu'il recevait, et faisait une copie de celles qu'il envoyait. On y trouve très peu de détails personnels. Sans aucun doute, il veillait à ce qu'il en soit ainsi. Tout ce qui, selon ses calculs, devait aider à la rédaction de cette biographie, il le gardait emballé dans trois grandes malles en bois. Il les a léguées à Alexander, son seul fils survivant, mon grand-père, en recensant clairement leur contenu dans son testament.

Pourtant, il eut beau être une personnalité éminente de son époque, fréquenter Darwin, voir son nom mentionné sur un mode amical dans les lettres de T.H. Huxley et de Sir Joseph Bazalgette parmi d'autres, être aussi le premier docteur en médecine à recevoir une pairie - le grand chirurgien Joseph Lister en obtint une à son tour un an plus tard -, en revanche, en tant que candidat à la biographie, il ne figurait pas aux premiers rangs de mes préoccupations. A cette place se trouvait Lorenzo Da Ponte, le librettiste de Mozart. Ca, c'était une histoire intéressante : prêtre défroqué, politicien dissident, coureur de jupons, boutiquier, distillateur et professeur de musique à l'université de Colombia.

Au début de l'année dernière, j'ai été approché par un parent dont j'ignorais l'existence, et qui souhaitait obtenir des informations en vue de compléter un arbre généalogique. J'ai l'impression que cette vague des arbres généalogiques a atteint des proportions gigantesques. Tout le monde s'y met, et pourtant, dans ma famille, à ma connaissance, personne ne l'avait encore jamais fait.

Sa matière, ce sera le sang. J'ai pris cette décision longtemps avant d'entamer l'écriture de ce livre. Le sang, au sens métaphysique de vecteur d'un titre d'hérédité, et le sang comme agent de transmission d'une maladie héréditaire.