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Les poings serrés, je fonçai jusqu’à l’endroit où Dorian était assis et parvins non sans peine à le mettre debout. Ensuite, je l’entraînai à l’écart des autres en m’efforçant de ne pas remarquer que sa démarche était un peu plus raide que précédemment. J’allai nous installer assez loin du groupe pour ne pas gêner le sommeil des autres avec mon bavardage, mais suffisamment près pour être encore en sécurité. Après m’être assise dans l’herbe avec lui, je le poussai doucement pour qu’il s’y allonge. Un bref instant d’hésitation plus tard, je le rejoignis et me lovai contre lui. Le manque de lumière assombrissait ses yeux verts qui regardaient fixement les étoiles sans les voir.

— Ne me laisse pas avec lui ! murmurai-je férocement. Ne me laisse pas seule… Tu es le seul à avoir compris ce que cela m’a fait de devoir quitter mes enfants. Et je sais que Kiyo se trompe. Tu vas aller mieux. Nous avons besoin de toi. J’ai besoin de toi.

Je faillis lui redire encore que nous ne pourrions mener à bien cette mission sans lui, avant de changer d’avis. Je lui avais seriné ce couplet toute la journée, sans le moindre résultat. « Il faudra leur donner une bonne raison de revenir », avait dit Volusian.

— Je suis désolée…

Je m’étais exprimée suffisamment bas pour que seul Dorian puisse m’entendre. Et en dépit de tout, j’étais certaine qu’il m’entendait. Il devait m’entendre.

— Désolée… de ne pas avoir été très sympa avec toi, repris-je d’un trait. Et ce depuis un bout de temps déjà. Tu as beaucoup fait pour moi – probablement plus que n’importe qui –, et je t’en ai renvoyé une grande partie à la figure. J’avais tort. Je veux dire… je reste philosophiquement opposée à l’utilisation de la Couronne de Fer, tu le sais, mais je comprends pourquoi tu m’as amenée à m’en emparer. Et je sais que ce n’était pas pour me manipuler. Du moins… je veux bien croire que ce n’était pas ton intention première. Je te connais. Tu as besoin que les choses avancent, et quand tu trouves le moyen de les faire avancer, tu fonces ! C’est pour cette raison que tu es un excellent monarque et que les gens te suivraient n’importe où.

Aucune réponse, naturellement. Des larmes s’accumulaient derrière mes paupières. Une fois de plus, l’injustice de sa situation m’apparut. Une chose pareille ne pouvait arriver à Dorian. À d’autres, peut-être, mais pas à lui.

La joue posée contre son bras, je poursuivis :

— Tu es le seul à m’avoir posé la question, tu sais…

À propos des jumeaux, quand tu as voulu savoir ce que cela me faisait de les avoir quittés. Ils me manquent, Dorian. Ils me manquent tellement… Tout le temps que nous avons passé à nous traîner sur cette misérable route, à nous geler, étendus la nuit dans le froid, je n’ai pas cessé de penser à eux. Est-ce qu’ils vont bien ? À quoi ressemble leur vie ? Je n’arrête pas de me demander s’ils sont sortis de couveuse. Je l’espère, et pas seulement parce que ça signifierait qu’ils vont mieux. Je ne veux pas qu’ils passent plus de temps qu’ils n’en ont déjà passé entourés de machines. Ils ont besoin de contacts humains, d’amour. Les gens à qui je les ai confiés sont merveilleux. Ils s’occuperont très bien d’Isaac et d’Ivy, mais pourtant… j’aimerais tellement être là-bas avec eux.

Il m’apparut soudain que j’étais occupée à panser mes plaies plutôt qu’à inciter Dorian à revenir. En bâillant, je m’efforçai de revenir à mes moutons.

— Je voudrais que tu puisses les rencontrer. Je ne sais pas si je pourrai les faire venir un jour dans l’Outremonde, mais nous trouverons peut-être le moyen de t’amener jusqu’à eux ? On sait tous les deux qu’il ne faut pas compter sur leur père, mais je voudrais qu’il y ait des hommes de valeur dans leur vie. Vous êtes les hommes les plus remarquables que je connaisse, toi et Roland. Je voudrais que vous ayez tous les deux un rôle à jouer pour aider Isaac et Ivy à grandir. Surtout Isaac : il aura besoin de bons modèles d’identification.

Je faillis ajouter que mon fils aurait besoin qu’on le guide pour se protéger de la prophétie, mais ce n’était pas une bonne idée avec Dorian.

— De toute façon, dis-je en conclusion, tu dois revenir vers moi. Il y a tellement de domaines dans lesquels j’ai besoin de toi… et nous avons encore tant de choses à faire ensemble. Et je ne parle pas que du fléau. Tu m’as dit que tu voulais aplanir nos différends et rétablir la confiance entre nous. C’est ce que je veux également. Mais je ne peux le faire sans toi…

Dans un film, cela aurait été le moment idéal pour lui de revenir à la vie, façon prince charmant. Il n’en fut rien. Dorian demeura exactement tel qu’il était resté toute la journée. Découragée, je balayai d’un revers de main rageur mes larmes traîtresses. La fatigue me rattrapait, et il me fut impossible d’ajouter d’autres paroles à toutes celles que je lui avais déjà dites. Néanmoins, je ne pus me résoudre à le quitter. Même si je n’étais plus en état de le supplier, je voulais qu’il sache que j’étais là. Je me lovai un peu plus contre lui, le visage enfoui contre sa manche au cas où d’autres larmes couleraient.

En dépit de mon chagrin, le sommeil me cueillit rapidement. Le corps sait toujours ce qui est le mieux pour lui quand l’esprit ne veut rien entendre. Je dormis comme une masse, et nul ne vint me réveiller pour que je prenne mon tour de garde. Je m’éveillai le lendemain matin aux premiers rayons du soleil chauffant ma peau.

Je sentis quelque chose m’effleurer le visage. J’ouvris les yeux, m’attendant à découvrir un papillon. À la place, je vis les doigts de Dorian me caresser la joue, et ses yeux plonger au fond des miens avec tendresse. Comme d’habitude, ils étaient verts, pailletés d’or… et aussi pleins de vie et de malice que dans mon souvenir.

— Dorian ? murmurai-je, osant à peine y croire.

Je me laissai emporter par une joie et un émerveillement dont je ne me serais jamais crue capable.

— Lui-même…, répondit-il, juste avant de déposer un baiser sur mon front. Je t’ai manqué ?

— Peut-être un peu.

— Juste un peu ?

— Bon, d’accord : peut-être beaucoup.

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Je trouvai Dorian plongé dans une activité typiquement dorianesque : la chasse. Enfin, en quelque sorte... La clairière était parsemée d'effigies en bois peintes de couleurs criardes représentant divers animaux grandeur nature. En m'approchant, je vis Murran, valet de chambre et souffre-douleur habituel du roi de Chêne

, brandir nerveusement devant lui un grand cerf rose. A l'autre bout de la clairière, Dorian bandait un arc impressionnant et les visait, l'animal et le serviteur, avec la plus extrême concentration. Il lâcha la corde et la flèche, avec un bruit retentissant, atteignit le bord supérieur de la cible, dangereusement près des doigts de Murran.

- N'est-ce pas un peu dangereux? demandai-je.

- Bien sûr que non, répondit Dorian en réarmant son arc. Ces animaux ne sont pas réels, Eugénie...

- Ca j'avais remarqué. Les gros pois rouges sont assez parlant. C'est pour Murran que je m'inquiétais.

Dorian haussa les épaules.

- Il est toujours vivant, non ?

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Dorian m'interrompit en prenant mon visage entre ses mains afin de m'obliger à le regarder.

_Eugénie, Eugénie...murmura-t-il. Je te l'ai déjà dit cent fois. Il n'y a rien en ce qui me concerne. Je sais ce que je veux: je te veux toi. Pas seulement en tant qu'amante ou alliée. Je te veux à mes côtés, pour toujours. Je veux partager tous fous rires et me réveiller chaque matin en ouvrant les yeux sur toi. Je pense qu'un jour- le plus tôt possible, j'espère- tu le voudras aussi. Jusqu'à ce jour, je resterai ici, à t'attendre.

Pour conclure, il posa ses lèvres sur les miennes en guise d'adieu.

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je me retrouvais, dans cet avion, sur le point de revoir enfin! mes enfants. la derniere visite que je leur avais faite à l'hopital datait pres de trois mois.

quelque part au fond de moi, je m'attendais presque a les retrouver adultes et en route pour la fac...

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_Quand êtes vous devenue un tel monstre? demandai-je.

Il m'était difficile de me souvenir, désormais, qu'elle et moi avions pu un jour être amies et alliées.

_Comment avez-vous fait pour devenir si monstrueux tous les deux? ajoutai-je. Ce que vous venez de aire est pire que n'importe quel crime que Pagiel aurait pu commettre. Même si vous parvenez à vous enfuit aujourd'hui, vous imaginez-vous vraiment que je vais vous laisser vous en tirer ainsi?

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_Jean et émeraudes... s'étonna t-il. Tu veux lancer une mode?

_le choc des cultures, plaisantai-je. Il faudra t'y faire, car c'est tout moi. Je ne pense pas pouvoir renoncer à aucun des deux mondes. Et encore moi à toi...

_Cela va sans dire! s'exclama t-il en riant, comme si je venais de proférer la chose la plus absurde qui soit. Qui le pourrait?

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Quand tu as tout ce dont tu as besoin, pourquoi compliquer les choses? [...] J'ai bien assez de sujets de satisfaction pour le moment. Les gens ont tendance à se focaliser sur ce qu'ils n'ont pas et ça les déprime. Le bonheur, c'est l'instant présent. Ce qui compte vraiment, c'est de ne pas le gâcher. Garder un oeil sur l'avenir, certes, mais sans oublier de vivre maintenant.

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Volusian marqua un temps d'hésitation, puis se lança :

-Maîtresse... je ne vous ai jamais rien demandé depuis que vous me maintenez en servitude. Mais aujourd'hui.. je vous en supplie: ne me faites pas passer la nuit à transmettre ces petits mots doux d'adolescents attardés!

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Là modestie n'avait jamais fait partie des vertus prisée par Dorian.

- Tu ne te rends pas compte que j'ouvrirai la terre sous les pieds de quiconque oserait poser la main sur toi?

- Je m'en rends compte, mais je ne pense pas que tu puisses rester en permanence près de moi.

-Et pourquoi pas ? Repliqua t-il d un ton radouci. Je pourrais demeurer ici en permanence avec toi. Bien sûr, il me faudrait de temps à autre effectuer un aller-retour en terre de Chêne, mais ne vaut il pas mieux que ce soit moi qui me retrouve sur les routes, plutôt que toi? A moins, bien sûr, que ma chevelure ne conduise à une autre méprise.

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Je peux?

-Ils ne sont pas tes petits prodiges !

À contrecoeur, je lui donnai mon autorisation d'un hochement de tête et ajoutai en maugreant :

-Ça ne sert à rien, de toute façon. Si je ne les ai moi même pas encore sentis bouger, tu ne pourras pas non plus.

-Peu importe. J'aime être en contact avec eux. Nous allons être proches eux et moi . Enfin... si tu cesses de jouer les obstinée et que tu me laisses les adopter.

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