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C'est ainsi que nous devons traverser la vie. Libres de révéler au grand jour les sons, les couleurs, les mots qui vivent en nous et de les donner à tous, tels qu'ils sont derrière nos yeux, comme un peintre qui ne perd pas de temps à copier les choses qui l'entourent mais peint sur la toile blanche ce qu'il voit en lui-même. Comme un écrivain qui ne raconte pas les choses qu'il a vues mais transcrit seulement avec sa plume les histoires déjà terminées qui vivent en lui.
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Primo sentit la vie entrer en lui moqueuse et ressortir par son dos comme un violent souffle de vent de plage. Il regarda devant lui la route droite sur la digue qui séparait la terre immobile du fleuve d'argent qui allait, lent et résigné, mourir dans la mer. Il sentait maintenant un calme léger dans sa poitrine vidée et paisible. Ainsi, se dit-il, depuis le début du voyage, il allait vers la source, sans s'en apercevoir. Il revenait là où tout commence.
Afficher en entierOn était en septembre quand Erlinda belle disparut. Il commença à pleuvoir, murmura Artioli, et le fleuve revint en toute hâte, emportant vers la mer les parasols oubliés, les voix, les châteaux de sable, les cabines colorées de blanc et de rouge. Je continuai à aller sur la digue tout l'automne durant et sous l'eau du fleuve qui coulait grise et lente, je voyais les gens, les îles, la longue plage blanche et les cheveux noirs d'Erlinda. C'est pour cela que je ne me suis jamais marié, parce que mon coeur est resté là-bas, sur la plage de cet été.
Afficher en entierD'ailleurs c'est un cheval du fleuve et il a travaillé trop longtemps dans des campagnes lointaines. Depuis qu'il est revenu, il ne pense qu'à mourir dans son eau. Je le comprends. Nous la regardons chaque matin, nous la buvons, elle nous fait vivre, nous en rêvons la nuit. Notre monde est ici, entre les digues, et c'est là que nous voulons mourir. En dehors, c'est la terre des autres.
Afficher en entierExcuse-moi pour le désordre, poursuivit-il en montrant à Primo les livres posés partout, sur les chaises, sur la table, sur les radiateurs, le carrelage de ciment gris brillant. Ce n'est pas un problème de place, c'est seulement que j'ai abandonné. Je n'ai plus assez de force d'âme pour avoir la cruauté de les mettre sur l'étagère d'une bibliothèque. Vois-tu, dit-il en chassant la poussière du dos d'un volume relié de cuir rouge, petit déjà, lorsque je restais éveillé toute la nuit à lire un livre, je ne supportais pas l'idée que les hommes et les femmes que je venais de voir doivent finir serrés et immobiles dans une bibliothèque.
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Lorsque la charrette atteignit le sommet de la digue, Primo sentit son souffle s'arrêter dans sa gorge et il déglutit face à la majesté du grand fleuve qui revenait dans sa vie. Il coulait imposant et fier, tel qu'il ne l'avait plus jamais revu depuis ces après-midi solitaires de son enfance où il restait des heures durant sur la rive à lancer des pierres loin dans l'eau et à regarder les bateaux qui passaient lentement, chargés de bois, de sable, de montagnes de sucre. Il l'avait oublié, perdu dans les journées prudentes de son existence ordonnée, mais il était encore là, comme autrefois, puissant et éternel, gonflé de douceur et de violences secrètes.
Afficher en entierTout petit déjà, mon fils me demandait de lui expliquer ce qu'était l'amour, comment on pouvait dessiner ce qu'on éprouvait pour les grands-parents ou pour les parents et pour m'en sortir, je lui racontais qu'il existait, mais qu'on ne pouvait pas le voir et encore moins le dessiner. Lorsqu'il alla en ville pour faire ses études de médecine il m'écrivit qu'il faisait des tas d'autopsies et que chaque fois il essayait, en vain, de le trouver caché quelque part. Et que pourtant il y était. Ainsi, depuis des années, il m'envoie de Borello des caisses pleines d'amour rien que pour moi et il les remplit toujours de paille pour qu'il arrive là encore intact.
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