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Aujourd'hui adulte, je continue à croire que nous devenons ce que nous voyons se refléter dans le regard des autres ;

il est par conséquent important que quelqu'un nous dise que nous sommes bien.

Cela peut paraître puéril, mais uniquement aux yeux de ceux

qui n'ont jamais dû payer leur écot au destin et partant,

ne s'interrogent pas sur leur identité,

parce que leur propre expérience - ou leur absence d'expérience - n'a jamais exigé d'eux qu'ils se définissent en tant qu'individus.

On en rencontre, de ces gens-là, aux soirées-cocktail des universités,

on en trouve aussi chez les journalistes

qui craignent et envie puissance et célébrité,

mais aiment par-dessus tout à vivre dans les sphères où elles se manifestent.

Ils cachent toujours un rictus méprisant derrière l'éclat de leurs rires.

Jamais il ne leur a été donné d'entendre un coup de feu tiré dans un accès de colère,

jamais ils n'ont eu à arpenter un quartier bombardé au mortier,

jamais ils n'ont vu un gamin de dix-neuf ans, mitrailleur de flanc à la porte de son hélico devenir soudain complètement givré, à tirer sur tout ce qui bouge, dans une zone franche.

Ils dorment d'un sommeil sans rêves.

Et les inquiétudes dérangeantes de ceux qu'ils sont incapables de comprendre

les font bâiller.

Personne n'aura jamais besoin de leur dire qu'ils sont bien.

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Vous avez le corps qui vous brûle encore de honte,

votre voix sonne comme une crécelle bizarre à vos propres oreilles,

votre regard est chargé de culpabilité et de mépris pour vous-même

pendant que des gens en uniforme se promènent autour de vous

comme si de rien n'était, avec, à la main,

leurs gobelets de café en polystyrène.

Puis il y a quelqu'un qui tape vos paroles à la machine pour en faire un rapport

et vous vous rendez compte alors que c'est là tout ce à quoi vous aurez droit.

Aucun inspecteur ne viendra vous rendre visite à domicile,

il est peu probable qu'on vous convoque pour identifier un suspect

au cours d'une séance de tapisserie,

il n'y aura pas d'adjointe du procureur bien sympathique

pour venir s'intéresser en détail à votre existence.

Puis vous regardez autour de vous,

les murs, les classeurs, les casiers du poste de police ou du commissariat,

les ceinturons chargés d'armes

que portent les agents aux gobelets en polystyrène,

vous jetez peut-être même un coup d’œil à l'intérieur des voitures de la brigade

rangées dans le parc de stationnement,

et vous prenez conscience de la réalité de la situation avec ironie.

Les râteliers de fusils M16, les Mauser à lunette,

les fusils à pompe calibre douze chargés à la chevrotine double zéro,

les 38 spécial et les Magnum 357, les fusils paralysants,

les matraques, les bidules, les grenades lacrymogènes,

les tiroirs pleins,

triques à décharges électriques,

gaz paralysant,

chaînes et menottes,

cartouches et balles par centaines,

tout cela n'a rien à voir avec votre sécurité

et les outrages que votre corps a dû subir.

Vous ne représentez qu'une surcharge de travail

pour quelqu'un qui est déjà surchargé.

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Parfois, il vous suffit de franchir une porte de votre esprit

et de perdre trente à quarante ans

pour vous souvenir de celui que vous êtes.

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Je fis une prière étrange.

C'est une prière qu'il m'arrive parfois de réciter,

une prière qui sert mes propres desseins ;

mais parce que je suis convaincu que Dieu n'est pas limité ainsi que nous le sommes

par le temps et par l'espace,

il m'arrive parfois de croire qu'Il peut influencer le passé

même lorsque les événements ont déjà eu lieu.

Aussi à mes moments de solitude, parfois,

en particulier le soir, lorsque tout est sombre,

lorsque je commence à penser avec une complaisance morbide

aux souffrances abominables que certains ont dû endurer avant leur mort,

je demande à Dieu de les soulager rétrospectivement de leur douleur,

de les assister d'esprit et de corps,

d'engourdir leurs sens,

de rafraîchir et d'apaiser les flammes qui sont venues leur lécher les yeux

à leurs derniers instants.

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Mais parfois, il arrive, au crépuscule,

lorsque les fermiers brûlent les chaumes de canne à sucre dans les champs,

lorsque les cendres et la fumée se lèvent pour se déposer sur le bayou,

lorsque les feuilles rousses passent en paquets devant mon ponton

et que l'air est froid et doux-amer des odeurs de sucre brûlé,

que je pense aux Indiens et au "peuple de l'eau",

je pense aux "voix qui parlent sous la pluie"

et nous mettent au défi de replonger dans hier.

C'est à ces moments-là que je cours ramasser Alafair comme à la volée

pour la poser sur mes épaules

et nous descendons le chemin au galop au travers des chênes,

pareils au cavalier et sa monture, en direction de la maison,

où Batist est en train de griller le gaspagoo au barbecue sous la galerie,

où des masques de papier découpé sont collés aux fenêtres,

et les dragons se changent en jouets de peluche,

de ceux que l'on ignore et que l'on abandonne,

pareils aux ombres obscures du cœur qui,

par un beau matin,

ont disparu,

emportées par la saison.

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Je l'appelai ma fille Mennonite,

dont l'enfance s'était tissée de bleuets et de lupins.

Ses défauts étaient les défauts de l'excès - en amour, en pardon, en souci d'autrui, en foi

et en conviction que le bien prévaudrait toujours sur le mal.

Il arrivait rarement, pour ne pas dire jamais, qu'elle se montrât critique des autres,

et lorsque leurs vues ne coïncidaient pas avec sa propre vision du monde,

sa vision excentrique de fille de Kansas,

elle ne voyait en eux que des victimes de ce qu'elle qualifiait de bizarrerie,

condition qu'elle en était venue à reconnaître pratiquement partout.

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Tu me fais penser à un mec qui viendrait de dépenser son dernier centime pour s'acheter un laxatif en oubliant qu'il faut mettre un franc dans la porte des toilettes.

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Appelez la police, m'avait-elle dit.

Dieu de souffrance, songeai-je, pourquoi faut-il qu'au milieu de situations à problèmes,

quasiment chacun s'en remette à des axiomes et des remèdes

qui sont autant de produits de la société

dont personne en réalité ne soit convaincu de l'efficacité ?

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Il en est certains qui se refuseront toujours à comprendre

qu'il faut bien du courage pour grandir dans un lotissement de l'Assistance sociale

tel que celui qui existe près du vieux Cimetière Saint-Louis à la Nouvelle-Orléans.

Demandez donc à un touriste qui a visité le cimetière en question,

en groupe conséquent comme il se doit,

même en plein jour.

Sinon, lorsqu'on se sent d'humeur suicidaire

avec le désir de vivre une expérience pleinement existentielle,

on peut toujours essayer de traverser Louis Armstrong Park,

situé tout à côté du lotissement social, la nuit.

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J'avais visité ou traversé plus d'une réserve indienne ; aucune ne m'avait laissé le souvenir d'endroit agréable. Celle-ci ne faisait pas exception. Ernest Hemingway a écrit un jour qu'il n'est de pire destin pour un peuple que de perdre une guerre. S'il s'en trouve d'aucuns parmi ses lecteurs à être en désaccord avec lui, il leur suffirait de visiter un de ces lieux où le gouvernement des Etats-Unis a placé ses habitants d'origine. Nous leur avons pris tout ce qu'ils possédaient pour leur offrir en retour la variole, le whisky, l'assistanat organisé, les internats fédéraux et les pénitenciers.

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