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La journée s’était écoulée mollement, sous une chaleur orageuse persistante. Dans le jardin, le sol lourd sous mes pieds nus s’accordait à
la moiteur de l’air, à peine était-ce plus respirable que dans la maison.
Jusqu’à la nuit tombée, j’étais demeurée lasse, comme engourdie, et maintenant le sommeil se dérobait. Je ne regrettais pas ma promenade nocturne, je m’abandonnai au hasard dans l’herbe tiède, le visage tourné
vers le ciel. Mon corps relâché sembla un instant suspendu, une légèreté
diffuse me gagnait, dispersant mes pensées vers l’infini. Qu’il serait bon de s’endormir sous les grands chênes, s’éveiller dès la fraîcheur de l’aube, surprendre la délicatesse du jour naissant. Ces plaisirs simples me comblaient. Je découvrais à l’âge de trente quatre ans, une liberté
d’être jusqu’alors inespérée. Mon mari était mort à la fin de l’été 41, sans me laisser ni chagrin, ni enfant. J’étais veuve depuis un an à peine, pourtant ces quelques mois donnaient l’impression de compter des années. Mes souvenirs devenaient flous, étrangers, je me surprenais à
penser que ce n’était pas moi qui avais passé tant d’années à ses côtés.
Ses éclats de voix, sa démarche lourde, son souffle sur mon épaule lorsqu’il dormait appartenaient à une autre. Désormais chaque jour annonçait, dans les secrets de l’aube, la promesse d’heures contemplatives; et j’aimais à penser, non sans orgueil, être une femme exceptionnelle, puisque j’étais une femme libre.
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