Extraits

Et le monde? Le monde fait sûrement tout ce qu'il peut. On interpelle et on proteste, on convoque les comités des Trois, des Treize et des Dix-Huit, la Croix-Rouge fait sonner son tronc de charité, "La charité sauve de la mort", la presse et la radio prononcent des oraisons funèbres, l'archevêque de Canterbury dit une prière pour les morts, dans les églises on dit le Kaddish, et le monde des bons bourgeois lève son verre pour trinquer à la vie et se souhaiter "Mazeltov", que les âmes s'élèvent en paix et à nous le salut.

Alors, camarades, écrivez, notez, bref et tranchant, bref comme les jours qui nous restent encore à vivre, tranchant comme les lames qui nous percent au cœur. Qu'il demeure après nous quelques pages pour le YIVO, pour les archives de la douleur en yiddish, que nos frères libres, restés en vie, les lisent, et peut-être y trouveront-ils aussi une leçon.

La corde est déjà passée autour de notre cou. Le bourreau est magnanime. Il a tout son temps. Il joue avec la victime. En attendant, il sirote une chopine de bière, fume une petite cigarette et sourit de contentement. Profitons de ce moment où le bourreau est occupé à boire, nous utiliserons la potence comme pupitre pour mettre sur papier ce que nous avons à dire et à raconter.

Les larmes./Les larmes dans l’œil frère./L'une d'elles est restée suspendue, a grossi./ Nous habitons dedans./Respire, pour/ qu'elle se détache.

et bien qu'ils aient encore eu des chances de vivre plus longtemps et même de vivre dans de bonnes conditions, car nous ne manquons ni de nourriture, ni de boisson, ni de quoi fumer (...) et pourtant à décider de mettre héroïquement fin à sa propre vie, c'est à saluer et à inscrire dans notre histoire.