Ajouter un extrait
Liste des extraits
Il ne ferma pas l’œil la première nuit. Couché à même le sol sous sa couverture, il garda les yeux rivés au ciel jusqu’à ce que les ténèbres virent au violet, puis au gris, et que la laine de sa couverture soit constellée de petites gouttes de condensation, comme de minuscules diamants. Odeur de créosote et de sauge du désert, dôme des étoiles. Il se passait plus de choses là-haut dans le ciel qu’en bas sur la terre, mais il fallait s’arracher à la ville pour s’en rendre compte. La ville et ses foutues verticales qui vous bloquaient la vue, ses canalisations, ses câbles et tout le reste qui couraient sous vos pieds, vous enfermant, rompant les flux. Le désert, en revanche, personne n’y avait touché. C’était une terre qui vous laissait en paix.
Il pensait avoir de bonnes chances de réussir. Il était encore suffisamment jeune pour se charger du travail physique et n’avait ni femme ni enfants. Et il avait la foi. Sans quoi il aurait renoncé depuis longtemps, dès l’époque où, encore gamin, il lisait les publicités de vente par correspondance à l’heure du déjeuner et rédigeait ses premières notes timides sur les mystères qui l’entouraient. Ce qu’il voulait maintenant, c’était ne plus être dérangé. Il se moquait de ce que pouvaient penser de lui les gens de la ville voisine. Il était poli, échangeait quelques mots quand il allait faire ses courses à la supérette, sans plus. Les hommes dans leur grande majorité étaient des idiots. Vérité qu’il avait découverte sur l’île de Guam. Ces fils de pute ne le lâchaient pas une seconde, lui donnant des surnoms, multipliant les plaisanteries débiles à son endroit. Il s’en était fallu de peu qu’il fasse ce qu’il avait envie de faire, mais, après ce qui était arrivé avec Lizzie, il n’en avait pas le droit, et il avait maîtrisé sa colère, continuant à se battre. Ces crétins avaient participé à Dieu sait combien de missions et, malgré le nombre d’heures de vol accumulées, et toutes ces chances de voir, ils croyaient toujours que le vrai monde était au sol, dans les queues pour le rata, entre les jambes des pin-up qu’ils collaient au-dessus de leurs lits de camp qui sentaient le fauve. Il n’avait rencontré là-bas qu’une seule personne dotée d’un minimum de bon sens : un jeune bombardier irlandais, qui s’appelait… comment déjà, Mulligan, Flanagan, un nom irlandais, quoi, et qui lui avait parlé des lumières qu’il avait repérées alors qu’ils se dirigeaient vers leur cible, Nagoya, pour y lâcher une bombe, des points verts qui se déplaçaient trop vite pour être des avions kamikazes. Le gamin avait demandé à Schmidt de lui prêter un bouquin, qu’il ne lui avait jamais rendu. Huit jours plus tard, il sombrait dans la mer avec le reste de son équipage.
Afficher en entier