Extraits

— La plupart des Romains avaient trois noms, expliquai-je. Le prénom, le nom de famille, et enfin un surnom, ou un titre. Ces lettres grecques, Gamma Phi Rho, pourraient être un substitut pompeux et érudit pour les trois lettres latines CFR. Le Gamma, ou C, doit représenter le prénom Romain le plus courant, Gaius. Captivé par les lignes et les courbes soigneusement gravées de l’inscription, je me forçai à reposer la plaque sur le plateau, avant de me rapprocher seul de la dague intacte pour la réexaminer pendant que Stefano et Yves discutaient d’opportunités de financement. Levant l’arme à deux mains, je baissai les yeux sur la lame scintillante, me demandant où elle avait été et comment elle avait pu atterrir dans une villa cryptoportique. Sans réfléchir, je marmonnai entre mes dents :

— Il semblerait que nous ayons trouvé ta dague, Gaius. Qui que tu aies pu être.

Après avoir nagé gracieusement sous l’eau du côté opposé du petit lac, il refit surface derrière le rideau scintillant de la chute d’eau.

— Je crois que je viens de trouver la très rare grenouille lion ! s’écria Allerix d’un ton moqueur.

Gaius passa la tête par un espace dans la cascade d’eau et plaisanta :

— Viens titiller mon crapaud à corne avec tes moustaches, Prince Loup.

Gaius s’avança derrière lui et glissa les bras autour de l’abdomen tendu d’Alle.

— Je sais enfin que tu m’aimes. Mon cœur déborde d’euphorie, marmonna Gaius dans les cheveux d’Allerix, avant de le faire se retourner. Veux-tu bien le répéter ? Je veux regarder tes lèvres sublimes prononcer les mots que j’attends d’entendre depuis si longtemps.

Alle posa les bras sur les épaules de Gaius et parla d’un ton délibérément passionné et intrépide :

— Je vous aime, Gaius.

Souriant d’une oreille à l’autre, Gaius ferma les yeux un instant pour savourer à nouveau chaque syllabe dans son esprit, avant de répondre :

— Je t’aime aussi, Prince Allerix. Tu as sauvé ma misérable vie plus d’une fois.

Elle prit le menton de Gaius en coupe dans sa main et le fusilla du regard.

— Tu as l’occasion d’aider mon fils. Donne-moi ton véritable nom.

Gaius se lécha les lèvres, ignorant la précaution dictée par sa raison pour écouter son cœur :

— Je suis Gaius Fabius Rufus, commandant en second de Rome, conseiller principal du conseil impérial de notre estimé Empereur Trajan, et Lion de la Quatrième Légion Chanceuse. Elle sourit.

— C’est une liste impressionnante de titres, pour un seul homme.

— Combien d’idiots as-tu dit qu’il y avait, Alle ? demanda-t-il juste avant de se hisser sur le dos du beau hongre bai.

— Vingt-cinq. Peut-être trente.

— Et nous allons combattre cette petite armée à nous deux pour récupérer le Romain ? Il y a intérêt à ce qu’il vaille toute une charretée d’or.

— Je viens avec vous, intervint Gorgas. Je peux, Alle ? Euh, je veux dire, Prince Allerix ?

— Oui, bien sûr, marmonna Allerix, écoutant à peine. Tu peux monter le cheval doré, Gorgas.

Les yeux bruns profonds de Gorgas s’élargirent de surprise.

— Vraiment ? Je peux monter Xanthus ? Tu vois, Oroles, nous sommes trois, maintenant, et plus deux. Oroles émit un petit rire.

— Eh bien, maintenant nous avons l’avantage.

— Je suis soulagé de savoir que vous êtes de nouveau en bonne santé, monsieur.

— Et moi donc. Maintenant, il y a une chose que j’aimerais que tu fasses pour moi.

Alle baissa les yeux sur l’entrejambe de Gaius.

— Que je me retourne ?

Gaius rit.

— Plus tard, mon satyre libidineux. Nous avons encore des heures à passer sous la lueur de la lune.

— Par les dieux, toutes vos boucles sans exception ont disparu.

Gaius plongea la main dans sa bourse et en tira un petit sachet en tissu.

— J’ai préservé une mèche de ma crinière spectaculaire pour toi. Cette coupe de cheveux est effectivement affreuse, n’est-ce pas ? Devrais-je devenir Aspasia et porter une perruque ?

— Non, monsieur. Vous ressemblez… vous ressemblez à un soldat romain. Alle poussa un soupir résigné, mais ne put résister.

— Puis-je toucher ?

Avec un sourire idiot, Gaius inclina la tête en avant. La couche de crins courts d’un roux cuivré chatouilla la paume d’Alle. Il écarta sa main, rit et déclara :

— Vous êtes passé du lion au hérisson.

— Si j’étais un hérisson, j’hibernerai durant tous les mois froids dans une tanière confortable, avec toi blotti à mes côtés, Prince Loup. Malheureusement, je suis en service pour tout cet hiver. Attends… les loups ne mangent-ils pas les hérissons ?

— Je crois bien que si, Dominus.

— Suis-je assez propre pour dormir dans votre chambre ? Gaius se leva et posa les mains sur les hanches tout en reniflant plusieurs fois l’air, dilatant les narines et faisant des grimaces ridicules. Sans un mot, il tendit la main droite et afficha son sourire à fossettes le plus rayonnant pour inviter Alle à sortir de cette foutue piscine pour le rejoindre. Tout en attrapant la main trempée d’Alle, Gaius ronronna :

— Viens dans ma tanière avec moi pour cajoler la queue négligée de ton pauvre hérisson.

— Ces nouveaux bains sont-ils opérationnels ?

— Ils sont en service depuis plus de deux mois, maintenant. Voulez-vous examiner l’installation, Commandeur Fabius ? demanda Naso avec une pointe de fierté.

Il pointa du doigt vers la fumée blanche s’échappant en tourbillonnant de tuyaux sur le toit d’un bâtiment en briques de l’autre côté du fort. Les fours réchauffant les chaudières, le sol et les murs tournaient à plein régime ; Gaius ressentait presque le soulagement exquis de tremper ses membres fatigués dans une piscine fumante d’eau de source saine de montagne.

— Qu’en dis-tu, Légat Petronius ? Prêt à ôter ton uniforme avec moi pour exhiber nos zizis sénatoriaux ?