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Prologue
Quand j'étais petit, je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas qu'on ne me comprenne pas. Je ne savais pas qu'il y a des choses enfouies si profondément à l'intérieur de soi que les autres, même s'ils plissent les yeux, se concentrent du mieux qu'ils le peuvent, ne les voient pas.
Quand j'avais quatre ans, je voulais raser mes cheveux, je voulais faire pipi debout. Je voulais qu'on me parle au masculin, même si tout le monde s'entêtait à m'appeler Éloïse et à m'offrir des robes.
Quand j'avais huit ans, je voulais faire du hip-hop pour toujours, je m'imaginais porter un complet lorsque je serais devenu adulte. Comme mon père.
Et, quand j'avais dix ans, je voulais faire du skate-board et oublier. Surtout oublier. Que je me posais des questions. Que j'avais peur des réponses.
Ces choses que je voulais quand j'étais petit, je les voulais encore, désespérément, en vieillissant. Même si je savais que le mien était celui d'une fille, je souhaitais, dès que la chance m'en serait donnée, avoir le corps d'un garçon. Qu'on m'appelle par un nom de garçon, qu'on me dise "jeune homme", grandir en sachant que j'allais avoir de la barbe, une poitrine plate, un pénis...
Quand j'ai su qu'espérer n'était pas suffisant, j'ai eu mal. J'ai pleuré et j'ai pensé mourir, j'ai blessé mon corps, celui dont je ne voulais pas.
J'aurais aimé qu'on me dise, quand j'étais plus jeune, que les choses qu'on croit acquises ne le sont pas toujours. Que ce qui semble une question de blanc ou de noir cache parfois un millier de nuances de gris. Et que quelqu'un qui est né dans le corps d'une fille peut en fait être un garçon...
Que l'impression d'être un étranger dans son propre corps est normale. Que s'imaginer être différent est normal. Que de vouloir que les gens nous reconnaissent pour la personne qu'on se sait être est normal. Toutes ces émotions sont normales quand on est transsexuel. Quand on est comme je suis.
Quand j'avais douze ans, on m'a dit que j'avais le droit d'être moi. D'être un gars dans un corps de fille, que j'existais pour de vrai et que je pouvais être réparé si je le souhaitais, Avec le temps, les choses s'améliorent, dit-on. Pour moi, ce fut le cas.
J'ai rencontré ce médecin qui m'a tout expliqué, qui m'a dit: "Oui, tu es un garçon, je te crois." Il m'a fait des piqûres pour que mon corps arrête de changer, pour que je ne sois plus menstrué, jamais, pour que j'aie la chance de rester un peu enfant, dans cet espace-temps où il n'y a pas tellement de différences extérieures entre les garçons et les filles.
Puis, quand j'ai eu seize ans, j'ai pu commencer à recevoir des injections de testostérone, hormone qui allait supplanter l'œstrogène qui coulait dans mes veines. À ce moment... le soulagement! J'ai eu droit à la voix qui craque, aux boutons et aux courbatures. J'ai eu droit à une puberté de garçon. Mon corps a changé, de la barbe a poussé sur mon menton, j'ai mué, ma physionomie tout entière est devenue celle d'un homme. Un jeune homme.
Depuis, je me sens mieux, je me sens moi, je n'ai plus aussi mal. Malgré les problèmes que ma situation m'a causés avec ma famille, malgré les amis que j'ai perdus et les insultes et les agressions auxquelles j'ai eu droit, malgré tout ce qui reste d'inconnu et d'incertain dans ma vie, je suis moi, je suis Éloi.
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