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Avec amertume, je me suis souvenu de l’époque où j’avais intégré le parc national, du jeune garde que j’étais à mes débuts, plein de zèle et de bonnes intentions, persuadé d’avoir trouvé là le boulot de mes rêves. Sûr que j’avais déchanté depuis ce temps-là, compris que la nature, les hommes étaient plus forts pour la détruire que pour la préserver, parc national ou pas.
Afficher en entierLe Rouergue, p. 18
« On le sait maintenant : chaque fois que nos foutus aïeux ont posé le pied quelque part, ça a été l'hécatombe. La seule différence entre eux et nous, c'est la vitesse à laquelle, aujourd'hui, on est capable de faire disparaître ce qui nous entoure. Pour ça, c'est certain, on est imbattables : deux cents espèces de vertébrés éteintes en moins d'un siècle, aucun animal ne peut se vanter d'un tel record. »
Afficher en entier-Martin, franchement je ne vois pas ce qui te permet de dire ça, elle a tout d'une crotte d'ours. C'est parce que tu es certain que Cannellito s'est fait tuer, c'est ça?
J'ai secoué la tête.
-Pas du tout, non. Vous pouvez l'envoyer au labo, vous verrez bien. Je vous dis que c'est du sanglier.
Il y a eu un petit flottement embarrassé. Puis l'adjoint a haussé la voix:
-Tu sais quoi, Martin? Tu nous fais chier, là. Le bénéfice du doute, ça te dit quelque chose ? Tu veux pas nous lâcher avec ton complexe de supériorité? Chacun fait son boulot ici, tu sais, t'es pas le seul à te faire du souci pour Cannellito. Alors arrête de nous saouler avec tes certitudes. On verra ce que dit le labo, oui. Mais pour le moment on va essayer de croire que c'est bien une crotte d'ours, O.K.?
Je les ai regardés, tous autant qu'ils étaient, dans cette pièce aux murs couverts de cartes IGN et de photos de nos exploits de soi-disant protecteurs de la nature, l'un posant au-dessus d'un isard anesthésié, l'autre devant les tout nouveaux panneaux du parc national, censés expliquer aux visiteurs ce qu'ils avaient le droit de faire ou de ne pas faire, comme si ça changeait quelque chose à l'inexorable déclin des espèces animales et végétales. J'ai observé leurs visages pleins d'enthousiasme et de naïveté, avec une boule acide en train de grandir dans mon ventre. J'ai dit:
- C'est vous qui faites chier. Vous comprenez vraiment rien.
Et j'ai quitté la pièce en les maudissant tous.
Afficher en entierLe Rouergue, p. 275
« [C]e matin ça saignait encore, signe que ce n'était pas une égratignure, que la plaie s'était rouverte. Bizarrement, quand j'ai compris ça, mes yeux rivés à ce rond écarlate infiltré dans les cristaux de glace, c'est une sorte d'excitation qui m'a saisi. Comme un espoir, une énergie perdue que je venais de retrouver. Parce que cette tache de sang, elle voulait dire que la partie n'était pas terminée. Que la chance était aussi un peu de mon côté. »
Afficher en entierLe Rouergue, p. 257
« Je plisse les yeux, mais, j'avoue, je ne vois rien d'autre qu'un paquet de branches entremêlées, des feuilles rabougries plus jaunes que vertes, d'aiguilles pointées dans tous les sens. J'attends. Quelque chose bouge alors dans mon champs de vision, une ondulation, tout près de nous. Trente mètres, je dirais. Je me concentre dessus. Et enfin je distingue un toupet de poins noirs, au bout d'une queue couleur de sable. C'est la seule chose qui dépasse du buisson d'épines : la queue du lion. »
Afficher en entierLe Rouergue, p. 222
« Ce qu'ils veulent, c'est une Namibie “sauvage”.
— “Otjindandi” ?
— Oui, “sauvage”, c'est comme ça qu'ils disent. C'est ça qui les fait rêver. S'ils dépensent autant d'argent pour venir chasser chez nous, c'est parce que chez eux ils ont déjà tué tous les animaux, tu vois. Avant, là-bas, il y avait des loups, des ours, mais maintenant il n'y a plus rien, juste des villes et des immeubles, comme à Windhoek.
Je hochais le menton, tentant de me figurer ce qu'il évoquait là.
— C'est pour ça, aussi, que les Blanc veulent toujours dire à l'Afrique comment s'occuper des éléphants et des rhinocéros, tu comprends ? Parce que chez eux, ils ont fait n'importe quoi. »
Afficher en entierLe Rouergue, p. 114
« Après la réunion de l'autre jour, et toutes les plaintes des éleveurs, le ministre a finalement accepté de déclarer ce lion “animal problématique”.
— Ça veut dure quoi ? Qu'ils vont l'abattre ?
— Pas eux, non. C'est un chasseur professionnel qui va s'en occuper, mon patron en l'occurence. C'est pour ça que j'ai eu l'info avant tout le monde, tu vois. Il est déjà en train d'écrire à tous ses clients américains, et d'activer ses contacts pour voir qui ça pourrait intéresser. Ça va aller très vite. Comme ça, le problème sera réglé. »
Afficher en entierLe Rouergue, p. 55
« [E]n Afrique, des lions, on n'en comptait plus que vingt mille, dix fois moins qu'au milieu du XXe siècle. Ils occupaient le quotidien de nos gosses, fiers comme des seigneurs dans les Walt Disney, doux comme des nounours sous les couettes bariolées. Les gamins, ils les pensaient immortels, ces félins d'exception. Mais la vérité, c'est que sur cette Terre que l'homme n'aurait jamais fini d'abîmer, il existait plus de lions en peluche que de lion vivants. Et, c'est certain, un jour on en parlerait comme d'un animal du passé. »
Afficher en entierAvec amertume, je me suis souvenu de l’époque où j’avais intégré le parc national, du jeune garde que j’étais à mes débuts, plein de zèle et de bonnes intentions, persuadé d’avoir trouvé là le boulot de mes rêves. Sûr que j’avais déchanté depuis ce temps-là, compris que la nature, les hommes étaient plus forts pour la détruire que pour la préserver, parc national ou pas.
Afficher en entierMais ma conviction, c'était que tout cela, ce n'étaient que des excuses pour les hommes comme mon père. Un moyen de ne pas reconnaître la vérité : que ce qui nous manquait le plus, c'était le courage qu'avaient nos ancêtres de se mesurer à un grand fauve.
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