Extraits

Il s’empara d’une seringue jetable et sortit du laboratoire. Il avait décidé de s’inoculer le remède dans la petite pièce attenante à sa chambre et de s’y enfermer, car il ignorait les réactions que l’antidote risquait de produire.

Devant la porte capitonnée, il prit la jeune femme dans ses bras et l'embrassa avec passion.

Désespérée, elle calcula ses chances d’échapper à un dément. Elles étaient nulles. Si elle criait, Nicholas ne l’entendrait pas. Il s’était enfermé dans sa chambre capitonnée.

Quant aux autres savants, Jonathan les avait drogués avec son fameux chocolat.

Impossible de s’enfuir : Jonathan lui barrait la sortie.

— Je... j’imagine que tu plaisantes, lança—t—elle pour gagner du temps.

Celle-ci porta instinctivement la main à son cœur en voyant ses traits tourmentés, son regard flamboyant, plein de haine et d’amertume.

Brusquement, elle n’eut plus envie de savoir. Elle voulait ignorer jusqu’à la fin de ses jours pourquoi l’expression si tendre de son amant s'était faite aussi farouche, pourquoi ses yeux étincelaient d’un éclat sauvage.

— Je viens de remonter du laboratoire. Mavis m’a prévenu que tu avais l’intention de partir demain matin. C'est un peu précipité, non? Nous avons eu si peu de temps ensemble!

« A qui la faute? » faillit s’exclamer Bonnie, frustrée. Mais à quoi bon culpabiliser son père?

— Nous avons eu au moins cette magnifique journée, papa. Et peut-être pourrais—je revenir te voir un jour... Mais moi aussi, j'ai un travail qui m’attend. Il faut que je retourne dans le Massachusetts.

Elle le sentait tendu à l’extrême, capable des réactions les plus imprévisibles. Il lui semblait que deux personnages très différentes l'habitaient : d’un coté, l'homme tendre, amoureux, attentif... De l’autre, l’être sombre, tourmenté, au regard parfois cruel et sauvage.

Il se cala dans le fauteuil et renversa la tête en arrière les yeux clos. Une fois de plus, elle devinait qu’il livrait l’une de ses batailles intérieures, et ses traits crispés reflétaient le tourment de son âme.

Elle s'avança sur la petite terrasse. Autour d’elle, tout n’était que confusion. Les branches s’agitaient sous le vent tiède et des éclairs de plus en plus fréquents illuminaient les bois. La forêt était plus déserte que jamais. Déjà au cours de ses promenades, elle n’avait aperçu aucun écureuil s’affairant ça et la, en quête de provisions pour l’automne. Aucun lapin détalant brusquement pour se cacher dans un fourré. Les oiseaux qu’elle avait entrevus volaient au-dessus des arbres, comme s’ils ne faisaient que passer.

Elle détenait entre ses mains les clés du futur. Il n’avait plus d’avenir. Et dans quelque temps, se souviendrait-il encore de son passé?

Un terrible sentiment d’injustice s’empara de lui. La rage, la frustration l’envahirent à l’idée qu’il n’était plus un homme normal. Qu’il ne le serait sans doute plus jamais.

Impuissant. Il sentit brusquement la colère monter en lui gronder dans ses veines.

— Nous avons trouvé une vache décapitée dans un champ, à la lisière du bois, déclara le shérif. Elle gisait sur le dos, les entrailles à l’air. Hier, c’est un cheval qui été tué de la même façon. En ville, les rumeurs vont bon train. Les gens se souviennent d’un singe hystérique qui aurait fait les mêmes dégâts, il y a quelques mois, et qui s’était échappé de l’institut. Ils pensent que c’est encore l’un de vos animaux qui...

Pourquoi cet homme la fascinait-il autant? Se demanda-t-elle, tandis qu’il terminait son en-cas. Était-ce l'aura de mystère qui l’entourait? La part de ténèbres qu'il dissimulait, derrière ses iris argentés d‘extra-terrestre? Ce qu’elle éprouvait pour lui, était—ce simplement un mélange de fascination et de répulsion, comme ce qu'elle ressentait pour Dracula ou Frankenstein lorsqu’elle était petite? Ou bien voyait-elle en lui un homme aux facettes si multiples qu’elle ne cessait de vouloir en découvrir davantage sur lui? Elle connaissait le savant à l'intelligence peu commune, le solitaire qui se cachait dans les bois, l’homme passionné, empli de désir... Que lui réservait—il encore?

Nicholas se précipita dans les bois, cherchant frénétiquement à s’éloigner le plus possible de l’institut. Il n’avait pas le temps de se réfugier dans la petite pièce qui avait été aménagée spécialement pour lui. Sa mutation était imminente.

Déjà, sa peau le brûlait et le démangeait, ses muscles se durcissaient, se gonflaient, se tendaient... Il lui fallait poursuivre sa course folle, loin de ceux qu’il était susceptible de blesser. De tuer, peut—être.