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Sver saisit ce qui lui tomba sous la main - un pichet en étain - et le lança vers Mme Guymar. Les deux cruches se heurtèrent avec un son mat.
Afficher en entierLa baronne Deshamia de Servane était déjà levée lorsqu’on frappa à la porte de sa chambre. Elle ne répondit pas aussitôt. Son premier geste, dès le réveil, avait été d’ouvrir en grand une haute fenêtre en ogive donnant sur l’est et elle se trouvait encore là, emmitouflée dans une couverture traînée depuis le lit, à contempler pensivement la levée du jour. À l’approche de la quarantaine, Deshamia n’avait pas perdu beaucoup de ses attraits. Son corps était resté mince et souple, ses longs cheveux noirs tombaient encore en boucles soyeuses jusqu’à ses reins. Son visage montrait bien quelques rides, mais elles lui donnaient plus de charme qu’elles ne lui enlevaient de grâce. Aussi, contrairement aux autres élégantes de la cour, la baronne ne tentait-elle pas de les dissimuler sous des couches de fard. Elle les portait sans honte, avec l’assurance de celle qui sait que rien ne peut vraiment nuire à sa beauté.
Quelqu’un, dans le lit, bougea.
Sans se retourner, la baronne dit :
— Tu dois partir. Tu prendras le petit escalier et tu sortiras par la porte du jardin.
Écartant les épais rideaux du lit, une jeune fille parut. Elle était blonde, gracieuse, n’avait sans doute que dix-sept ans. Elle finissait d’enfiler sa chemise et, tandis qu’elle se baissait pour ramasser ses vêtements, on put voir sur ses reins les marques rouges laissées par la cravache. Ses gestes étaient rapides, quelque peu désordonnés. Son regard craintif et fuyant trahissait la hâte qu’elle avait de quitter les lieux. Elle n’osait même pas poser les yeux sur la baronne qui, pourtant, lui tournait le dos.
On frappa encore à la porte. Toujours à la fenêtre, Deshamia lança d’une voix forte :
— Un instant, Fiorine. (Puis, à l’intention de la jeune fille qui était maintenant habillée :) Il y a de l’argent sur la petite table. Prends-le et disparais.
La jeune fille ne se fit pas prier. Elle rafla les langres d’argent qui payaient une nuit de soumission absolue, ouvrit une porte basse et disparut par l’escalier qu’elle avait emprunté la veille au soir, déjà tremblante.
— Tu peux entrer, Fiorine.
Fiorine était une esclave que le baron avait offerte à sa femme le lendemain de leur nuit de noces. Elle était alors enfant et n’avait pas encore de nom, aussi Deshamia l’avait-elle baptisée d’après une petite chienne qu’elle avait à l’époque et qui l’amusait beaucoup. Fiorine avait environ trente ans et semblait en avoir vingt de plus. Elle était aussi maigre qu’on peut l’être sans mourir, et parfaitement servile.
Afficher en entierIryän portait son verre à demi vide à ses lèvres quand quelque chose flottant dans le vin attira son attention. C’était une mouche immobile. Le sang-mêlé se dit que c’était la première fois qu’une mouche venait mourir dans son verre. À moins que…
Sa tête lui parut soudain bien lourde. Déjà étourdi, il se tourna vers Svern. Assis dans son lit, le Skande était comme mort, sa coupe de vin vide couchée sur les draps. Iryän sentit ses forces le quitter. Il tenta de faire un pas, trébucha, se rattrapa au dossier d’un fauteuil. Il avait fait confiance et il avait eu tort. À travers un voile mouvant, il vit la porte de la chambre s’ouvrir. Et s’effondra.
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