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" Extrait de la préface
NORA
«Vous croyez en Dieu ?» «Je crois qu'on ne met jamais trop de beurre dans la purée, et d'ailleurs dans tout. Voilà ce que je crois»...
Les mots surgissent, toujours dégainés comme des armes ou glissés comme des caresses : «On dirait qu'il y a plus d'ongleries que d'ongles à New York» ; «Ne te marie jamais avec un homme duquel tu n'aimerais pas divorcer» ; «Arrêtez de dire dans les livres qu'on est mieux vieux que jeune : quand, même en pleine forme, tu cherches pendant trois heures le nom de la copine avec qui tu as déjeuné la veille, c'est mieux ?»
Nora est née à New York, elle habitait New York, elle aimait New York en amoureuse passionnée, indulgente, lucide et possessive. Quelques heures avec elle autour d'une pizza géante à la Trattoria del Arte, je retrouvais à chaque voyage la saveur de la ville que j'avais cru encore une fois ne pas reconnaître : tout change sans cesse à New York, chaque coin de rue, chaque magasin, chaque immeuble, restaurant, galerie d'art... Pas Nora.
Gourmande mais fine comme une virgule, rapide mais attentive, bavarde mais à l'écoute, un humour en lame de rasoir, un art de la dérision encore plus dévastateur que celui d'accommoder les spare-ribs et le gigot de sept heures qu'elle semblait préparer en cinq minutes. Un calme désarmant au milieu d'un plateau, d'un ouragan, d'une cuisine, elle donnait l'impression que chagrins, paniques ou angoisses n'étaient que matière à défi contre le mauvais sort et surtout prétexte à rire... jusqu'à ce que mort s'ensuive. La scène de l'orgasme simulé de Meg Ryan au milieu des clients d'une cafétéria ébahis dans Quand Harry rencontre Sally restera un des grands fous rires de l'histoire du cinéma.
Ses articles dans le New Yorker, ceux de son blog, les thèmes de ses livres, ceux de ses films, de sa pièce L'Amour, la Mort, les Fringues que j'ai eu le bonheur d'adapter en français : la dérision encore, ses obsessions perpétuelles, la panique de l'abandon, la tristesse des omelettes au blanc d'oeuf, la consternation devant ses seins trop petits, l'horreur des rides, la chienlit des héritages, la dégringolade du cou. Elle résumait ainsi les choses qui lui manqueraient le jour où... Ses fils, les pancakes, Nick son mari (le secret du bonheur : un mari italien), lire, le bacon croustillant, Paris, un bon bain chaud, lire encore, Central Park, la tarte aux pommes... Ce qui ne lui manquerait pas : les festivals de films de femmes, les mammographies, les mauvais dîners et les soutiens-gorge...
«Je ne ferai plus jamais de film.» «Tu dis ça mais tu verras.» «J'ai décidé que je ne veux plus jamais, mais alors plus jamais ! partir en repérages.» La décision encore plus que le beurre était son credo. Et l'humour encore bien sûr, l'art de l'understatement que j'aime tant. C'était notre dernière rencontre. Elle savait ce jour-là... Personne ne savait. Seul Nick savait qu'elle ne ferait plus de film.
Heartburn. Comme souvent, le mot anglais pour décrire un problème, en l'occurrence gastrique que nous appelons brûlure d'estomac, est plus poétique et plus séduisant : heartburn, brûlure du cœur, mal au cœur... "
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