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Tout est plus grand, dit-on, dans les souvenirs d’enfance. Je ne sais pas. J’ai passé la mienne dans un logement si exigu de la banlieue d’Utrecht que le plafond semblait à portée de main. À présent, quand je me tiens sur la coursive, dos à la baie vitrée qui éclaire mon rayon, le premier objet que je voie, si je ne compte pas le bec jaune du masque à oxygène, est à des kilomètres de distance en contrebas. Et il mérite à peine le nom d’objet : c’est un nuage – pour être exacte, un stratocumulus.
Contrairement à celle de ma mère, et celle de sa mère avant elle, mon existence ne va pas en se précisant. C’est un cône renversé, en équilibre sur sa pointe. Je ne souffre pas du vertige qui prend mon ami Hsou quand sa nacelle penche sous le vent. Très tôt, j’ai ressenti un genre d’aspiration, une pesanteur inverse qui rejetait ma tête en arrière et soulevait mes talons. Sur Terre déjà le plein ciel aimantait mes yeux.
Piloter un avion de ligne aurait suffi à mon bonheur. Ce n’était plus depuis longtemps un métier réservé aux hommes. Hélas, depuis la conquête du génome, le daltonisme ne l’était plus non plus. Mes parents se sont crus malins de se faire bricoler les chromosomes pour renforcer l’immunité de leur progéniture. Résultat : ce que vous nommez « rouge » et « vert » ne sont pour moi que de subtiles nuances du gris, de loin ma couleur préférée. Incapable de distinguer entre eux les signaux lumineux, j’ai dû renoncer à voler.
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