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Je passe en revue les vingt-quatre élèves, le maître E et la psy prennent des notes pour chaque enfant. À la fin, le regard plein de compassion, ils me demandent :
« Et ça va, tu tiens le coup ?
– … Bah oui carrément, j’adore cette classe. Pourquoi ?
– Parce que d’après ce que tu viens de nous raconter, plus de la moitié des enfants sont en grande difficulté, ça ne doit pas être facile de faire progresser la classe. »
Je regarde leurs notes et je constate avec étonnement qu’il y a effectivement de l’encre rouge partout pour souligner toutes les difficultés pointées. C’est comme si je comprenais soudain que le niveau n’est pas bon, je me suis juste habituée au médiocre, au « pas si pire ». Comment ai-je pu me convaincre que ma classe sortait du lot, que mes élèves étaient brillants juste parce qu’il y a une bonne ambiance de travail ? Moi qui m’applique à analyser tous les jours le niveau des élèves, les conditions de travail des enseignants. L’indignation pompe beaucoup d’énergie et pour trouver la force d’avancer, il faut parfois lâcher prise et se convaincre que « ça va » alors qu’en réalité, il n’en est rien.
Afficher en entierÀ la fin de la journée, je suis en vacances pour deux semaines et pourtant, je m’effondre en larmes en rentrant chez moi. Depuis maintenant cinq mois, je minimise l’impact de toute cette misère sociale sur mon état psychologique, c’en est trop. Est-il encore possible qu’en France, en 2018, des écoles de la République soient privées de chauffage en plein hiver alors qu’il neige dehors, obligeant enfants et enseignants à rester en manteau pour faire cours ? Qu’au moindre coup de vent, les fenêtres de certaines classes cèdent à la pression et s’ouvrent dans un fracas à en faire pleurer les enfants ? Que les portes-fenêtres d’une classe de maternelle auxquelles il manque une vitre sur deux ne soient pas remplacées malgré les nombreuses relances faites à la mairie, laissant ainsi entrer en classe la pluie, le vent et le froid ? Que le mobilier ne soit souvent pas aux normes ? Que certains faux-plafonds tombent ? Que des toilettes d’enfants soient condamnées parce que l’évier a fini par céder sans que jamais personne ne vienne le réparer ? Que des établissements dédiés aux enfants regorgent d’amiante ?
Qu’on puisse apercevoir des rats se balader dans la cour de récréation ? Qu’on retrouve leurs crottes dans les dortoirs des enfants et dans le pain de la cantine ? Que, dans certaines classes, les plafonds fuient à la moindre goutte de pluie, emportant au passage les quelques misérables livres qui constituent la bibliothèque ?
Qu’il n’y ait même pas une feuille blanche à disposition dans certaines classes ? Qu’on retrouve des canettes de bière et des mégots dans la cour de récréation le matin en arrivant ? Est-il possible de donner envie à des enfants d’apprendre dans un environnement laissé à l’abandon, où les murs sales et décrépis sont recouverts d’affichages par des enseignants qui ne savent plus comment cacher la misère d’établissements censés impulser l’ambition, mais qui au contraire transpirent l’indifférence ?
Bonnes vacances.
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