Extraits

Dans l'humidité de la nuit, Anamaya se serre dans sa illiclla trop fine. Elle sent ses certitudes s'évanouir. Elle se souvient de Manco face à Gabriel, si proches et si lointains, venant de deux mondes opposés et pourtant réunis dans l'étrange maison de son cœur. Elle se reproche fugitivement de n'avoir pas parlé à Gabriel. Mais que lui dire ? Comment expliquer ? Il fut un temps où les visions se présentaient à elle dans une sorte de clarté, d'évidence. Mais maintenant elle ne voit plus – et il faut marcher, les yeux fermés, sur ce chemin qui s'ouvre devant elle. Fais confiance au puma. Paroles lointaines désormais et donc le sens est à nouveau mystérieux. Demain, il y aura la guerre et c'est toi qui la mèneras. Elle ne voyait pas le visage de Chakulchimac et il lui semblait déjà parler depuis le monde d'En-dessous. Toutes ces paroles qui vivent en elle et acquièrent en elle de la puissance.

Son regard se porte sur Katari.

La bride à la main, posant avec soin ses bottes sur les pierres friables, Gabriel va devant, seulement précédé de deux porteurs charriant des toiles de tentes. Le sentier est tout juste assez large pour que son cheval bai puisse le suivre sans prendre peur.

Depuis l'aube, ils progressent sans repères le long d'une falaise. La brume est si épaisse qu'il ne peuvent voir ni le ciel ni le fleuve dont ils entendent l'énorme grondement, loin au-dessous d'eux.