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Je m'appelle Nadia Volf, j'ai quarante-quatre ans, je suis originaire de Leningrad (redevenue Saint-Pétersbourg), j'exerce la médecine en France depuis une douzaine d'années.
En 1990, mon mari et moi nous sommes enfuis de Russie avec notre petit garçon. L'un et l'autre juifs, nous étions l'objet de menaces permanentes, et il m'était devenu impossible aussi bien de soigner que de poursuivre les recherches scientifiques qui me passionnaient.
Je suis sortie major de la faculté de médecine de Leningrad en 1984 (diplôme rouge, selon la terminologie soviétique). Après avoir fait une spécialisation en neurologie, j'ai été reçue à l'agrégation en 1987, et nommée professeur. C'est cette année-là qu'ont réellement commencé nos problèmes. On m'aurait sans doute tolérée comme médecin de quartier, mais il n'était pas envisageable pour les autorités qu'une Juive enseigne la médecine et dirige un laboratoire de recherche.
Convoquée au KGB, suivie, menacée, insultée, j'ai compris que nous n'avions plus de place parmi les nôtres. Et qu'au-delà de nous, notre enfant n'avait pas d'avenir en Russie. C'est pourquoi mon mari et moi avons décidé de fuir, une nuit de décembre 1990, dans des circonstances dramatiques que je raconterai. Parvenus en France après de douloureuses péripéties, nous avons très vite obtenu le statut de réfugiés politiques. Nous avons alors parcouru le long chemin de tous les exilés, de l'apprentissage de la langue à l'obtention des diplômes nationaux.
Quand, à l'âge de seize ans, mon baccalauréat en poche, je me suis présentée au concours d'entrée à la faculté de médecine de Leningrad, je savais que sur les six cents places disponibles, six seulement étaient réservées aux Juifs. Un pour cent, c'est infiniment peu, n'est-ce pas ? Et cependant, je me disais que je ne survivrais pas à un échec. Par bonheur, j'ai été admise, avec cinq autres Juifs dont Leonid Ferdman, mon futur mari.
Quand, à l'âge de trente-deux ans, je me suis rendue à l'université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, pour y repasser mes examens de médecine, et obtenir ainsi le droit d'exercer en France, je me disais de la même façon que si on me refusait ce droit, je n'y survivrais pas. On ne me l'a pas refusé, j'ai été reçue, et le lendemain même j'accueillais mes premiers patients.
D'où vient que je ne me sens plus de place sur cette terre si on ne me laisse pas soigner ? D'où vient que je ne respire qu'à travers l'exercice de la médecine, comme si un doigt céleste m'avait très tôt dicté mon destin ?
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