Extraits

Octobre 1940.

Un coup de feu. Un cri. Puis des sirènes. Je suis allongée dans mon lit, je ne peux plus dormir. Les épais rideaux qui couvrent ma fenêtre ne me permettent pas de voir l’extérieur mais je ne le regrette pas. Le spectacle doit être horrible. Et puis, il ne faut pas qu'on sache que le rigide couvre-feu imposé n'est pas respect.

Ma porte s'ouvre brusquement. C'est ma mère. Elle a les cheveux en batailles, des cernes sous les yeux et porte un fin peignoir par dessus son pyjama cousu dans les rideaux, faute de mieux. Elle s'approche de moi et je me blottis contre elle comme lorsque j'avais quatre ans. Elle me chuchote des mots doux, me rassure. J'ai beau avoir treize ans, la guerre avec ses morts, ses cris, c'est terrifiant. Je sais que je n'oublierais jamais ce que mes yeux ont vus si jamais je survis. Que les cauchemars qui hantent mes nuits ne me lâcheront jamais.

- Ou est papa ? m'inquiétais je.

Habituellement, il accompagne ma mère. Or, ce soir, il n'est pas avec elle. Pourquoi ? Ma mère me serre davantage contre elle, comme pour me protéger de quelque chose. Elle caresse nerveusement mes longs cheveux bruns légèrement bouclés qui ressemblent beaucoup aux siens.

- Ça va aller, me murmure-t-elle. Ton père... est juste allé aider quelqu'un... Je lui ai déconseillé mais... tu sais comment il est têtu... Mais ne t’inquiète pas, il vas revenir. Rendors toi maintenant.

Me rendormir ? Après ce que j'avais entendu et ce qu'elle vient de me dire ? Impossible. Et pourtant... Je sens mes yeux se fermer. Ma mère me chante une berceuse pour que je m'endorme. Je reconnais celle qu'elle me chantait toujours lorsque j'étais bébé. Je crois bien que c'est sa préférée. Doucement, mes yeux deviennent lourd et j'ai du mal a les garder ouverts. Ma tête s'enfonce dans l’oreiller. Je veux résister, mais je ne peux pas.Me voyant sombrer dans le sommeil ma mère pose délicatement un baiser sur mon front. Jamais je n'aurais imaginé que c'était le dernier baiser qu'elle me donnait, ni que c'était la dernière berceuse qu'elle me chantait.