Extraits

T’as le temps, mon grand, souligne Pierre. Un jour, tu comprendras. Quand ce sera la bonne, tu le sauras.

Je ricane.

— Et comment ?

— Dans ton cœur. Lorsqu’il prendra le dessus sur ta cervelle, comme quand tu joues. L’amour est une partition musicale. Un jour, ton cœur chantera pour une demoiselle et tu comprendras.

Ouais… Ben pour l’instant, c’est plutôt ma bite qui chante dans le micro, alors c’est pas gagné. 

— Non… T’as raison ! Tu seras une star du rock et tu m’oublieras.

— Ça, c’est impossible ! Toi et moi, c’est à la vie, à la mort.

— Tu promets ?

— Ouais ! Toi, t’auras toujours une place privilégiée dans mon cœur et t’auras le droit d’assister à mes concerts en VIP.

Elle se colle un peu plus à moi et pose son nez contre mon cou.

Y a deux types de filles : celles que j’ai envie de connaître un peu, qui sortent de l’ordinaire et qui ont un semblant d’intérêt à mes yeux, et puis celles que j’ai juste envie de baiser.

J’ai peut-être une gueule d’ange, mais faut pas s’y fier. Au fond de moi se cache un démon et quand il a décidé de jouer, il ne fait rien à moitié. 

— T’as une étincelle, poursuit-elle, un truc que les autres n’ont pas.

— Ouais, je suis un peu barré comme mec, je sais.

Elle rit nerveusement, puis avale une gorgée. Faut que j’y aille en douceur, on dirait un petit chat effarouché.

— D’accord, Fred. Mais tu demandes, je te réponds. Oui, tu es différent. Tu es moins insouciant, tu as des réflexions parfois qui me surprennent, des réflexions sur l’existence qui me paraissent plus matures et beaucoup plus sombres que ceux de ton âge. Ton regard sur la vie est différent et c’est normal.

La musique est faite pour moi. Je le sais, c’est dans mes gènes, dans mes tripes, dans mon cœur. Y a qu’elle qui sait me faire réellement vibrer, qui me transcende

Moi, je suis un solitaire. J’aime pas m’attacher, ça me fout la trouille. J’ai peur de perdre ceux que j’aime. C’est pour cette raison que je refuse d’habiter avec Pierre et Rose. Je me protège constamment. Je me renferme beaucoup et de toute façon, la compagnie des autres, elle m’emmerde. J’aime pas parler, surtout pas de moi.

L’important, c’est que j’ai jamais cru au hasard et que, pour moi, aucune rencontre n’est fortuite.

Quand je reviens vers la table, Guillaume m’observe, le visage fermé, les bras repliés contre son torse.

— J’avais dit pas de trou !

— J’ai pas dû entendre.

— Tu te fous de moi ?

— J’oserais pas.

Je le toise sans ciller. Elsa et Mia retiennent leur respiration.

Guillaume fait un pas vers moi, un doigt commandeur en direction de ma poitrine.

— Ce soir, dès que tu reviens des cours, on va prendre le temps de discuter. Je crois que les vacances ne t’ont pas fait que du bien.

— Tu seras encore là ce soir ? T’as pas une vie à côté ?

— Si, et je te conseille pas de croiser ma copine un jour, Fred. Avec les heures supp’ que je me coltine rien que pour ton cas, elle te déteste.

Je lui envoie un sourire moqueur, ses yeux restent froids. Putain ! C’est pas moi qui me suis mal réveillé ce matin, c’est lui. Ou alors, il s’est pris la tête avec sa meuf avant de venir. Comme c’est parti, il va vraiment me passer un savon, ce soir.

Il nous regarde tous les trois et nous ordonne d’une voix sèche :

— Allez, maintenant, dépêchez-vous, vous êtes dehors dans moins de dix minutes !

Je peux pas m’empêcher de remarquer avec ironie :

— Tu nous chaperonnes pas jusqu’au lycée ?

Guillaume nous tourne le dos en s’exclamant :

— Dès que t’es de retour, Fred, dans mon bureau et sans faute !

Bordel ! Ça va chier !