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Dieu t’en rendra grâces, mon frère… Testament ou pas, ton œuvre est miséricordieuse. — Mais je m’en passerais bien ! — Je sais ce qui te pousse à parler ainsi… Vous autres, les humains, êtes tenus par une sorte de honte… Vous voulez vous montrer méchants, pires que vous n’êtes en vérité, ainsi va le monde ! Et les injures que Defendente s’est préparé à dire ne parviennent plus à lui sortir de la gorge. Embarrassé, ou déçu peut-être, il n’arrive pas à se mettre en colère. L’idée d’être le premier et le seul de toute la contrée à avoir approché l’ermite le flatte. Oui, pense-t-il, un ermite est ce qu’il est : faut pas s’attendre à grand-chose de bon. Mais qui peut prévoir le futur ? S’il parvenait à faire une amitié secrète avec Silvestro, qui sait s’il n’en tirerait pas avantage un jour ? Imaginons par exemple que le vieux fasse un miracle.
Afficher en entierFusil en main, Defendente s’arrête à une cinquantaine de mètres. Il voit l’ermite interrompre sa prière, sauter de son rocher avec une singulière agilité, courir vers le chien qui frétille et lui dépose enfin le pain devant les pieds. L’ermite ramasse le pain, en casse un petit morceau, le met dans sa besace. Puis il sourit et restitue le reste au chien. Cet anachorète est petit, malingre, vêtu d’une sorte de froc ; son visage est plutôt sympathique, empreint d’une malice enfantine. Le boulanger se montre enfin, bien décidé à faire valoir ses droits. — Sois le bienvenu, mon frère, lui lance Silvestro dès qu’il le voit approcher. Que viens-tu faire dans ces parages ? À la chasse peut-être ? — Pour dire vrai, répond Sapori d’un ton dur, j’allais à la chasse de… d’une certaine sale bête qui tous les jours…
Afficher en entierÀ force d’aller de l’avant, voici maintenant les bois. Le chien s’engage sur un petit chemin de traverse, puis sur un autre encore plus étroit, mais tout plat et facile à suivre. Combien de route ont-ils déjà fait ? Peut-être huit, et même neuf kilomètres. Pourquoi le chien ne s’arrête-t-il pas pour manger ? Qu’attend-il ? Ou bien porte-t-il donc le pain à quelqu’un ? Voici soudain que la pente devient raide, que le chien tourne encore dans un petit sentier où la bicyclette ne peut s’engager. Heureusement, la forte pente fait ralentir le pas de l’animal. Defendente lâche son vélo, reprend la poursuite à pied. Mais il se fait peu à peu distancer
Afficher en entierD’où et de quelle façon vint le chien ? Un vrai mystère. Le boulanger, qui se tenait pourtant bien aux aguets, ne le vit pas arriver. Il ne l’aperçut qu’à la sortie, tranquille, le pain entre les dents. De grands éclats de rire parvenaient de la cour. Defendente attendit que l’animal s’en fût allé assez loin, pour ne pas le mettre en éveil. Puis il sauta en selle, et en route ! Première hypothèse : le chien allait s’arrêter bientôt et dévorer le petit pain. Le chien ne s’arrêta pas. Le boulanger avait également imaginé qu’il pourrait, après un bout de chemin, se faufiler par la porte d’une maison. Rien de cela pourtant. Le pain entre les dents, la bête trottait, longeant les murs d’un pas régulier, sans jamais s’arrêter à flâner, à lever la patte, selon les mœurs canines. Où allait-il donc s’arrêter ? Sapori observait le ciel gris. Ce ne serait pas étonnant qu’il se mit à pleuvoir
Afficher en entierPour être bien sûr de son affaire, Defendente Sapori alla se placer de l’autre côté de la rue, sous un portail, avec sa bicyclette et son fusil de chasse : la bicyclette pour suivre le chien, le fusil à deux coups pour l’abattre, si vraiment il n’avait aucun maître à qui demander une indemnité.
Afficher en entierLe lendemain, même scène : même chien, même manœuvre. Cette fois le boulanger suivit la bête jusqu’à la route, et il lui lança des pierres sans parvenir à l’atteindre. Le plus drôle, c’est que le larcin se répéta ponctuellement chaque matin. Merveilleuse, cette ruse du chien à toujours choisir le moment juste ; tellement juste qu’il n’a même pas besoin de se presser. Et les projectiles que lui lance Defendente ne parviennent jamais à l’atteindre. Chaque fois la foule des mendiants est secouée d’un grand rire, et le boulanger laisse éclater sa colère. Fou de rage, voici que Defendente, un matin, se place juste à l’entrée de la cour, caché derrière le portail, un gourdin à la main. Inutile. Perdu au milieu des pauvres, qui s’amusent de la blague et n’ont aucune raison de le trahir, le chien entre et sort impunément
Afficher en entierUn beau matin, tandis que Defendente Sapori distribuait ses petits pains aux pauvres, un chien fit son entrée dam la courette. C’était une bête apparemment perdue, assez grosse, au poil hérissé et à l’allure débonnaire. Il parvint, en se glissant dans la foule des mendiants dans l’attente, jusqu’au panier d’osier, s’empara d’un petit pain et s’en alla sans hâte. Non pas comme un voleur, plutôt comme quelqu’un qui est venu prendre son dû
Afficher en entierMais chaque nuit les paysans des environs commencèrent à apercevoir d’étranges lueurs en direction de la chapelle abandonnée. On eût dit un incendie de forêt, toutefois le halo était blanc et palpitait doucement. Frigimelica (celui du haut fourneau) s’y rendit, un soir, par simple curiosité. Cependant, à mi-chemin, sa motocyclette eut une panne. Qui sait pourquoi, il ne voulut pas se risquer à continuer à pied. De retour, il raconta qu’un halo s’étendait sur la petite colline de l’ermite ; ce n’était pas la lueur d’un feu ni d’une lampe. Les paysans ne firent aucune difficulté pour en conclure que c’était la lumière de Dieu
Afficher en entierCe même été, le vieil ermite Silvestro, sachant que Dieu dans ce pays était fort peu représenté, vint s’établir dans les environs. À une dizaine de kilomètres de Tis, une ancienne chapelle s’élevait sur une petite colline solitaire. Silvestro s’installa dans ces ruines, prenant de l’eau à une source voisine, dormant dans un angle protégé par un restant de voûte, mangeant des herbes et des fruits sauvages. Il grimpait à tout moment de la journée s’agenouiller en haut d’un rocher, dans la contemplation de Dieu
Afficher en entierL’exécuteur testamentaire (c’était Stiffolo, le notaire) venait très rarement, l’heure étant bien trop matinale, jouir de ce spectacle. Sa présence était d’ailleurs superflue. Nul mieux que les mendiants eux-mêmes ne pouvait contrôler la régularité de l’opération. Toutefois Defendente parvint à découvrir un remède partiel. Il posait contre un mur son grand panier dans lequel se trouvait le demi-quintal de petits pains : en cachette, il y découpa une sorte de petite porte bien camouflée. Après avoir commencé personnellement la distribution, il prit l’habitude de s’en aller, laissant sa femme et leur commis continuer le travail : le four, son commerce avaient besoin de lui, prétendait-il. En réalité, il se précipitait à la cave, grimpait sur une chaise, ouvrait en silence la grille d’une petite fenêtre au ras de la courette dans laquelle se trouvait son panier ; puis il ouvrait la porte d’osier, et soutirait du fond du panier le plus de pain qu’il lui était possible. Ainsi le panier se vidait-il rapidement. Mais comment les pauvres auraient-ils pu se douter du stratagème ? Les pains étaient distribués à une telle cadence ! C’était bien logique, après tout, que le panier se vidât si rapidement
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