Extraits

1

Le retour

Alice poussa la lourde porte en fer forgé et s’arrêta sur le seuil du jardin : derrière les frondaisons se dessinait un pan de façade zébré de rais de lumière. Le manoir. Immuable, tel qu’il existait dans ses souvenirs, avec ses toits de tuiles rousses, son terre-plein donnant sur le majestueux perron, ses hautes fenêtres ouvrant sur le parc.

Elle s’engagea dans l’allée centrale bordée de tilleuls, comme happée vers l’avant. En ce mois de juin, les fleurs répandaient un parfum si puissant qu’elle ralentit pour mieux respirer : l’odeur du paradis, elle la reconnaissait. Elle l’avait oubliée au cours de ces dernières années, et voici qu’elle la retrouvait : l’odeur de l’été commençant, lourd de promesses et aussi léger que les merles dans les cerisiers.

Une grande paix nimbait les arbres, enrobait les massifs de roses, épanouissait rhododendrons et pivoines. C’était le jardin d’avant le péché originel, si pur et si innocent que la jeune fille sentit des larmes se presser contre ses paupières. Des larmes de soulagement.

Elle était rentrée chez elle, après cette longue et cruelle absence ; plus rien de mal ne pouvait advenir. Aucun malheur ne pouvait descendre de ce ciel tendre, céruléen, qui étendait la paume de sa main au-dessus de sa tête. Le bonheur était si palpable qu’elle avait l’impression de le serrer entre ses doigts.