Extraits

La couleur, ce n'est pas mon truc. Je n'ai jamais joué ma vie ou parié avec, « aucun risque » telle était ma devise, manger, travailler, dormir, le rituel quotidien à respecter religieusement, pas besoin d'une Église pour ça, car mon sacrifice, c'est ma vie. Sortir des rangs ? J'en ai rêvé, mais n'ayant rien approfondi il ne me restait que mes convictions auxquelles m'accrocher, qui n'a point souhaité devenir le plus grand homme et avoir son nom dans les livres d'histoire, qui n'a point souhaité gouverner les autres juste pour le plaisir de tester sa puissance et qui n'a point pensé ne serait-ce qu'une fois à en finir, car sa vie lui paraissait trop difficile et pleine d'obstacles. Nous voulons, tous autant que nous sommes, nous débarrasser de nos problèmes et profiter du peu de temps qu'il nous reste, mais dès notre premier cri nous ne sommes déjà plus nous-mêmes, mais définis par une religion

L'habitude m'avait appris à considérer les conducteurs comme des personnes soumises au code de la route et les piétons comme des maîtres de l’asphalte, prioritaires en toutes circonstances et excusables de toute erreur d'inattention. Sans aucun doute, ce raisonnement sonnait un peu faux même dans mon esprit, mais le remettre en cause n'était pas une urgence, évidemment le résultat ne se fit pas attendre. Ce fameux jour, tel que je le disais, j'omis d'effectuer en traversant la route le geste primordial, élémentaire et indispensable nécessaire à la survie du marcheur, celui que l'on apprend dès notre plus jeune âge, le premier geste à faire pour tout être vivant qui se respecte et qui souhaite voir un autre matin en un seul morceau.

Ma vie, jusqu'à cette dernière année, ne fut en rien extraordinaire, si je le pouvais je la résumerais en un mot :

« supportable ». Je n'ai jamais vraiment été malheureux ou seul, j'avais ma famille, mes amis, mais aucun d'eux ne pouvait combler le vide qui s'était installé en moi. S'y ajoutaient un pessimisme et une misanthropie qui firent que je devins le jouet préféré de la malchance, comme une sorte de punition, mes choix, mes résolutions, mes actions se terminaient le plus souvent en un indescriptible désastre. Cette accumulation d'échecs fut sûrement l'élément essentiel de ma situation actuelle.

Si je n'étais athée j'aurais volontiers décrit cette atmosphère comme le jardin d' Éden, le paradis, mais tout le monde sait que le paradis ne ressemble pas à ça. J'entrepris de flâner parmi les fleurs, en tant qu'écrivain et futur poète c'était bien le minimum, cependant cette vision était bien trop belle pour qu'elle ne soit polluée par des images de mon corps étendu sur la route et quasiment mort.

Nous sommes des êtres surnaturels, c'est un jeu d'enfant, nous n'existons pas, enfin pas vraiment, seulement dans votre esprit. C'est vous qui avez désiré cette table et ces boissons, nous n'avons fait qu'exaucer ce souhait. Nous sommes dans votre esprit en ce moment même et non des incarnations de votre imagination.