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Quel dommage que Calcao n’ait pas vu ce rouge furibond dont, là oui, j’ai embrasé la panse des nimbus. Sa cabane faisait de l’ombre au spectacle que j’avais préparé pour lui. J’aime à réjouir les yeux des nouveaux-morts. Ils continuent à voir quelques instants après leur dernier souffle. J’ai pu m’en assurer. D’où mon obstination, un peu ringarde peut-être, à être toujours si belle.
Afficher en entierMadrid, 7 h 26. Ce matin-là, j’avais prévu de commencer à éclairer la ville par en haut plutôt que d’illuminer l’horizon. Je comptais rougir la panse de nuages très appétissants qui volaient bas et annonçaient encore davantage de pluie. Un effet d’optique que certains peintres hyper-réalistes apprécient énormément.
Afficher en entierManosquietas, qui est petit et malin comme un rat de décharge, a attendu que les flics soient partis chercher des empreintes et autres preuves sur le terrain pour dévaler le sentier de la lande et se pointer chez Perro. C’est une très grande cabane, avec une antenne parabolique et des panneaux solaires. Il y a bien cent vingt cabanes dans le Poblao, mais la seule qui ait l’air d’un palais c’est celle de Perro, grand-père de la petite Alma.
Afficher en entierMoi, quelquefois, je joue, je me lève un petit peu plus tard, ou un petit peu plus tôt, pour m’amuser, par goût de l’arbitraire. Je fais rouler mes dés et jette mes jokers de lumière sur le tapis vert de la vie, même si, contrairement aux hommes, nous, les phénomènes naturels, nous essayons de ne pas abuser de notre pouvoir : les humains subissent des destins tellement hasardeux qu’ils deviendraient fous si nous cessions d’organiser certaines de leurs routines.
Afficher en entierLES gens associent le diaphane à la lumière et ça, ce n’est pas tout à fait logique. La plupart des choses les plus révélatrices et ineffaçables qui arrivent aux hommes, aux femmes et aux animaux se produisent la nuit, dans la plus insondable obscurité. La lumière ne voit que ce qu’elle éclaire. La lumière n’a pas d’imagination. La lumière n’est pas le contraire de l’obscurité. Elle aimerait bien. Elle n’est que sa robe. Une robe colorée, d’accord. Mais même les robes colorées, on les arrache à coups de dents s’il le faut pour voir des choses plus importantes, comme l’amour.
Afficher en entierCe n’est pas maintenant que j’irai dire le contraire : j’avais peur. Pourtant, à ce moment-là, je ne savais pas que la mort pouvait être aussi rapide, aussi chaude, aussi classe. Comme si tu retournais dans le ventre amniotique de ta mère. Encore que je ne devrais pas dire ça, par respect pour la mère de la petite qui doit être en train de pleurer ses tripes dans un coin.
Afficher en entierMa ceinture. Et le mouchoir où ma petite Alma a mouché son nez. Et son soulier troué. Ils les ont trouvés. Ensemble. Je n’attends pas plus. Je me retourne. Le ciel est incroyablement beau, mais je n’ai plus besoin de le voir. Je préfère attendre à la maison. Que Perro vienne me tuer.
Afficher en entierIl me plaît bien, ce capitaine. J’espère qu’il se chargera personnellement d’emporter mon cadavre. Peut-être aura-t-il la délicatesse de me fermer les yeux avant que le soleil de midi sèche mes dernières larmes. Bien que ce soit statistiquement improbable, parce qu’il y a bien vingt képis. Qui a bien pu en envoyer autant ? La dernière fois, ils n’en ont pas envoyé autant. La dernière fois, ils n’ont même pas ratissé la lande, ni fouillé les cabanes. Ce n’était après tout, comme Alma, qu’une petite Gitane. Une toute petite. Elle aussi, je la connaissais et je lui faisais des cadeaux. Les idiots et les enfants, ça s’est toujours bien entendu.
Afficher en entierIL devait être sept heures du matin, et on sentait qu’il pourrait bien se mettre à pleuvoir très fort malgré la limpidité du ciel sur les contreforts de la décharge. Je portais un pantalon gris perle retenu par une ficelle, des chaussures dépareillées, un pull Stearnwood en laine beige taché de gras et un caban assez crasseux rescapé d’une benne à ordures immonde. J’étais débraillé, sale, mal rasé et sobre, et je me fichais pas mal que tout le monde s’en rende compte. En ce jour de la fin octobre, j’étais, sans aucun doute, ce que doit être un misérable quelques instants avant que la Mort lui rende visite.
Afficher en entierLa Parrala voudrait être tout en même temps : la rose qui annonce le joli mai et la première neige de l’hiver. Moi, Calcao – c’est comme ça qu’on m’appelle, sûrement parce que je ressemble à quelqu’un trait pour trait –, je ne suis pas censé faire dans l’envolée lyrique : tout le monde le sait, je suis un peu attardé. Mais voilà, au moment de mourir tu as de ces illuminations, c’est comme si tout ce que tu avais entendu et n’avais pas compris de ton vivant s’organisait et s’éclaircissait dans ton âme immortelle. La Parrala n’est pas la mère de la gamine, elle n’est même pas de sa famille, mais c’est elle qui crie le plus fort de tout le Poblao. Surtout maintenant qu’ils disent que même la télé va venir ici, à cause de la gamine qui est morte.
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