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Antoine était rentré au petit matin, la gueule enfarinée de celui qui a trop bu et pas assez dormi. La vue de son colocataire qui se shootait insouciamment alors que trois hommes tentaient de la violer avait ravivé les causes premières de son agression. L’abcès avait crevé. De rage, Louise lui avait lancé au visage le moindre détail de sa sordide mésaventure, transférant sa colère sur le garçon qui était resté inerte, la mâchoire pendante devant cette révélation aussi horrible qu’inattendue. Il avait bredouillé de vagues excuses puis, honteux, s’était éclipsé la queue entre les jambes.
Afficher en entierLouise s’assit en tailleur sur son lit et posa son ordinateur portable dans le creux de ses jambes longues et fines.
Elle n’avait pas dormi de la nuit. Chaque fois qu’elle fermait les yeux, les images de son agression, plaquées sur sa rétine, revenaient la hanter. Les mains sur sa poitrine, les doigts essayant de pénétrer la partie la plus intime de son être…
Un frisson de dégoût la transperça. Écœurée, elle secoua la tête pour se débarrasser de ces ignobles souvenirs. Mais ils refluèrent de plus belle, carnassiers.
Afficher en entierQuentin acquiesça et se dirigea vers la porte. Chris ne prit pas la peine de le raccompagner et sortit son bong fabriqué maison à l’aide d’un gros tuyau de chantier qui servait d’appendice. Il remplit le réservoir et bourra la douille de tabac et de marijuana. Il alluma le mélange puis colla la bouche à l’extrémité du tube avant d’inhaler d’un grand coup la fumée refroidie par l’eau.
Quentin entendit le glougloutement caractéristique de la pipe à eau et ferma la porte. Il poussa un soupir de frustration et descendit les escaliers. Les visites chez Chris le rendaient toujours malade, lui reflétant son propre échec dans ses tentatives de rémission. Il fallait qu’il passe à autre chose. Comme en réponse à ses tourments, un nom sur son carnet retint son regard.
Vince.
Il tenait peut-être quelque chose.
Afficher en entierChris n’avait jamais réellement compris le travail de son collègue. Il savait seulement qu’il écrivait pour « La vraie région », un journal local, et traquait l’information comme un chasseur de Primes. Mais Chris n’avait jamais lu un de ses articles. Il se contentait seulement de colporter quelques ragots. Parfois, si la rumeur aboutissait à une rubrique, Quentin le remerciait de quelques euros. Ce « boulot » lui donnait l’impression de jouer dans un film policier avec le rôle de l’indic. Et justement, il possédait un renseignement intéressant. La veille au soir, une de ses connaissances, un blanc-bec pourri de fric et qui lui refilait souvent des joints gratuits, s’était tellement défoncé qu’il n’avait pas pu ramener sa coloc. Or, celle-ci avait subi une agression en plein centre d’Aix, dans un quartier habituellement calme. Sans l’intervention miraculeuse d’un gars qui avait mis en déroute toute la bande, la jeune fille se serait sans doute fait violer. Il tenait l’histoire d’Antoine lui-même qui, culpabilisant de sa conduite, était venu se confier à Chris. Ce dernier n’avait eu qu’à faire suivre le courrier à Quentin en espérant toucher une commission au passage.
Afficher en entierQuentin sourit jaune. Jamais à l’époque, Chris ne lui aurait posé ce genre de questions. Mais sa période de chômage touchant à son terme, il ne vivait désormais que du RSA, aide qui partait en fumée et en boisson dès son arrivée sur le compte. Chris survivait grâce au deal. Un peu d’herbe qu’il faisait pousser dans son armoire avec des lampes à UV. Sans l’héritage miraculeux de ce studio, sans doute aurait-il fini sous les ponts.
Afficher en entierChris avait commencé à boire et à consommer de la marijuana à cause d’un travail qu’il ne supportait plus conjugué à une histoire d’amour vouée dès le début à l’échec. Très vite, les doses avaient augmenté, les effets s’étaient accélérés en conséquence. Gueule de bois, démotivation, déconcentration, isolement social, dépression… Quentin avait assisté, impuissant, à cette descente aux enfers. Sa prise de poids, son licenciement et l’éloignement progressif de sa famille et de ses amis. Désormais, Chris n’était plus que l’ombre de lui-même, bouffi par l’alcool, seul, paranoïaque… Il se réfugiait dans la débauche pour échapper à ses problèmes quotidiens, buvait pour apaiser ses angoisses et fumait pour trouver le sommeil.
Afficher en entier— Tu veux son numéro ?
Quentin haussa les épaules et refusa le joint que lui tendait Chris. La petite pièce s'embrumait sous les épaisses volutes de fumée à la senteur âcre. Depuis le temps, l'odeur avait imprégné les murs de l'appartement, leur donnant une couleur brunâtre propre à la nicotine. Quentin regarda les cloisons jaunies et avala le reste de sa bière.
Afficher en entierL'homme au couteau bondit sur l'ombre qui se décala, laissant le cran d'arrêt s'enfoncer dans le vide. De la main droite, il saisit le poignet de l’agresseur et lui asséna du revers de la gauche trois coups violents au visage. Il y eut un bruit sec comme une branche qui se brise et Vince s'écroula lourdement à terre dans des spasmes nerveux. Le dernier type, qui maintenait encore Louise par les cheveux, la jeta au sol et recula de quelques pas, observant l’individu qui, surgi de nulle part, venait d'envoyer deux gars armés au tapis. Il pointa un index sur lui et siffla :
— C'est pas fini connard, on va te retrouver et ça sera ta fête.
Prouvant son courage, il déguerpit, laissant sans remords ses acolytes sur le pavé entre la vie et la mort. Louise, choquée et tremblante, se tenait à genoux, incapable de reconstituer les événements. Ses yeux gonflés par les pleurs étaient dilatés d’épouvante. Tout était arrivé si rapidement.... En quelques secondes, sa vie avait basculé, aurait pu basculer sans l'intervention miraculeuse de son providentiel protecteur. Elle se tourna vers lui, mais il fit volte-face et s'enfuit dans la direction opposée.
Afficher en entierMais la soirée avait tourné au vinaigre. Antoine, qui devait leur servir de chauffeur, s’était lié d’amitié avec un imbécile qui l’avait fait fumer Dieu sait quelle saloperie. À l’heure du départ, il ronflait sur le canapé, incapable de tenir droit.
Pathétique.
Louise s’était éclipsée sans demander son reste, dégoûtée par l’attitude de son colocataire. Et depuis vingt minutes, elle marchait dans le désert nocturne de la ville provençale, frustrée et énervée. La soirée en elle-même avait été distrayante et elle n’affectionnait pas particulièrement les clubs, trop superficiels à son goût. En revanche, elle détestait qu’on manquât à sa parole et sur ce point, Antoine l’avait profondément déçue.
Afficher en entierLouise jeta un coup d’œil rapide à sa gauche et traversa en hâte le rond-point de la Rotonde.
Le cours Mirabeau était désert. Seuls demeuraient le long de la rue les stands de bois vides du marché estival. Difficile d’imaginer qu’en pleine journée, cette longue artère se transformait quasiment en voie piétonne tant la circulation devenait impraticable. De loin en loin résonnaient par moment le bruit d’une bouteille en verre se brisant contre le pavé ou le vrombissement d’un moteur, mais la vie sur le cours s’arrêtait en général après deux heures, comme si les coups de l’horloge propulsaient la ville dans un monde parallèle. Passé ce délai, la rue, illuminée par les réverbères et les devantures des magasins, sonnait son couvre-feu et sombrait dans le mutisme dérangeant d’une cité fantôme.
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