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Dans l’après-midi le Kid fit une inspection incognito du Dépotoir avec le chef de la police des Roux. Le Dépotoir recevait les déchets de baleines, les vertèbres géantes découpées dans les fonderies et auxquelles adhéraient de la viande, de la graisse. Une tribu de Roux récupérait cette graisse, cette viande, broyait les os. Mais désormais ils étaient trop nombreux. Dix mille. Le Dépotoir était desservi par des lignes en spirale, des viaducs de différentes hauteurs. Les Roux utilisaient les squelettes de cétacés comme lieu d’habitation. Non qu’ils aient besoin de se protéger du froid mais ils aimaient vivre sous les gigantesques ossements, se bâtissaient une ville étrange faite de cathédrales dont ne seraient restés que les contreforts, les arcs-boutants, des piliers et des arcatures. Les Roux évoluaient très à l’aise dans ces demi-prisons.
Afficher en entierLe professeur Bouliev, de l’Université libre de Kamenepolis, avait installé une grande carte sur la cloison faisant face au bureau du Kid. Une carte qui représentait le Pacifique tel qu’il était trois siècles auparavant, lorsque les glaces ne recouvraient pas la Terre et que le grand océan n’était pas encore une banquise.
— Notre cité se situe dans cette zone entre les îles Fidji et la Nouvelle-Zélande, expliquait-il. C’est déjà un premier travail auquel s’est livré le service de relevés géographiques. Et c’est à partir de cette découverte que nous avons acquis la quasi-certitude qu’il existait un réseau ancien, datant de deux cents ans environ, qui se dirigerait vers le nord-est, c’est-à-dire vers l’ancien Alaska. Un réseau de quelques voies, deux, ou trois, abandonné depuis des dizaines d’années pour des raisons inconnues. Mais nous espérons avoir d’autres renseignements prochainement. J’ai envoyé un collaborateur en Australasie pour photographier des archives, retrouver d’anciens manuels d’instructions ferroviaires.
Afficher en entierRam-Ou s’assit en face de Jdrui, lui désigna son morceau de viande de baleine, le conviant à manger. Le manchot mordit dans le bloc de glace et bientôt sentit le goût huileux de la bonne nourriture. Il ferma les yeux de plaisir tandis qu’on le regardait avec amusement et envie. Il fit signe qu’on donne aussi de cette viande succulente à ses amis et les femmes obéirent. Elles en portaient de gros sacs remplis. Sauf celle dont l’enfant était né en route.
Un train passa et son souffle les surprit. Il provoquait d’abord un grand déplacement d’air glacé puis, pendant quelques instants, régnait une chaleur qui indisposa les nouveaux venus qui s’écartèrent du ballast pour creuser des alvéoles dans la glace où ils se lovèrent.
Gavé de viande, Jdrui ne parvenait pas à s’endormir. Il était émerveillé par cette accumulation de faits surnaturels et merveilleux. Un nouveau Dieu venait donc de naître et avait choisi sa tribu pour le faire. Il en était excessivement flatté et ne mettait nullement en doute le caractère divin de ce Jdrien.
Afficher en entier— Je suis Ram-Ou, fils de Ram. Mon père se trouve à des mois d’ici. Il dépouille des baleines énormes et nous ne souffrons jamais de la faim. Lorsque nous aurons trouvé ce que nous cherchons, nous retournerons là-bas sur la grande Banquise et vous pourrez nous suivre si vous le désirez.
— Que cherchez-vous, du sel ? demanda Jdrui.
En général c’était la grande préoccupation des Nomades qu’ils croisaient et il ne pouvait que donner la direction du nord, vers cette ville des Hommes du Chaud qui se nommait Salt Station.
— Nous avons du sel en quantité, dit Ram-Ou. Du sel de la glace et du sel de la mer. Les femmes en portent dans les sacs. Nous pouvons vous en donner. Tu es Jdrui et tu as vécu dans une plus grande tribu encore.
Jdrui expliqua qu’ils avaient eu de terribles malheurs à cause des Hommes du Chaud qui les avaient chassés comme des loups pour les contraindre à gratter la glace sur le toit transparent de leurs villes.
— Ils nous nourrissaient de moins en moins et nous avons fui plusieurs fois. On nous rattrapait et chaque fois plusieurs d’entre nous mouraient.
— Oui, dit Ram-Ou… Une femme nommée Jdrou est morte il y a longtemps, peut-être le temps de trois naissances ?
— Oui, au moins, dit Jdrui. Un Chasseur du Chaud l’a tuée avec une arme à feu… Juste comme nous venions d’être repris. Nous avions décidé de ne pas nous laisser faire cette fois-là.
Afficher en entierOn leur avait dit que Jdrui avait perdu une main lorsqu’il travaillait sur le dôme d’une ville des Hommes du Chaud. Une plaque de verre avait cédé sous son poids et pour éviter de tomber de près de cinquante mètres de hauteur il avait dû s’accrocher aux brisures, s’entaillant très profondément. Au point qu’un de ses compagnons avait dû achever de sectionner sa main d’un coup de pelle à glace.
Jdrui s’était enfui ensuite avec quelques membres de sa tribu et depuis ils erraient le long des voies ferrées, ramassant les détritus, ou piégeant les corbeaux, les rats et les loups qui venaient également fouiller dans ces ordures.
La tribu qui recherchait Jdrui appartenait elle aussi à
l’Ethnie du Sel mais n’avait jamais vécu dans l’environnement des Hommes du
Chaud, méprisant même ces mendiants qui vivaient le long des réseaux, agitant les bras au passage des convois dans l’espoir de recevoir quelque nourriture.
La tribu venait de loin, de très loin, de l’autre bout du monde. Elle avait marché des mois, peut-être quatre ou cinq puisque l’une des femmes, enceinte au départ, avait accouché dernièrement et portait l’enfant dans ses bras.
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