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Comment s'était-elle procuré ce billet, il ne le sut jamais, bien qu'il n'ait eu de cesse, au moins pendant les premiers mois de son séjour aux États-Unis, de le lui demander dans presque chaque lettre. S'il insistait, soulignant rageusement sa question d'un trait rouge, elle répondait :
« Mon bonheur, c'est que tu joues dans la cour des grands. »
Afficher en entier– Ils ne sont pas comme les autres, dit Arthur.
– Mon cher, il faudra vous y faire. C'est la nouvelle génération fabriquée par notre continent. Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils sont riches. On ne leur demande plus d'où ils viennent, si leurs ancêtres étaient à bord du Mayflower. Cette blonde, Elizabeth Murphy, appartient à la quatrième génération d'Irlandais. Les premiers sont arrivés crevant de faim, dévorés par la vermine. On les a vus poser des rails dans le Far West, pas mieux traités que les coolies chinois, mourant des fièvres, mais les enfants des rescapés allaient à l'école et, à l'âge d'homme, s'engageaient dans la cavalerie pour tailler en pièces de l'Indien. À la troisième génération, ils entraient dans une banque ou en politique et faisaient déjà partie de la nouvelle aristocratie américaine. Lisez Henry James et Scott Fitzgerald. Ils ont tout dit de leur snobisme et de leur argent. Elizabeth Murphy – si elle croule sous les dollars – n'est pas snob pour un sou. L'an dernier elle a assisté trois mois à mon cours. Parmi les descendants de ces Irlandais venus au temps de la grande famine dans leur pays, il y a toujours des têtes brûlées prêtes à foutre le feu partout où elles passent. Elizabeth est un volcan. Elle a beau s'habiller comme un docker, se coiffer à la garçonne, personne ne s'y trompe : c'est une princesse. Vous apprendrez vite cela : l'argent, chez nous, c'est la sainteté... Il n'est jamais vulgaire d'en parler, de dire le prix de sa maison, de sa voiture, des bijoux de sa femme. Oui, la sainteté...
Afficher en entierSouffrait-elle réellement du froid ou feignait-elle d'être une poétique créature condamnée à vivre à l'abri des intempéries ou à tousser comme Marguerite Gautier ? Un jour, un homme l'exposerait au froid, l'aimant assez lucidement pour déceler en elle la part de la vérité et se griser de ce qu'elle inventait avec un si charmant génie. À la façon dont elle serrait sa poitrine dans ses bras croisés, recroquevillait son cou et son menton dans le col de fourrure, on aurait vraiment pu croire que des vents glacés balayaient le pont-promenade pourtant fermé à chaque extrémité par de larges panneaux mobiles.
– Où êtes-vous ? dit-elle à Arthur. Je ne rencontre plus votre regard.
– Je pensais à vous.
– Eh bien, mon cher, continuez.
Afficher en entierAppuyé au bastingage, Arthur suivit un long moment la frise d'écume qui s'écartait du bateau et partait mourir dans les profondeurs de la nuit. Au bout, tout au bout du trajet, se cachait encore la silhouette de New York. Oh, certes, il ne partait pas à la conquête du Nouveau Monde comme tant de passagers du Queen Mary, et, même, il était certain de n'avoir jamais eu l'ambition de s'y fixer, mais autre chose l'attirait : l'intuition que, là-bas, se trouvaient, peut-être, les éléments d'un avenir interdit à l'Europe épuisée par sa guerre civile de cinq ans.
Afficher en entierUn paquebot est une prison avec des horaires impérieux, beaucoup d'interdits,des libertés mesurées au compte-gouttes, une population fixe qui tourne en rond dans les étroites cours de récréation, surveillée par des stewards, et aucun endroit pour s'isoler, à part la cabine cellulaire quand on a la chance de ne pas la partager avec un ou une inconnue dont on aime rarement l'odeur sui generis.
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