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Extrait ajouté par siegrid 2012-12-06T18:18:13+01:00

1

Il était tôt. Sept heures et demie. La route étroite, peinant sur le flanc montagneux, semblait dresser un mur gris devant le capot rouge. Comme sur une peau épuisée qui pèle, des plaques de bitume s'effritaient, lacérées de saignées et de plaies. Sabine Moreau ne forçait pas le petit diesel. Elle laissait arriver chaque lacet. Serré, nerveux, tel un animal qui se refuse d'un écart, quand on essaie de l'approcher.

La voiture courte dansait sur les ornières, mais sa légèreté se révélait plaisante, même si la conductrice avait d'abord regretté l'austère Toyota noire, beaucoup plus stable, qu'elle venait de lâcher pour cause de soif excessive de carburant.

Le tableau de bord de la Panda 4 × 4 affichait une gaieté colorée qui, ce matin-là, chatoyait. Pour la première fois, après deux ou trois semaines d'un début de printemps hésitant, la lumière d'un ciel pur s'insinuait à travers les draperies d'arbres sombres, bordant la chaussée en murailles de forteresse.

Sabine s'attendait à être éblouie, mais les pinceaux fantasques de violente clarté des rayons du soleil trop blanc la surprenaient à chaque sortie de virage. Ils fulguraient contre son visage en lueurs mouvantes, se colorant selon le filtre que leur opposaient les feuillages : du rubis enflammé au diamant aveuglant.

La vitre de la portière était baissée. Des langues attardées d'air nocturne produisaient de brèves chairs de poule sur le cou et la gorge de la jeune femme. Ces coups délicieux de fraîcheur piquaient d'abord, puis caressaient et donnaient enfin une sensation de grande légèreté.

C'était un moment vierge. Des minutes où elle ne pensait à rien, en pensant à tout. C'était une manière de se préparer à une journée fatigante que Sabine aimait bien.

— Les camions de la carrière ne sont pas encore chargés et le bois ne descend que l'après-midi, raisonna-t-elle pour se rassurer, car les chauffeurs, qui pilotaient leurs mastodontes comme des brutes invulnérables, dévalaient vers la plaine en jetant ceux qui montaient dans les fossés à coups de klaxon, accompagnés sans doute d'insultes.

Implacable, le portable vibra sur le siège avant. Pourquoi Sabine l'avait-elle enfoui sous le vêtement chaud, prévu par précaution ? Pour éviter qu'il glisse ou pour ne pas l'entendre ? Sa main tâtonna pendant quelques secondes, entre la trousse et le dossier au tissu trop surchargé de damiers minuscules, destinés par les designers de Fiat à habiller moderne et jeune l'habitacle.

— Cabinet d'infirmières, j'écoute...

— Allô ! Viens vite. J'ai très mal, se plaignit une voix aiguë, dont le timbre trahissait la prétention de quelqu'un qui pense que tout lui est dû, tout de suite.

— Qui êtes-vous ?

— Vanessa Masse. Tu ne m'as même pas reconnue ! C'est un comble !

— Excuse-moi, je fais très attention à la conduite.

— Où es-tu ? Tu vas m'obliger à attendre une éternité, râla la femme impatiente.

— Je monte chez Lucien Soubrier. Pas facile sur ce chemin de chèvres défoncé ! Plains-toi à ton maire de mari, qui devrait s'occuper de tous les nids-de-poule de la commune, même à la campagne ! ironisa Sabine.

— Je ne comprends pas pourquoi tu perds ton temps avec ces types des cambrousses du diable. Si tu veux jouer les filles de charité ou les béates, commence d'abord ta tournée chez les civilisés, à Vrillac. Chez nous !

— Paul n'est pas encore à son bureau de la mairie, je suppose ?

— Non, convint Vanessa.

— Demande-lui de te préparer une aspirine...

— Tu n'es pas chic. Je t'assure que je souffre, protesta l'épouse du maire, cette fois sur un ton dolent.

— Je te reçois très mal, prétexta Sabine pour couper.

Elle sortait de la prison des pins. Devant elle, leurs cohortes compactes enserraient une clairière de faible surface, qui s'épanouissait sur un replat, en enfonçant trois ou quatre minces lanières de prés mal tenus le long de torrents entaillant la pyramide de hauteurs massives, dont les eaux vif-argent se mêlaient pour former le Rieudroit. Plus bas, le gros ruisseau traversait en paresseux les quartiers bas de Vrillac qui se distendaient dans une vaste plaine.

— Emmerdeuse !

Sabine considérait Paul et Vanessa Masse comme des relations nécessaires, dans un bourg où régnait une convivialité démonstrative et où il lui était difficile de se fâcher avec quelqu'un, simplement parce que c'était un raseur. Mais, parfois, elle détestait cette petite-bourgeoise hypocondriaque, qui se découvrait des souffrances ou des maladies horribles un jour sur deux. Ce matin, quel mal imaginaire et quelle inquiétude la déprimaient encore ?

La Panda était moins encombrante et moins haute sur roues que la Toyota, mais Sabine parcourut du regard exactement la même étendue limitée que lorsqu'elle conduisait son ancien véhicule. Même si elle ne jouissait pas d'un sens très acéré des chiffres et des grandeurs, elle l'avait évaluée à une dizaine d'hectares, à sa première visite au vieux, il y avait tant d'années déjà.

Et c'était toujours une sensation étrange de déboucher face au repaire de Lucien Soubrier ! Les Avalats : un nom un peu sauvage, qui collait bien à l'endroit, avait-elle pensé maintes fois.

Ce matin où il faisait déjà très beau, l'idée que cette tache de soleil ne devait pas exister là, qu'elle était incongrue dans le vert uniforme du paysage forestier, la traversa. Cette trouée resplendissante et chaude déconcertait dans l'austère froideur de la végétation qui régnait tout autour. Peut-être même semblait-elle contraire à l'ordre des choses régissant les lieux !

Une lourde forêt caparaçonnait partout l'immense pente de la montagne. Sabine Moreau ne connaissait pas l'histoire précise des boisements, mais cinquante ou soixante ans plus tôt, ils avaient submergé les terrasses et les prairies, parce que la tête des paysans d'ici tournait quand ils pensaient à la richesse montante de la plaine, si près d'eux, à portée de leurs mains d'hommes débordant de force noueuse et d'énergie. Ils avaient déserté...

Maintenant, on ne voyait que les vagues figées des cimes, l'armure impénétrable de conifères funèbres emprisonnant les versants, sur lesquels vibrionnaient autrefois la vie et des êtres ressemblant à Lucien Soubrier.

Pourquoi s'attarder aux arbres, aux troncs rougeâtres des laricios, aux frondaisons légères des pins sylvestres, à leurs noirs congénères d'Autriche et plus haut aux sapins pectinés ? Chacune de ces espèces possédait une nuance perceptible pour un botaniste, mais à vrai dire l'œil ne parcourait qu'une lave figée de vert monotone, qui oppressait. Habituée à circuler sous ce couvert de sapinières, Sabine les traversait sans éprouver de malaise. Pourtant, dans ce matin de pureté lumineuse, quitter l'ombre lui parut si agréable qu'elle immobilisa l'auto pour contempler les couleurs déjà posées dans les moindres recoins des Avalats. C'était un tableau en mille touches, timides ou éclatantes, qui semblaient s'excuser de s'offrir là, cernées par l'émeraude terne des hautes futaies.

Des haies et des lisières s'élevait la rumeur des petits oiseaux, un pépiement indistinct, harmonieux, mais un peu obsédant. Par contre, des merles en train de nicher jouaient en solistes, emplissant l'air de modulations amoureuses. Heureuse d'échapper au silence de sépulcre des étendues boisées, Sabine les écouta pendant trois à quatre minutes avant de repartir.

Puis, elle revint à ses visites de la journée, à Lucien Soubrier, à Vanessa qui lui reprocherait de mal traiter une amie.

En roulant au pas vers la maison du solitaire, la fragilité de la clairière l'émut plus brutalement que d'habitude, sans doute parce que la lumière radieuse accusait les contours des Avalats, dominés par les fûts écailleux serrés, et soulignait l'insignifiance des objets et des animaux, devant elle : une charrette immobile pour toujours, un van à manivelle vermoulu, trois chèvres blanches que Lucien gardait pour disposer d'un peu de lait et de fromage, un nombre imprécis de poules errantes.

Elle ralentit, soudain remuée par la floraison des pêchers. Pathétique ! Un rose d'épuisement languissait dans leurs bouquets, infiniment pâle si elle le comparait aux boules somptueuses des vergers entourant Vrillac. Les inflorescences se dispersaient au bout de branches à demi-mortes, leur sève s'étranglait.

Les mauvaises herbes hirsutes rendaient plus évidents les progrès de l'abandon. Sabine pensa que Lucien Soubrier n'avait pas taillé ses arbres à la fin de l'hiver, les laissant aussi vulnérables à la cloque, faute de pouvoir porter sur son dos le pulvérisateur à bouillie.

Le vieillard lui fit signe de ranger la voiture devant un muret, orné d'une haie de buis. Les poules, mues par une curiosité bizarre, s'approchèrent au lieu de fuir, apeurées, comme la plupart des volatiles.

— Je voudrais pas que ces jobards écrasent votre auto neuve, persifla Lucien.

Sabine se retourna. La voie forestière, s'enfonçant en tunnel dans la masse opaque des conifères pour desservir les chantiers et la carrière de Jo Sourdilleux, balafrait plus que jamais de terre et de déchets le fond de la clairière.

— Ils voudraient pouvoir chier leur glaise et n'importe quoi jusqu'ici ! expliqua le vieux.

— Vous êtes propriétaire jusque là-bas ? questionna Sabine, en pensant que ces récriminations faisaient monter inutilement la tension de son malade.

— Regardez, il y a déjà des souches avec leurs racines, un diable, un camion en panne et cette saloperie de boue partout.

— Ils clôturent ? s'étonna Sabine, qui découvrit des ouvriers occupés à dresser un grillage de deux mètres de hauteur contre des piquets.

— Sans doute, ils veulent pas que j'aille chercher des champignons chez eux...

— Vous n'avez pas si grand appétit que vous puissiez les en priver ! s'amusa Sabine.

— À moins que votre Sourdilleux n'aime pas qu'on voie ce qui se passe là-dedans ! Je me demande pourquoi il n'a jamais ouvert le tunnel d'arbres, alors que les camions doivent manœuvrer pour en sortir...

— Ce n'est pas mon Sourdilleux, comme vous dites, se défendit Sabine Moreau, parce qu'elle se sentait gênée de constater le mépris avec lequel l'entrepreneur traitait un vieillard sans défense.

— Vous êtes pas du même acabit, je me dis, mais je sais que votre mari, le maire et Sourdilleux sont comme cul et chemise à Vrillac, s'obstina Lucien Soubrier.

— Je suis pressée. Entrons pour que je vous pique, décida Sabine Moreau.

— Vous connaissez le chemin. Venez.

Des narcisses attardés égayaient le bas de la façade. Les assises de schiste bleuté, disséquées par les rayons du soleil, inspiraient un sentiment de solidité, d'éternité de la pierre, en rupture avec l'épuisement du verger mourant et le fouillis du cancer végétal proliférant autour des bâtiments.

— Je ne vous ai pas tiré du lit ?

— J'aime pas une cuisine en désordre. Je suis debout depuis deux heures. Quand vous serez partie, j'irai prendre la belle chaleur, en menant les chèvres vers les serpolets naissants, expliqua le vieux, comme pour se justifier d'offrir à sa visiteuse matinale une pièce récurée, où pas un atome de poussière ne brillait dans l'argent de la clarté montante.

— Vous n'êtes pas comme les autres, Lucien ! constata l'infirmière, amicale, en pensant à tous les vieillards avachis de sa tournée, qui survivaient dans la saleté.

— On est pas des bêtes ! Depuis que ma pauvre femme est partie, j'essaie de me tenir...

— Bien sûr... fit Sabine, que cet homme impressionnait toujours.

— Quel bras vous voulez ?

— Le droit. Le gauche n'a pas de veines ! plaisanta-t-elle.

— Allez ! Faites attention ! J'aime pas qu'on me charcute !

— Vous n'êtes pas aussi douillet que vous voulez me le faire croire.

Sabine Moreau regarda le sang tacher lentement les parois des trois tubes qu'elle devait prélever. Elle pressait avec légèreté le membre grêle de Lucien Soubrier entre ses doigts. Dans l'échancrure de sa chemise, dont deux boutons étaient défaits, sa poitrine, velue de blanc, paraissait enfoncée. Maigre à effrayer. Le vieux pesait-il seulement cinquante kilos ?

Et le visage ? Émacié comme celui d'un ascète maladif. Seuls les yeux d'acier, remarquablement beaux, indiquaient que ce corps parcheminé possédait toujours l'instinct vital.

Sabine Moreau évitait de s'attendrir sur ses patients. Mais, soudain, elle pensa qu'elle devait lutter farouchement pour garder le plus longtemps possible la vie dans cette chair flétrie et l'éclat dans ce regard si humain.

— Je sais pas si c'est à cause du soleil, mais, ce matin, vous êtes fraîche comme une rose, la complimenta-t-il, lorsqu'elle commença à ranger les prélèvements et son matériel.

— Vous savez encore parler aux femmes, Lucien !

— Parler... C'est toujours mieux que de rien dire, philosopha-t-il.

Mue par un geste inexplicable, elle resserra le col de son chemisier qui bâillait sur l'arrondi de la naissance de ses seins. Elle se demanda si c'était un mouvement de coquetterie, un peu sur la défensive, comme cela aurait pu lui arriver face à un homme jeune et séduisant.

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