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« Dieux, pensa la jeune femme, que mon pays est beau ! » De la terrasse de la grande villa familiale, elle observa le lever du soleil. Au sortir de la nuit dangereuse, domaine des démons, l’astre de la vie, vainqueur du monstrueux serpent destructeur, renaissait pour répandre sa lumière.
Un instant magique, un miracle que renouvelaient les formules des ritualistes et que le pharaon concrétisait en célébrant le rituel de l’aube.
Hatchepsout ressentait ce moment de grâce au plus profond d’elle-même. Hatchepsout, « la Première des vénérables », le nom secret que lui avait donné un magicien à sa naissance, et que ses parents ne lui avaient révélé que le jour de ses seize ans.
Un nom bien lourd à porter, dont l’ampleur la troublait. Sans doute se référait-il à Hathor, la déesse du ciel et de la joie, à laquelle, il est vrai, elle vouait un culte.
Afficher en entierAu grand dam de ses servantes, Hatchepsout avait décidé de paraître devant le monarque en toute simplicité : maquillage léger, pas de robe d’apparat.
Que lui voulait le roi ? Elle le connaissait fort peu. Âgé de vingt ans, il vivait avec une certaine Isis, qui lui avait donné un fils, nommé également Thoutmosis. Personnalité effacée et discrète, Isis serait bientôt élevée à la fonction suprême de Grande Épouse royale. Et si l’enfant montrait les dispositions requises, il succéderait sans doute à son père, à condition d’être adoubé par le Grand Conseil.
Hatchepsout, elle, n’avait aucune place dans cet avenir-là. Ne jouant aucun rôle à la cour et n’exerçant aucune influence sur le gouvernement de l’Égypte, elle n’aurait dû apercevoir le pharaon qu’au moment des grandes fêtes que Thèbes savait si bien organiser. C’est pourquoi cette visite privée, inattendue, n’avait aucun sens.
Afficher en entierHatchepsout demeura silencieuse.
— Toute existence comporte des épreuves que les astres nous infligent, déclara Sénenmout. Tu seras assez forte pour affronter les tiennes. Et tu sauras servir l’Égypte.
— Peut-être, mais pas sans toi.
— Que veux-tu dire ?
— Soit tu m’accompagnes à Thèbes, soit je refuse la proposition du roi.
— T’accompagner ?
— Ma venue dérangera nombre de courtisans. C’est pourquoi je nommerai le Vieux intendant de la Maison de la reine, afin qu’elle fonctionne correctement. Toi, tu seras mes yeux et mes oreilles. Aveugle et sourde, je suis condamnée à l’échec. Sans un homme de confiance tel que toi, je n’ai aucune chance de succès.
Afficher en entierLa cour bruissait de mille rumeurs. Isis était revenue sur sa décision, le roi hésitait entre plusieurs princesses, aucune date n’était fixée pour le couronnement d’une Grande Épouse royale, le trône vacillait. Avec la nouvelle lune, Osiris renaissait et offrait au peuple d’Égypte la certitude de la résurrection. Dans tous les temples, un rituel était célébré.
Afficher en entierCombien de décisions capitales avaient-elles été prises dans la petite salle d’audience, loin des yeux et des oreilles ? C’était ici que le maître des Deux Terres écoutait le rapport de son Premier ministre, « celui du rideau », qui connaissait tous les secrets d’État et devait mettre en application les décrets royaux.
Afficher en entierLa jeune femme se retourna.
— Mon père s’appelait Thoutmosis, « Celui qui est né de Thot ». Par bonheur, notre nouveau roi affermit sa lignée. Que la Connaissance le guide. Quant à moi, je devais rendre hommage au dieu qui, aujourd’hui, nous inspire et nous protège. Puisse-t-il dicter votre conduite.
Afficher en entierLe Vieux l’observa longuement.
— Quand on dirige, il faut se méfier des incompétents, des truqueurs et des feignants. D’instinct, j’ai l’impression que tu réussis l’exploit d’appartenir aux trois catégories.
Afficher en entierPrise dans un tourbillon, Hatchepsout tentait de garder un semblant de lucidité. Dûment purifiée, elle était conduite par deux ritualistes vers le sanctuaire d’Amon, « le Caché », l’unique aux multiples facettes, le secret de la vie en esprit.
Et c’était de cette vie-là, invisible et pourtant essentielle, que la reine, en tant qu’« Épouse du dieu », devenait dépositaire. Elle incarnait Mout, à la fois Mère et Mort. Mère animée du feu créateur qu’elle répandait sur la terre, Mort qui distinguait l’essentiel du secondaire. Ensuite, et seulement ensuite, la compagne d’Amon accédait au rang de Grande Épouse royale, élément indispensable de « Pharaon », formé du couple régnant.
Afficher en entierLes deux hommes s’éloignèrent et trouvèrent une ruelle déserte. Ils s’assirent sur le seuil d’un atelier de poterie, fermé pour cause de réjouissances, et s’exprimèrent à voix basse.
— Où en es-tu ?
— J’ai réussi à fédérer trois tribus, qui comptent d’excellents archers. On murmure que le nouveau roi est un faible, peu soucieux d’exploits militaires.
— Un disciple de Thot préfère les livres et la sagesse.
— Tant mieux pour nous. Ce couple royal ressemble à un enfant qui vient de naître. C’est le moment d’agir.
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