Extraits

— Je désire savoir pourquoi Kokor Hekkus a besoin d’une telle somme. Il y a, en fait, beaucoup de choses que je désire apprendre sur le compte de Kokor Hekkus. — Si je comprends bien, vos motifs ne sont pas totalement désintéressés ? — Peu importent mes motifs. Voici ce que je pourrais faire : si j’entrais en possession de cent millions d’UVS, plus mes frais, j’irais à Interéchanges. Agissant en mon nom propre, je prendrais vos enfants sous ma protection. À propos, quel âge ont-ils 

— Pas après deux cent quatre-vingt-deux ans. Gersen s’avisa que Duschane Audmar en savait bien plus sur le compte de Kokor Hekkus qu’il ne voulait l’admettre. — Il semble que les besoins de Kokor Hekkus s’élèvent, au bas mot, à deux milliards d’UVS – à supposer que toutes les rançons atteignent l’importance de celle qui vous est assignée. Que veut-il faire de tout cet argent ? Construire une flotte de guerre ? Reconstruire une planète ? Fonder une université ? Audmar soupira pensivement

Audmar retourna à sa feuille de papier et à sa plume d’oie. Gersen comprit que sa patience s’amenuisait. — Depuis le début du mois, fit Gersen, Kokor Hekkus a kidnappé au moins vingt personnes, probablement davantage. Ceci selon les dernières estimations de la CCPI juste avant mon départ d’Avente. Toutes les victimes sont des gens influents et riches

— Ce qui signifie très peu, ou pas du tout, répliqua Audmar. — Cependant, vous êtes humain et vous devez aimer vos enfants. Vous n’aimeriez pas les savoir vendus en esclavage, car tel est le sort qui les attend

Gersen ne s’était attendu à rien d’autre. Les Centiphases et autres membres de haut rang étaient requis de conserver une impassibilité absolue en présence de pressions extérieures quelles qu’elles fussent. Pour Duschane Audmar, le fait d’acquitter la rançon de ses enfants serait une indigne soumission qui l’exposerait, en même temps que tout l’Institut, à d’autres contraintes venues du dehors. Personne n’ignorait cela. Pour la centième fois, Gersen se demanda ce qui avait pu pousser les ravisseurs à s’attaquer à un membre de l’Institut. S’agissait-il d’une simple méprise ? Ou Duchane Audmar avait-il failli en d’autres occasions 

— Pourquoi désirez-vous m’entretenir de Kokor Hekkus ? — C’est un sujet qui nous intéresse l’un et l’autre. Audmar hocha la tête sèchement. — Le personnage ne manque pas d’intérêt, c’est entendu. — La semaine dernière, il a kidnappé vos enfants. Pendant trente secondes, Audmar ne répliqua rien. De toute évidence, l’identité du ravisseur lui avait été inconnue

Gersen la suivit le long d’un obscur corridor jusqu’à une grande salle voûtée aux murs de plâtre nus. Audmar était assis à son bureau, une plume d’oie à la main, devant un encrier de cristal et un bloc de papier blanc. La feuille de papier était vierge, à l’exception d’une seule ligne au graphisme moulé et riche en fioritures qu’affectionnaient les membres de haut rang de l’Institut. Audmar était un homme râblé, au visage lisse, aux traits nets et harmonieux : sous de petits yeux d’un noir brillant, un nez droit et court surmontait une bouche compacte et un menton fendu d’une fossette. Il accueillit Gersen avec froideur ; écarta papier, plume et encrier

Gersen gravit l’allée à pied, souleva puis laissa retomber l’imposant heurtoir de bronze en forme de patte de lion. Au bout d’une longue attente, quelqu’un vint ouvrir. C’était une jeune femme au physique agréable qui portait un sarrau de paysanne

Gersen arriva à Taube, petite ville de la baie de Jermin, assoupie sous un soleil accablant, avec la fusée bimensuelle en provenance de Marquari, la capitale de la province. Dans tout le village, il trouva un seul véhicule à louer : un antique glisseur qui faisait un bruit de ferraille et avait une forte propension à se déporter dans les descentes. Gersen demanda son chemin, s’installa aux commandes et s’engagea sur la route qui grimpait à l’intérieur des terres, perpendiculairement au littoral

« J’ai réfléchi à tout ça, ça ressemble trop à la mort. Adieu le fier, le spirituel Rob Castilligan ; avec lui disparaît toute la joie de vivre, toute la lumière du monde, À sa place s’amène le triste, l’honnête Robert Meachum Castilligan, morne comme un cloporte, incapable de voler un morceau de viande pour sa grand-mère affamée. Très peu pour moi. Avec de la chance, j’entends sortir de ce satellite d’ici cinq ans ou moins