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Extrait

Extrait ajouté par lamiss59283 2012-02-22T10:16:29+01:00

Nord de la Tanzanie, Afrique de l’Est

D’un geste preste, Angel tira sur la bride de la chamelle pour s’assurer qu’elle était solidement nouée autour du tronc d’arbre. La bête, baissant la tête, frotta doucement son museau contre l’oreille de la fillette. Angel sourit et caressa le cou au poil rêche. Puis elle tourna son regard vers le bol à traire qu’elle avait déposé un peu plus loin à l’ombre. La vue du lait épais et mousseux, si blanc contre le bois sombre, lui rappela combien elle était affamée, et elle alla détacher le chamelon qui, tout près de là, s’agitait impatiemment au bout de sa longe.

Sitôt libéré, il courut vers sa mère et chercha avidement son pis. La chamelle ne lui prêta aucune attention, pas plus qu’elle ne paraissait gênée par le poids des sacs et des couvertures arrimés à son bât. Seules les tendres feuilles à l’extrémité des branches de l’acacia semblaient accaparer son intérêt. Refermant ses lèvres épaisses autour des pousses, elle les détacha d’un coup sec et les happa.

« Quelle gourmande tu fais, Mama Kitu ! », la gronda Angel. Souriant au petit, qui grognait de satisfaction tout en tétant, elle ajouta : « Et toi aussi, Matata. »

Elle alla chercher le bol de lait, puis, le tenant à deux mains, elle descendit précautionneusement le coteau en pente douce pour se diriger vers un affleurement rocheux à quelque distance de là. Indifférente aux cailloux pointus qui hérissaient par endroits le sol sous ses pieds nus, elle gardait les yeux rivés sur le lait clapotant contre les bords du récipient.

En arrivant à proximité des rochers, elle s’arrêta pour contempler les plaines désertes. À cette heure matinale, le soleil était encore bas sur l’horizon et ses rayons obliques, transperçant l’air poussiéreux, coloriaient le paysage de teintes vives. Le sable était d’un jaune étincelant et les ombres entre les rochers ourlés d’or et couronnés de rose dessinaient des taches irrégulières, mauves et brunes. Levant le regard vers l’horizon, Angel discerna dans le lointain les contours de la montagne en forme de pyramide qui surplombait les plaines, avec ses flancs d’un bleu vaporeux, son sommet poudré de lave blanche pareille à une calotte de neige. Elle leur indiquait la direction à suivre, Angel le savait. Toute la journée, tandis qu’elles chemineraient, elles la verraient se dresser en face d’elles, entre les oreilles velues de Mama Kitu.

Ol Doinyo Lengaï, la montagne du dieu Engaï¹, un lieu sacré pour les Massaï.

Contournant le dernier rocher, Angel s’avança vers sa mère. Celle-ci était assise en tailleur sur le sol, à côté d’une large pierre plate qui ressemblait tellement à une table qu’elle paraissait avoir été placée là exprès pour inviter les voyageurs à faire halte et admirer le panorama. Comme sa fille, Laura était vêtue d’une tunique et d’un pantalon en coton uni, mais elle avait enroulé une écharpe imprimée autour de sa tête. Penchée au-dessus de la pierre, elle chassait les mouches qui vrombissaient autour des galettes de pain et des dattes qu’elle y avait disposées.

Angel lui tendit le bol.

« Merci », dit Laura en le portant à sa bouche. Quand elle releva la tête, ses lèvres étaient soulignées d’une moustache blanche. « Il n’y a pas de sable dedans, remarqua-t-elle d’un ton approbateur.

— J’ai fait très attention, répondit Angel.

— Tu te débrouilles à merveille. » Laura accompagna ce compliment d’un sourire et s’essuya la bouche sur sa manche.

« C’est que je ne suis plus un bébé, rétorqua Angel. Regarde… » Ouvrant la bouche toute grande, elle fit bouger du bout de sa langue une incisive branlante.

Laura s’inclina vers elle pour l’examiner. « Il vaudrait mieux l’arracher.

— Non, répliqua la fillette en secouant la tête.

— Tu risques de l’avaler, expliqua sa mère. Et dans ce cas, la fée des dents de lait ne viendra pas.

— Quelle fée ? » demanda Angel, l’air intrigué.

Laura prit une galette et la lui donna, en même temps que le bol. « En Angleterre, les parents racontent à leurs enfants que, s’ils mettent leurs dents de lait sous leur oreiller, la fée passera les chercher durant la nuit et laissera à la place des pièces de monnaie.

— Tu le faisais, quand tu étais petite ? s’enquit Angel. Et la fée venait ?

— Quelquefois, répondit Laura. Pas toujours. » Tout en parlant, elle ôta son foulard. C’était un morceau de kitenge, aux couleurs jadis éclatantes mais aujourd’hui fanées, aux bords déchirés et effilochés. Ses longs cheveux, du même blond paille que ceux de sa fille et qui lui descendaient plus bas que les épaules, étaient raides et ternis par la poussière. Après les avoir démêlés avec les doigts, elle renoua l’écharpe et rentra les mèches rebelles sous l’étoffe. Puis elle scruta le visage d’Angel.

« Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda-t-elle, devant son expression soucieuse.

— Nous n’avons pas d’oreillers.

— Ne t’inquiète pas pour cela. Je ne pense pas qu’il y ait de fée ici. »

Angel plissa les yeux d’un air pensif. « Je crois que si.

— Mange, à présent, reprit sa mère en souriant. Nous ne ferons pas d’autre pause avant plusieurs heures. »

Tandis qu’Angel mordait dans le pain, Laura se redressa et montra la montagne. « Le manyata se trouve là-bas, juste en bordure de la plaine. Il faut y arriver avant la tombée de la nuit.

— Peut-être qu’ils auront tué une chèvre, dit Angel la bouche pleine, en projetant des miettes. Et qu’ils nous offriront du ragoût de viande ?

— Non, ils ne nous attendent pas. »

Angel la regarda, une lueur d’inquiétude dans ses yeux bleu-vert. « Alors, ils ne nous laisseront peut-être pas entrer.

— Mais si. Le chef est le frère de Walaita. Quand nous lui expliquerons qui nous sommes et lui montrerons les cadeaux qu’elle nous a demandé de lui apporter, il nous accueillera avec plaisir. »

Angel se leva et suivit le regard de Laura, toujours fixé sur le lointain. « Raconte-moi encore, implora-t-elle. Raconte-moi ce que nous allons faire. »

Posant une main sur la tête de l’enfant, Laura répondit : « Nous mettrons Mama Kitu et Matata à l’abri dans le boma, avec tout le bétail de la tribu. Ensuite, nous monterons notre tente à côté de la maison du chef.

— Mais nous ne resterons pas là.

— Non. Demain, nous laisserons les chameaux au manyata, puis nous irons à pied jusqu’à la cascade. Et là, nous attendrons qu’une voiture s’arrête et nous emmène jusqu’à la route principale.

— Qui nous emmènera ? demanda Angel, trépignant d’excitation.

— Des wazungu. Des touristes en safari organisé. Des femmes avec des lunettes de soleil et du rose sur les lèvres, des hommes avec d’énormes appareils photo. »

Angel gloussa de rire. « Et quoi d’autre ?

— Je ne m’en souviens vraiment plus.

— Et qu’est-ce qu’on fera, quand on arrivera à la route principale ?

— Nous prendrons l’autobus pour aller à la ville.

— La ville, répéta tout bas Angel. Nous irons à la ville…

— Mais si nous ne nous remettons pas en chemin au plus vite, déclara Laura, nous n’irons nulle part. » Rassemblant les reliefs du repas, elle fit signe à l’enfant de prendre le bol, puis se dirigea vers les chameaux.

Angel la suivit, balançant le récipient au bout d’une ficelle en sisal passée dans un trou percé dans le bord.

Elle n’avait fait que quelques pas lorsqu’elle entendit un petit cri de surprise. Levant les yeux, elle vit que Laura s’était immobilisée et regardait fixement les broussailles à ses pieds. Quelque chose dans son attitude fit naître chez Angel un brusque sentiment d’appréhension. Elle se rua vers sa mère, serrant le bol contre sa poitrine.

« Attention ! lui cria Laura par-dessus son épaule. Il y avait un serpent, mais je suis à peu près sûre qu’il s’est enfui. » Elle était pâle et paraissait visiblement secouée. « J’ai senti quelque chose. Je crois qu’il m’a mordue. »

Retroussant le bas de son ample pantalon, elle dénuda sa jambe gauche. À mi-hauteur du mollet, on distinguait deux petits points rouges. Angel dévisagea sa mère, dont les yeux étaient agrandis par la peur.

« J’ai eu à peine le temps de le voir, murmura Laura, la voix tremblante. Il était si rapide. Et il a disparu aussitôt…

— Tu devrais t’allonger, lui conseilla Angel. Quand on est mordu par un serpent, il ne faut surtout pas bouger. »

Sa mère prit une longue inspiration, puis relâcha lentement son souffle. « Oui, tu as raison. »

Elle s’étendit sur le sol, en essayant de ne pas remuer sa jambe gauche. Arrachant son foulard, elle tenta maladroitement de défaire le noeud, en vain.

Au bout de quelques secondes, Angel s’en empara et le dénoua avant de le lui rendre. Laura entreprit de l’enrouler étroitement autour de sa jambe, en commençant en dessous du genou et en progressant jusqu’aux traces de morsure.

Quand ce garrot improvisé eut été mis en place, elles examinèrent toutes deux les minuscules plaies. Tout autour, la peau commençait à se boursoufler.

« Ça fait mal, maman ?

— Pas beaucoup. Pratiquement pas », répondit Laura. Elle laissa de nouveau échapper un long soupir frémissant. « Ce n’était peut-être pas un serpent dangereux. Je ne sais pas quelles espèces on trouve dans cette région. » Elle abaissa de nouveau les yeux vers sa jambe, avant de reprendre : « Peut-être même s’agit-il d’une morsure sèche. Parfois, le serpent a déjà utilisé tout son venin, ou bien il n’a pas la possibilité de l’injecter réellement. Tout s’est passé si vite… » Elle adressa à Angel un sourire rassurant. « À mon avis, nous ferions mieux de poursuivre notre route. Je peux étendre ma jambe le long de la selle et la garder immobile. »

Angel hocha la tête. « Nous devrions aller au manyata.

— Oui, acquiesça Laura. C’est ce qu’il y a de mieux à faire. »

En courant, Angel gravit la pente pour regagner l’endroit où elles avaient attaché les chameaux. C’était une bonne chose qu’elles se soient seulement arrêtées pour un court moment : si elle avait dû replier les tentes et charger les chameaux toute seule, elles n’auraient pas pu repartir de sitôt. En l’occurrence, il ne lui fallut que quelques minutes pour détacher Mama Kitu et la mener jusqu’à Laura. Le bruit lourd et cadencé des pas de la chamelle lui procura un peu de réconfort. Mama Kitu était une brave bête à laquelle on pouvait se fier. Même quand elle était en chaleur, elle ne donnait jamais de coups de pied ni ne mordait. On pouvait la laisser se promener en liberté sans qu’il soit nécessaire de l’entraver, car elle se laissait toujours facilement attraper. Et quand elles parvinrent auprès de Laura, étendue sur le sol rocailleux, sa jambe gauche posée sur un rocher, la chamelle s’agenouilla docilement dès qu’Angel le lui ordonna.

Matata, perturbé par cette soudaine tension dans l’atmosphère, trottait nerveusement en rond autour de sa mère. Angel essaya de l’éloigner, craignant qu’il ne marche sur Laura.

« Va-t’en », cria-t-elle en agitant les bras. Le chamelon l’ignora. « Va-t’en. File ! » hurla-t-elle de nouveau. Sa voix résonna dans le silence. Elle se mit à respirer plus vite, gagnée par la panique.

« Ce n’est rien, Angel. Ça va aller. Il faut que tu restes calme. J’ai besoin de ton aide. »

La fillette reconnut ce ton : c’était celui que sa mère employait quand elle travaillait. Si ferme et si tranquille que celui qui l’entendait se sentait plus fort. Angel hocha la tête et se força à rassembler son courage.

Après que Laura se fut hissée sur les couvertures pliées qui rembourraient la selle, Angel s’assit devant elle, tenant la corde attachée au licou de Mama Kitu. Laura se cramponna à elle quand la chamelle se redressa en grognant, faisant tanguer sa charge. Puis elle se laissa aller en arrière, s’adossant à un sac, son membre blessé étendu devant elle et reposant sur l’armature de bois. Angel était obligée de garder une jambe relevée pour lui laisser de la place, mais elle parvenait quand même à rester en équilibre. Quand elles descendirent la pente, Laura laissa échapper une exclamation de douleur, et Angel la regarda par-dessus son épaule.

Laura se contraignit à sourire. « Ce sera plus facile quand nous serons sur un terrain plat. »

Arrivées au bas de la colline, elles se retrouvèrent sur une étendue de sable à peu près plane, mais néanmoins parsemée de rochers et d’arbres rabougris. Angel regardait droit devant elle, vers la lisière des plaines. Chaque pas de leur monture les rapprochait du manyata. Elle imagina leur arrivée au village. Il y aurait des gens pour leur venir en aide – mais que feraient-ils ? Tout dépendait, elle le savait, de la dangerosité du serpent et de la quantité de venin injectée. Elle se souvint de ce berger mordu par une vipère, dans le village au bord de la rivière. Il était resté couché dans sa hutte pendant des jours, gémissant de souffrance. En fin de compte, il avait survécu. Mais beaucoup de gens mouraient des suites d’une morsure de ce genre, tout le monde le savait. C’était pourquoi les villageois prenaient soin de tuer tous les serpents qui s’aventuraient à proximité des maisons.

1. Engaï, l’Être suprême, le Dieu créateur, pour les Massaï, les Kikuyu et autres peuples d’Afrique de l’Est.

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