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Pour tout dire, on a rarement en France autant parlé de la littérature du moment, en même temps qu’on y a si peu cru.
Afficher en entierQuand le plaisir littéraire, comme le fait le nôtre, « décroche » de plus en plus de la délectation solitaire et sentie pour se socialiser éminemment, se transformer en perpétuel échange de signes de reconnaissance, en « plaisir-reflet », en moyen d’alignement sur une collectivité mouvante, et finalement en monnaie de singe, la pression multiforme qui nous enserre de toutes parts fait que nous en arrivons à ne pas plus voir (littéralement) ses manifestations consacrées que nous ne voyons réellement la mode du jour, « ce qui se porte », avec ses aspects monstrueux, grotesques, aberrants.
Afficher en entierOn ne sait s’il y a une crise de la littérature, mais il crève les yeux qu’il existe une crise du jugement littéraire.
Afficher en entierParmi les étoiles nouvelles, ils ne misent sur presque aucune : serait-ce que les perspectives du marché à terme ne se font pas particulièrement optimistes ? On dirait que la production littéraire contemporaine pressent qu’elle a quelque part en avant d’elle un rendez-vous désagréable ; elle s’en console d’ailleurs à l’avance, elle fait contre douteuse fortune bon cœur : elle est dans l’événement jusqu’au cou, nous dit-elle, elle est écrite pour son temps.
Afficher en entierUne des causes qu’on lui attribuait semble avoir pourtant partiellement cessé de jouer. Elle était que la « république des lettres », qui tend à refaire son unité en France au lendemain même des pires secousses, paraissait en 1945 menacée d’éclatement sous la pression de dissentiments politiques trop graves. Il n’y avait pas de commune mesure possible, semblait-il alors, il n’y avait plus de terrain de rencontre entre la littérature individualiste et la littérature (disons pour simplifier la littérature communiste) entièrement et volontairement soumise aux impératifs de parti. On attendait de l’avenir immédiat une décision.
Afficher en entierLa France, qui ne s’est jamais attribué tant de « grands écrivains » vivants, commence à se dispenser résolument, en 1949, d’en prendre des nouvelles, je veux dire qu’elle n’a jamais acheté si peu de livres. Tout se passe comme si le lecteur moyen avait pris son parti maintenant de ce que la réputation des écrivains se fondât autrement que comme bon lui semble, dans une région qu’il localise mal et à laquelle il n’a pas accès, et d’où pourtant lui parviennent des porte-parole mandatés qu’il ne songe guère à récuser et des réputations toutes faites. Comme le commettant à ses élus, il a délégué à ces puissances obscures ses pouvoirs de décision – mais, comme vis-à-vis d’eux, il conserve le souci prudent de garer de leurs décisions son portefeuille. Sans contester les renommées, il préfère le plus souvent s’acquitter vis-à-vis d’elles par un pieux tribut des lèvres : « he pays lip-service » comme disent les Anglais.
Afficher en entierLa France, qui s’est si longtemps méfiée du billet de banque, est en littérature le pays d’élection des valeurs fiduciaires. Le Français, qui se figure malaisément ses leaders politiques sous un autre aspect que la rangée de têtes d’un jeu de massacre, croit les yeux fermés, sur parole, à ses grands écrivains. Il les a peu lus. Mais on lui a dit qu’ils étaient tels, on le lui a enseigné à l’école : il a décidé une fois pour toutes d’aller satisfaire ailleurs ses malignes curiosités. Lisant peu, il sait pourtant que son pays, de fondation, est grand par les ouvrages de l’esprit. Il sait qu’il a toujours eu de grands écrivains, et qu’il en aura toujours, comme il savait jusqu’à 1940 que l’armée française est invincible.
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