Extraits

- Tu as l'air d'un Adonis ou bien d'un Hyacinthe, me susurra-t-il.

- Hyacinthe, milord ?

- Un beau jeune homme aimé d'Apollon. Peut-être devrais-je t'appeler de cette façon. Ainsi, tu aurais, toi aussi, le nom d'une fleur.

—Ce ne sont que des fêlures, soufflai-je lorsque je parvins à rassembler assez d'assurance pour ouvrir la bouche. Il n'y a rien qui n'aille pas chez toi. Et je ne veux pas partir : je te veux, toi.

—Vous êtes désespérant, chuchota-t-il.

Et comme je m'apprêtais à protester, il scella mes lèvres d'un baiser.

Pétri de fierté, je restai immobile lorsqu’il se mit à tâter mon visage de ses doigts glacés, nullement préoccupé par la possibilité que la souillure sur mes joues n’entache la pâleur aristocratique de sa main.

— Tu es beau, déclara-t-il d’une voix dénuée d’émotions.

— Je le sais, dis-je sur le même ton.

Cela sembla lui plaire, car il opina du chef.

— Je veux que tu cultives ta beauté et tes manières et que tu les mettes à mon service.

Une cloche d’alerte trilla dans mon esprit, mais je ne me laissai pas intimider.

— De quelle façon, si ce n’est pour me vendre ? insistai-je.

Larson parut réfléchir, mais il ne fallait pas être un fin spécialiste pour comprendre qu’il ne faisait que ménager son effet.

Pendant ce court laps de temps, j’eus le malheur de plonger dans la chaleur de son regard et j’y restai piégé, m’engluant dans l’époustouflante brillance de ses iris, comme une mouche prisonnière d’une toile d’araignée.

— J’ai un ami auquel tu plairais beaucoup.

— Un ami ? répétai-je mollement.

Je clignai doucement des yeux, commandant à mon corps de détourner la tête, mais quelque chose m’en empêcha.

Larson acquiesça.

— Vous m’avez fait suivre par votre homme de main parce que vous avez un ami auquel je pourrais plaire ?

— Est-ce si surprenant ? Cela fait un moment que tu te vends au meilleur offrant ; tu as dû remarquer à quel point ta beauté était à même de séduire.

Je retins mon souffle. Chaque mot que j’envisageais de prononcer me semblait étrangement dénué de sens, aussi je restai silencieux et immobile, captivé par l’aura indéfinissable de ce regard malsain.

Et il était aussi laborieux d’aimer un tel garçon qu’était terrifiante l’idée de le perdre.

— Vas-tu me reprocher encore une fois de n'en faire qu'à ma tête ? m'enquis-je en esquissant un sourire timide.

— Pas le moins du monde, déclara mon amant. J'ai fini par comprendre qu'il valait mieux essayer de raisonner un meuble que se risquer à le faire avec toi. Toutefois, laisse-moi te rappeler le destin tragique qui guette les hommes trop ambitieux.

— Ne crains rien, dis-je, décelant l'appréhension derrière ses sarcasmes. Je préfère le prince à la couronne.

J’avais tant de choses en moi qu’elles s’annulaient, ne laissant à leur place qu’un vide insondable, un gouffre dans lequel j’avais l’impression d’être précipité. Et dans cet abîme où tout n’était que chaos, la seule émotion qui se détachait des autres était cette rage brûlante, cette colère déraisonnable dont je ne savais que faire. Car il était aisé de cogner un homme dont j’étais jaloux, de brandir une arme contre lui et de le cribler de balles jusqu’à le réduire à néant. Mais ce monstre hideux qui nous avait dépossédés de tout n’avait nul visage à frapper, aucun sang à faire couler.

Je voulus dire quelque chose, mais tout ce qui quitta mes lèvres fut un sanglot risible. Antoine posa sa tête contre la mienne et nous restâmes ainsi, main dans la main, épaule contre épaule, tempe contre tempe, nos corps secoués des spasmes que nous imposaient nos pleurs silencieux.

— Que le Ciel vous protège, dit ma mère en un souffle à peine audible.

— Vous ?

— Toi et ton ami qui est en prison. Et les garçons comme vous qui ont perdu leur chemin.

J’ignorai exactement quoi. Aucune des choses que je souhaitais ardemment en cet instant n’aurait pu s’accompagner d’un tel mot. Seulement, c’était peu. Seulement, c’était limité et moi je voulais que ce moment dure à jamais et qu’Antoine soit mien aussi totalement, aussi désespérément que mon cœur mort lui appartenait.