Extraits

— Baptiste se moque des limbes, ma chérie.

Un frisson d’appréhension remonta la colonne vertébrale d’Élena à mesure qu’elle lisait entre les lignes. Baptiste n’avait pas été un maître exclusif avec elle, dans tous les sens du terme. Paradoxalement, il avait développé à son égard une possessivité sans égale. Comment était-il possible qu’un siècle après la dissolution de leur pacte, il en soit encore à la revendiquer corps et âme ?

— Il veut se venger, énonça-t-elle.

— J’aimerais te dire que oui, mais c’est plus profond que ça. Tu l’obsèdes, depuis toujours. Je me souviens de la première fois où il t’a aperçue. Il était subjugué. Je ne l’avais jamais vu comme ça.

Jonas a alerté notre Conseil Suprême, révéla Ivana à voix basse. Tu devrais comparaître demain matin.

— Je ne comprends pas…

— Baptiste ne veut pas entendre parler de ton problème de limbes, mais Jonas considère cette menace comme très sérieuse. C’est une sentinelle aujourd’hui, alors ça pèse dans la balance...

Élena secoua la tête en signe de déni. Elle avait vécu au milieu de vampires pendant quarante ans, mais elle en savait très peu sur eux en définitive. Baptiste l’avait toujours maintenue à l’écart des affaires de sa famille. Les seuls qu’elle avait côtoyés étaient ceux qu’il invitait à ses fêtes et qui jouaient avec elle jusqu’à l’épuisement.

Stop ! tonna la petite voix dans sa tête.

— Sentinelle ? répéta-t-elle, le ventre assailli de crampes douloureuses.

— Oui. Il est en quelque sorte l’un des bras armés de notre Conseil. Certains en protègent les membres, mais d’autres, comme Jonas, ont un rôle plus important et jouissent d’un pouvoir étendu au sein de notre communauté. Il se murmure depuis quelque temps que Jonas pourrait bien intégrer la sphère dirigeante en tant que membre à part entière, d’ailleurs.

Élena n’était guère surprise de découvrir cette facette de Jonas. Autrefois, ce dernier était peu présent auprès de Baptiste, déjà occupé à d’obscures missions. Le chef de famille vilipendait à cette époque le jeune vampire parce qu’il ne supportait pas son indépendance clairement affichée. Dans les clans, chaque individu devait déférence au maître de la lignée et travailler pour lui. Jonas dérogeait à tous ces principes. Élena avait souvent entendu Baptiste menacer l’homme de mort, mais la sanction n’était jamais tombée. Étonnamment, car Baptiste ne s’embarrassait guère de scrupules d’ordinaire… Que ce soit avec ses ennemis ou les siens.

Pour sa part, Élena avait redouté cet homme mystérieux qui la jaugeait invariablement avec une fixité dérangeante. Jonas surgissait toujours dans des moments où elle était vulnérable, comme s’il avait guetté ces instants de faiblesse. Et, dans son regard, Élena avait systématiquement lu une condamnation sans appel. Parce qu’elle s’était sentie à chaque fois misérable, elle avait abusé du seul moyen de défense à sa disposition : la provocation. Cela avait renforcé le mépris de Jonas à son égard, sans qu’elle parvienne à s’expliquer comment il arrivait à l’atteindre là où elle ne laissait plus personne entrer.

— Jonas a toujours été à part, souffla Ivana en la ramenant au temps présent. C’est le dernier né de notre précédent maître et Baptiste a été jaloux de l’attention qu’il lui portait dès le premier jour. Henry disait que Jonas avait l’étoffe d’un leader et qu’il était le seul capable de diriger notre clan…

— Érebat court toujours, rappela Alyssa, et c’est lui qui a incité Galil à convoiter le spectre d’Ella.

C’était justement le problème ! Érebat était de loin un sorcier plus puissant, et surtout plus rusé, que Galil. Il n’avait a priori pas hésité à sacrifier son complice pour récupérer les cinq clés de pouvoir que ce dernier avait ravies au fil des siècles. Néanmoins, il avait laissé la vie sauve à Alyssa, renonçant à s’emparer de l’ultime clé. Plusieurs membres de la meute craignaient qu’Érebat ne revienne à la charge pour achever le travail, ce qui avait poussé Érik à renforcer une fois de plus les protections autour du château. Cette ambiance de paranoïa perturbait son loup, même s’il était fier de ses compagnons qui faisaient front à ses côtés.

— Si Érebat tente de t’approcher, il tombera sur un os, maugréa l’homme, libérant une infime partie de sa rage.

— Entourée comme je le suis, je me sens en sécurité…

— Mais ?

— Je n’aime pas l’idée que ce type ait été attiré par le spectre de notre bébé. Je…

Érik enlaça sa compagne, ressentant l’inquiétude qui taraudait dans son ventre. Alyssa avait sacrifié son humanité pour sauver leur fille, ce qui n’avait pas eu, fort heureusement, de conséquences catastrophiques. Mais elle continuait de s’affoler à l’idée qu’Ella soit une proie pour Érebat. Et Érik ne pouvait la rassurer en la matière. Le mystère entourant les spectres restait entier pour eux, malgré les recherches initiées par Honorine et Luc.

— Personne n’approchera notre fille.

— Ne m’en veux pas, mais faire exploser cette saleté de sorcier est la seule chose susceptible de me tranquilliser complètement…

— Tu caches plutôt bien ta nature barbare, ricana Érik, mais nous sommes d’accord. Je n’attendrai pas qu’il s’en prenne à vous, mais pour le moment, il est introuvable.