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Coincée entre les deux collines, la rue formait un V. De chaque côté, les pentes étaient importantes et les rares immeubles encore debout devaient dater du XIXe siècle. Dispensant une lueur blafarde, les lampadaires paraissaient être des becs de gaz. Dans ce coin de Paris, le temps était resté suspendu, alors qu'appuyé dans l’encoignure d’une entrée, je voyais la mégapole briller par-delà les bâtiments, comme si l’ancien Paris, celui qui avait connu la Révolution, la Commune et tant d’autres événements, avait été remplacé par New York, avec ses tours, ses gratte-ciels et ses myriades de lumières venus s’installer ici.
Selon ma lentille numérique, j’attendais depuis deux heures. Mais je n’étais pas pressé et je n’avais qu’une seule entrée à surveiller. Fermée et mal éclairée, avec, devant elle, un jetcar de couleur sombre qui patientait lui aussi. Ses sustentateurs1 le maintenaient immobile au-dessus du sol crasseux.
Avec un brin d’humour, du moins si j’en avais eu, je me serais presque senti l’âme d’un détective privé, un de ces personnages de roman noir comme on en écrivait autrefois. Patience, surveillance, filature. Gabardine et feutre sur la tête, un sourire à la Humphrey Bogart ou à la Warren Beatty. Sans doute une cigarette au coin des lèvres.
Mais, là-bas, la porte qui glissait face au véhicule m’arracha à mes réflexions. Sur ma lentille, l’heure clignota alors qu’un trait de lumière frappait le trottoir. Deux hommes sortirent et bondirent dans le véhicule. Un frémissement de l’air quand le moteur cracha à pleine puissance, puis l’engin fila. Sur mon phonecuff, le signal s’alluma. Mes traceurs collés sous sa caisse arrière s’étaient activés ; si j’en avais besoin, je pourrais retrouver le véhicule dans un rayon de cinq ou six cents kilomètres, grâce aux équipements de communication atmosphérique dont la mégapole et sa région étaient équipées.
J’ai attendu de nouveau. Dix minutes. La lumière est revenue ; une silhouette s’est avancée. Une femme, cette fois. J’ai zoomé sur elle. Inconnue.
Un second jetcar jailli d’une ruelle vint se planter devant elle. J’avais commis une erreur. Grossière en ne scannant pas les rues à la recherche d’autres véhicules. L’équipe était donc plus importante que je ne l’avais calculé. Un peu tard pour réagir. Mes traceurs n’auraient pas le temps de rejoindre les lieux et de se plaquer sur l’appareil ; je compensais ma bévue par une vidéo lorsque la femme monta à bord. Déjà, l’engin s’élevait et filait dans les airs. J’ai patienté une fois de plus, toujours par précaution. Puis je suis descendu. Lentement. Sans me cacher. Ce qui n’aurait servi à rien. Il aurait fallu raser les murs, bondir d’ombre en ombre, bref attirer immanquablement l’attention de quelqu’un resté là pour surveiller les lieux. Il me suffisait d’avancer dans la pénombre, sans mouvements brusques, tout en vérifiant les signaux de mes drones. Pour l’instant immobiles mais attentifs, plaqués contre les murs alentour, telles de grosses araignées.
À quoi devais-je m’attendre ? Je manque un peu d’imagination et de fantaisie. « Trop pragmatique, me disait Thomas. Trop sérieux, trop doué avec les réseaux et les micromachines quantiques », avant d’ajouter que je ressemblais à un pitbull, incapable de lâcher prise.
– T’es vraiment trop têtu. À croire que t’es borné, m’avait-il lancé un jour. En plus, t’as vraiment aucun humour.
Avec mille précautions, j’ai franchi l’entrée. La bâtisse était abandonnée depuis longtemps. Les portes des appartements étaient ouvertes, brisées pour la plupart. J’ai lancé quelques cafards qui ont fouillé les lieux, sans rien trouver, pendant que je montais dans les étages.
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