Extraits

Quelques minutes plus tard, il frappait de manière énergique à la porte de son bureau.

– Entrez, dit-elle, tout en lui faisant signe de patienter, le temps qu'elle termine sa conversation téléphonique.

Il hocha la tête et referma la porte derrière lui. Il balaya la pièce du regard. Erika avait apporté une touche personnelle à son bureau, ce qui le rendait fort accueillant.

– Mon grand-père a décidé de prendre sa retraite, déclara-t-il. Il a eu recours à un curieux procédé pour désigner son successeur : les quatre plus importants magazines de la Elliott Publication Holding seront en compétition toute l'année et le rédacteur en chef qui enregistrera les plus grosses ventes deviendra le nouveau directeur général.

Gannon accorda trente heures de réflexion à Erika afin qu'elle lui annonce son prix en vue de son retour à Pulse. Les négociations se révélaient plus difficiles que prévu. Dans le passé, s'il appréciait l'originalité et la prise de risques d'Erika en ce qui concernait son métier, il la trouvait aussi tout à fait coopérative. Même à la fin de leur liaison, elle n'avait pas protesté.

Il avait pourtant rompu de façon brutale. Il sentait toujours son cœur se pincer en y repensant... Et dire qu'il avait toujours pris si grand soin d'éviter toute relation intime avec ses collaboratrices ! Jusqu'à ce qu'Erika débarque dans son bureau et qu'il soit incapable de lui résister. Dieu savait pourtant si son grand-père réprouvait les liaisons au sein de l'entreprise. D'ailleurs, si Gannon avait si vite progressé dans le groupe Elliott, c'était parce que, outre le fait qu'il avait travaillé d'arrache-pied pendant deux ans, il s'était construit une réputation d'homme intègre.

Le lendemain matin, Erika se réveilla fort tard, avec un horrible mal de crâne. Par chance, elle n'avait aucun rendez-vous ce jour-là. Ah, plus jamais elle ne boirait autant de cocktails ! Les lendemains étaient trop redoutables... Elle se rappela alors un matin semblable à celui-ci. C'était l'année dernière, quand Gannon lui avait annoncé que c'était fini, entre eux. Le problème, quand on entretenait une liaison folle et passionnée avec son chef, c'était qu'on ne pouvait se confier à personne, pas même à ses meilleures amies ! Paula et Jessica n'avaient jamais rien su au sujet de Gannon.

A 17 h 30 précises, Erika entendit frapper à la porte de son bureau. Son estomac se contracta. Elle prit une large aspiration... Du calme ! s'ordonna-t-elle. Aujourd'hui, elle ne s'était pas déchaussée. Non, aujourd'hui, elle portait des bottes dotées d'un talon très flatteur pour son mètre soixante-quinze, un costume noir et un chemisier blanc.

Elle était prête à le recevoir.

Ouvrant la porte, elle surprit Gannon alors qu'il s'apprêtait à frapper de nouveau. Décidément, il était bien trop grand, pensa-t-elle. Qu'elle porte ou non des talons, il la surplombait. Vêtu d'un costume en flanelle noire parcourue de fines rayures bleues, il devait laisser les femmes au bord de l'évanouissement, dans son sillage : dans l'ascenseur, dans la rue, au bureau. Oui, toutes les femmes de la Elliott Publication Holding devaient fantasmer sur lui.

Erika se frotta les genoux et tenta de retrouver sa respiration. Ces parties de basket à deux étaient plus redoutables encore qu'avec toute une équipe. Lançant un regard à l'adolescente responsable de son essoufflement, elle déclara :

– Tu pourrais avoir pitié des personnes plus âgées que toi !

Tia Rogers, la jolie jeune fille un peu maigre dont Erika s'occupait dans le cadre d'un projet pour adolescents en difficulté haussa les épaules et se mit à dribbler sur le terrain de basket-ball qu'Erika avait réservé à leur attention. Depuis qu'elle avait été promue, elle avait accès aux équipements sportifs du groupe Elliott.

D'un œil critique, Erika Layven vérifiait la mise en page d'un prochain numéro de HomeStyle tout en sirotant un chocolat chaud instantané. En chaussettes – elle avait retiré ses bottes pour être plus à l'aise –, elle étudiait avec attention le thème floral et printanier de la couverture : des roses multicolores, quelques brins de lavande et des pensées aux couleurs éclatantes. Un contraste impressionnant avec cette fin d'après-midi grise et froide de janvier qu'elle apercevait du haut de ses baies vitrées, au quinzième étage de la Elliott Publication Holding, au cœur de Manhattan.

Patrick posa alors le regard sur Maeve, sa douce et élégante épouse, de quelque quinze ans sa cadette. Le grand-père de Gannon était célèbre pour avoir construit, à force de travail et de volonté, l'empire qui était le sien ; Maeve, quant à elle, était le seul être au monde capable d'apaiser la bête sauvage qui sommeillait en lui.

L'amour et l'estime respectifs qui émanaient de leurs regards quand ils se croisaient émouvaient toujours Gannon. Ce soir encore, il sentit son estomac se nouer... et une certaine insatisfaction refaire surface en lui – insatisfaction qu'il refusait d'explorer plus avant. En silence, il referma la porte de ses émotions et se mit à fixer sa grand-mère, Maeve. Son regard brillait de tendresse lorsqu'elle fit un petit signe de la tête à son mari.

– J'ai une annonce à faire !

De son ton péremptoire, Patrick Elliott venait d'interrompre les conversations des Elliott rassemblés dans le grand salon pour fêter la Saint-Sylvestre. Seul le noyau dur du clan, c'est-à-dire une quinzaine de personnes, avait été convié à la réception, selon la volonté du chef de famille.