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Le seigneur de Carrick eut un sourire éblouissant — le sourire d'un homme que vivre n'effrayait plus. Il aimait la plus libre des femmes, et elle serait la mère aimante de la plus jolie des enfants. La petite Alana, sous sa férule, deviendrait-elle aussi intrépide ? Les temps changeaient, et c'était bien.

— Moi aussi, Briana. Peut-être même plus que l'Irlande !

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** Extrait offert par Ruth Langan **

Chapitre 1

Abbaye de Sainte-Claire, 1567

La voix grave et sévère de sœur Mafalda résonna sous la voûte de pierre de la minuscule cellule.

— Il faut vous réveiller, mon enfant.

— Oh non, pas déjà…, marmonna Briana en se lovant dans ses couvertures.

Elle était en train de rêver. Un si beau rêve ! Montée sur sa jument grise, elle galopait à travers les landes de bruyères et de genêts de Ballinarin, escortée par les éclats de rire d’Innis et de ses frères, Rory et Conor. Le vent du sud avait chassé les nuages et un grand soleil inondait de lumière les flancs verdoyants du Croagh Patrick… Elle était libre. Merveilleusement libre. Oubliées les règles exécrables qui, depuis trois ans, gouvernaient chaque instant de sa vie. Oubliés les prières interminables, les levers avant l’aube, les déjeuners de gruau, les travaux des champs et les longues heures passées à lessiver ou à ravauder. Oubliées la soupe du soir et les vêpres. A l’abbaye de Sainte-Claire, tout était réglementé, même le sommeil. C’était encore cela le plus horrible… Devoir se lever à minuit, à 3 heures et à 6 heures pour aller prier dans la chapelle, dans le froid et dans la nuit.

— Briana, il faut vous lever !

Une main lui toucha l’épaule. Ce geste suffit à l’arracher à ses songes : d’ordinaire, au couvent, tous les contacts charnels étaient bannis. On ne s’embrassait pas. On ne se serrait pas la main. Et si, par mégarde, deux sœurs se heurtaient, dans un couloir ou au réfectoire, elles se raidissaient et reculaient brusquement, comme si elles s’étaient brûlées.

Elle ouvrit les yeux et cligna des paupières, éblouie par la flamme de la chandelle de sœur Mafalda, la sœur tourière de l’abbaye.

— Je viens juste de m’endormir, ma sœur. L’heure ne peut point être déjà venue d’aller prier…

— Je ne vous ai pas réveillée pour aller prier, mon enfant. Sœur Marguerite-Marie vous attend au réfectoire.

— Au réfectoire ? Dîne-t-elle au mitan de la nuit ?

— Non pas. Elle a fait servir un repas aux jeunes gens qui sont venus vous chercher pour vous raccompagner chez vos parents.

Chez ses parents. Briana battit des cils, incapable de prononcer un mot. Son exil s’était prolongé d’une année, puis d’une autre, tant elle s’était rebellée contre la rigueur des règles qu’on s’évertuait à lui imposer. A chaque incartade, son espoir de revoir un jour ses parents s’était un peu plus amenuisé, au point qu’elle se demandait si elle les reverrait jamais. Et voilà que, tout à coup… C’était trop beau pour être vrai.

— Pou… pourquoi maintenant ? bredouilla-t-elle d’une voix incrédule.

— Je ne sais pas, mon enfant. Sœur Marguerite-Marie vous l’expliquera. Levez-vous et habillez-vous.

La vieille religieuse quitta la cellule aussi discrètement qu’elle y était entrée.

Briana se leva et, après avoir fait une rapide toilette à l’eau froide, ôta sa chemise de nuit et s’habilla — au couvent, les frais vestimentaires étaient réduits au strict nécessaire : dessous en tissu grossier, robe de bure et, en guise de souliers, sandales l’été et sabots l’hiver.

Une fois ses sandales attachées, elle rangea dans un coin les vieilles couvertures de laine qui lui servaient de paillasse et embrassa la pièce du regard. La cellule était aussi nue que lors de son arrivée, trois ans auparavant.

Aucun souvenir. Aucun objet personnel. Dans un coin, une petite table de bois blanc avec une cuvette et un broc. Pas de miroir, naturellement. A vrai dire, Briana ne s’en plaignait pas. Elle n’avait aucune envie de voir à quoi elle ressemblait à présent, avec ses cheveux tondus, son teint hâlé par le soleil et les intempéries. Le manque de nourriture et le travail incessant dans les champs avaient fait que son corps lui-même avait changé. Disparues les rondeurs féminines de son adolescence insouciante et protégée… Elle avait grandi et était devenue aussi mince qu’un roseau. Pas de hanches, et des seins si petits et si fermes qu’on les devinait à peine sous sa robe de paysanne.

Elle sortit de sa cellule et referma la porte derrière elle. Le couloir était sombre et silencieux. Sa chandelle à la main, elle glissa sans bruit sur les vieilles dalles de pierre, usées par le temps et les rondes des moniales.

Quand elle entra dans le réfectoire, sœur Marguerite-Marie, la supérieure du couvent, vint à sa rencontre, les bras tendus.

— Ah, vous voilà, mon enfant ! Ces jeunes gens sont là pour vous ramener au pays.

Briana lorgna vers la longue table de bois. Quatre garçons étaient assis à son extrémité, occupés à manger un repas frugal composé de soupe, de pain et de fromage. Leurs traits lui étaient étrangers. Les garçons qu’elle avait connus étaient sans doute mariés et pères de famille aujourd’hui.

— Pourquoi mes parents me rappellent-ils à Ballinarin ?

Malgré elle, la religieuse ne put s’empêcher de sourire.

— Toujours aussi impatiente…

Elle lui fit signe de s’asseoir et, aussitôt, la cuisinière, sœur Marie-Gabrielle, lui apporta du pain, du fromage, et un plateau de viandes froides.

Un repas aussi copieux était inhabituel et Briana ne se fit pas prier pour lui faire honneur. La mère supérieure la considéra quelques instants sans mot dire, puis elle soupira.

— Votre père a été blessé.

Briana releva vivement la tête.

— Blessé ? Comment cela ?

— Ses blessures ne sont pas graves, rassurez-vous ; mais votre mère a besoin de votre aide pour le soigner. Elle craint de ne pas y parvenir toute seule.

Les yeux de Briana pétillèrent.

— Je comprends son inquiétude. Quand il est en bonne santé, mon père n’est déjà pas facile à vivre. Blessé, il doit être absolument insupportable. Et ce sera pire encore lorsqu’il commencera à reprendre des forces…

Las, très vite, son humeur s’assombrit. C’était sa mère qui l’avait envoyée chercher, pas son père. Cela signifiait-il qu’il ne lui avait toujours pas pardonné ? A cette pensée, elle sentit une boule se former au fond de sa gorge.

« Allons, se réprimanda-t-elle, tu te fais du souci inutilement. Tu vas retourner à Ballinarin, c’est l’essentiel. Quand il te verra, il se rendra compte que tu as changé. Tu sauras regagner son amour et sa confiance. Il le faut. »

Si elle n’avait plus faim, elle continua de manger. Pour ne pas gaspiller la nourriture et parce qu’elle avait besoin de prendre des forces : le voyage serait long et éprouvant.

A l’autre bout de la table, les quatre garçons se levèrent et mirent leurs manteaux. Dès qu’elle eut terminé, Briana les suivit, la mère supérieure sur ses talons.

Des chevaux sellés et harnachés attendaient dans la cour. Avant de lui dire au revoir, sœur Marguerite-Marie donna une cape de voyage à Briana.

— Le manteau bordé d’hermine que vous portiez à votre arrivée a été donné aux pauvres, ainsi que la bourse d’or que votre père nous avait envoyée. Cette cape vous tiendra chaud — même si elle est moins fastueuse.

Briana hocha tête.

— Peu m’importe le faste, ma mère.

— Je le sais, mon enfant.

C’était l’une des qualités les plus attachantes de Briana. La coquetterie était le dernier de ses soucis. Et bien qu’elle fût une rebelle impénitente, toutes les sœurs avaient un faible pour elle.

Dès le premier jour, il avait été évident qu’elle ne s’accoutumerait jamais à la vie humble et effacée du couvent. Mais sa gentillesse avait réussi à conquérir tous les cœurs — même si son impulsivité et son refus de toutes les règles avaient fait le désespoir de la mère supérieure.

En la regardant maintenant, cette dernière se demanda si la jeune femme trouverait sa place à l’extérieur, loin des murs protecteurs du couvent. Elle n’avait pas appris à danser et elle ignorait tout de ce qu’une demoiselle doit savoir quand elle fait son entrée dans le monde. Les filles de son âge étaient déjà pour la plupart des épouses et des mères, alors qu’elle était encore, au fond de son cœur, l’adolescente innocente et naïve qui, trois ans plus tôt, avait apporté le trouble et la confusion dans la paix du lieu consacré.

— Au revoir, mon enfant. Que Dieu vous protège et vous conduise saine et sauve jusqu’à Ballinarin.

— Au revoir, ma mère.

Le plus âgé de ses compagnons aida Briana à se mettre en selle — et les cinq chevaux franchissaient bientôt le portail du couvent.

La jeune femme se retourna brièvement pour jeter un dernier coup d’œil à l’abbaye de Sainte-Claire. Sœur Marguerite-Marie était debout, les mains dans les manches de sa robe, comme à son habitude. Derrière elle, les toits des bâtiments conventuels et le clocher de la chapelle étaient encore plongés dans la pénombre.

Un chapitre de son existence venait de se fermer.

Un autre s’ouvrait.

Elle rassembla ses rênes et regarda résolument devant elle, vers l’ouest, vers Ballinarin, tandis que derrière elle les premières lueurs de l’aube poignaient à l’horizon…

Ballinarin… Son cœur bondit dans sa poitrine. Elle allait enfin revoir le château de son enfance !

* * *

Le chef de la petite troupe leva le bras et tira sur les rênes de sa monture.

— Pourquoi vous arrêtez-vous ? s’enquit Briana en se portant à sa hauteur. Qu’y a-t-il ?

— Un village, milady, répondit le jeune paysan, le doigt pointé vers un groupe de maisons aux toits de chaume, avec, dans le lointain, les tours et les murailles d’un château. Il serait sage d’y chercher refuge avant la tombée de la nuit.

— Je ne suis pas fatiguée, objecta-t-elle. Je chevaucherais volontiers pendant encore une heure ou deux.

D’autant plus que chaque lieue parcourue la rapprochait de Ballinarin !

— Vous êtes restée cloîtrée pendant plusieurs années, milady. Il y a beaucoup plus de soldats anglais dans le pays à présent et personne, homme ou femme, n’est plus en sécurité après le coucher du soleil.

Son ton avait été respectueux, mais suffisamment ferme pour lui faire entendre que c’était à lui de décider et pas à elle.

Briana se mordit la lèvre pour ne pas lui répliquer qu’elle était une O’Neil et qu’à ce titre elle ne recevait d’ordres de personne — surtout pas d’un paysan. Or, même si cela blessait son amour-propre, elle savait qu’il avait raison. Les trois années qu’elle avait passées derrière les murs de l’abbaye de Sainte-Claire l’avaient coupée du monde et elle n’avait aucune idée des dangers qui pouvaient les menacer.

— Comme vous voudrez, acquiesça-t-elle à contrecœur. Ce village me semble bien pauvre, mais nous y trouverons peut-être une auberge…

Une vaste prairie s’étendait devant eux, avec, çà et là, des troupeaux de moutons, surveillés par des bergers. Tout au bout, un petit groupe de paysans, hommes et femmes, fauchaient et râtelaient du foin. Une scène douce et paisible qui fit naître un sourire sur les lèvres de Briana. C’était ce qui lui avait le plus manqué… Tandis qu’elle suivait ses compagnons, des éclats de rire lui parvinrent, portés par la brise. S’ils ne ménageaient pas leur peine, les paysans n’en bavardaient pas moins, et plaisantaient joyeusement. Au couvent, elle avait été privée de ce plaisir innocent ; même dans les champs, sœurs et novices ne rompaient jamais leur vœu de silence.

Ils étaient parvenus au milieu de la prairie, quand, soudain, elle perçut derrière eux un bruit de cavalcade. Occupée à répondre aux gestes d’amitié des bergers et des paysans, elle n’en comprit la signification que lorsqu’elle vit l’un de ses compagnons se retourner et jurer dans sa barbe.

Une troupe de soldats anglais — au bas mot, une trentaine d’hommes — avait surgi d’une forêt voisine, sabres au clair.

Elle fureta autour d’elle, en proie à un brusque sentiment de panique. Ils étaient à découvert ! Où se mettre à l’abri ?

— Le village ! C’est notre seul espoir ! cria le chef de son escorte.

Comme elle éperonnait son cheval, Briana jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Pris au piège, les paysans étaient sabrés sans merci par les spadassins. En un instant, cinq, puis dix d’entre eux s’effondrèrent sur le sol en hurlant de douleur…

Toute la prairie résonnait de cris et de jurons. Leur surprise passée, les hommes qui étaient armés de faux ou de fourches faisaient face courageusement. Le tintement du métal contre le métal, les hennissements des chevaux qui s’écroulaient en écrasant leurs cavaliers… La résistance qu’ils rencontraient augmentait encore la rage des Anglais. Plus rien n’échappait à leur fureur meurtrière. Hommes, femmes, enfants, moutons… Ils exterminaient tout sur leur passage, achevant impitoyablement les blessés.

Quand ils en eurent fini avec les paysans, ils reportèrent leur attention sur les cinq cavaliers qui fuyaient à travers la prairie. Aussitôt, ils leur donnèrent la chasse, décidés à leur couper la route et à ne leur laisser aucune chance de s’échapper.

A l’instar de ses compagnons, Briana éperonnait sa monture ; mais ils avaient chevauché toute la journée et la pauvre bête était incapable de rivaliser avec des chevaux frais.

S’avisant qu’ils n’avaient aucun espoir d’échapper à leurs poursuivants, le chef de son escorte ordonna à ses hommes de s’arrêter et de faire cercle autour de la jeune femme.

— Nous nous battrons jusqu’à la mort, s’il le faut !

— Qu’on me donne une épée ! cria Briana.

Sa voix fut couverte par le battement des sabots et les hurlements des soudards qui fondaient sur eux.

A peine Briana et ses compagnons eurent-ils mis pied à terre, que leurs chevaux s’enfuirent en hennissant. Les quatre hommes entourèrent la donzelle, l’épée à la main, prêts à la défendre jusqu’à leur dernier souffle.

Ce que voyant, l’un de leurs assaillants se retourna sur sa selle.

— Vois-tu cela, Halsey ? Ces chiens d’Irlandais nous défient.

— S’ils veulent en découdre, nous allons leur donner satisfaction !

Il rejeta la tête en arrière et rit à gorge déployée. Puis, stoppant son cheval, il sauta à terre et jeta ses rênes à l’un de ses hommes.

— Je vais m’en occuper moi-même. Vous autres, restez derrière et veillez à ce qu’ils ne s’échappent pas.

L’épée à la main, il avança et engagea le combat avec le chef de l’escorte de Briana. Un combat par trop inégal. Le jeune garçon n’était pas de taille contre un soldat chevronné. Les épées se heurtèrent avec violence et, trouvant une faille, Halsey plongea sa lame dans le cœur de son malheureux adversaire.

— Mes hommages au diable, chien d’Irlandais, commenta Halsey d’une voix pleine de dédain. Et que tes fils et les fils de tes fils aillent te rejoindre dans les ténèbres de l’enfer.

Derrière lui, ses soldats plaisantèrent grossièrement et s’esclaffèrent. Puis, comme les autres compagnons de Briana avaient resserré leur cercle, trois ou quatre d’entre eux se laissèrent glisser à terre, l’épée à la main.

— Donne-moi ta rapière, Jamie, ordonna Halsey. La mienne est trop profondément enfoncée dans le corps de ce maraud.

Le soldat s’exécuta et Halsey rattrapa l’arme au vol avant d’avancer vers l’un des protecteurs de Briana.

Avec angoisse, la jeune femme regarda le paysan résister vaillamment à la charge de l’Anglais. Hélas, chaque fois qu’il sautait de côté pour esquiver, les hommes d’Halsey le frappaient dans le dos ou sur la tête avec le plat de leurs lames, afin de le contraindre à subir les assauts terribles de leur chef. Très vite, il reçut plusieurs blessures, aux bras, puis aux jambes et, finalement, Halsey l’acheva d’un coup à la gorge qui fit jaillir un flot de sang.

— Cinq moins deux égale trois, déclara Halsey avec un sourire maléfique. A qui le tour ?

Les deux derniers défenseurs de Briana firent un pas en avant, l’épée à la main.

— Vous croyez qu’il suffit de deux Irlandais pour mettre en déroute un soldat anglais ? reprit-il d’une voix pleine de mépris. A moi seul, je puis en envoyer une douzaine rejoindre leurs ancêtres !

Et, comme pour prouver ses dires, il se jeta en avant et embrocha sans ciller le premier.

Le second manquait d’expérience, mais il était grand et sec, avec des bras solides et musclés. Son premier coup d’estoc surprit Halsey qui dut faire un saut en arrière pour éviter d’être blessé.

Les moqueries des soldats anglais avaient brusquement cessé.

Ne voulant pas perdre son prestige auprès de ses hommes, Halsey se fendit et toucha son adversaire au bras. Malgré le sang qui coulait le long de sa manche et de sa main, le paysan réussit à parer l’attaque suivante ; cependant un nouveau coup lui entailla le torse, ensanglantant sa chemise et son haut-de-chausses.

— Alors, chien d’Irlandais, tu ne pavoises plus, n’est-ce pas ?

Halsey fit un bond en avant, obligeant le paysan à reculer. Trop vite. Le malheureux se prit les pieds dans une racine et tomba en arrière.

— J’espère pour toi que le Dieu que tu adores est miséricordieux, car tu vas bientôt le rencontrer !

En riant, Halsey plongea la pointe de son épée dans sa gorge. Puis, pour faire bonne mesure, il lui transperça le cœur.

Ses hommes l’acclamèrent et poussèrent des cris de joie.

— Mort aux papistes ! Vive la reine !

Briana était la seule à être encore debout.

Ses années passées au couvent lui avaient au moins appris à ne pas craindre la mort. Pour l’Eglise, ce n’était pas une fin, mais l’entrée dans le royaume des cieux. Elle inspira profondément et releva la tête, prête à affronter bravement son destin, quel qu’il puisse être.

Halsey la considéra une seconde ou deux, visiblement satisfait de son rôle d’ange exterminateur.

— Eh bien, mon garçon, je vois que tu es trop jeune pour que l’on t’ait confié une épée. Est-ce pour cela que les autres essayaient de te protéger ?

Briana battit des cils. Il la prenait pour un garçon ! A la réflexion, ce n’était guère étonnant. Avec sa robe de bure et ses cheveux rasés, personne ne pouvait se douter qu’elle était la fille du haut et puissant seigneur de Ballinarin.

Halsey s’approcha, son épée pointée vers elle.

— Dommage. Ces amuse-gueules m’ont mis en appétit et j’aurais aimé un vrai combat avant de retourner au camp avec mes hommes. Enfin, je suppose que c’était trop demander…

Comme il enjambait le corps de sa dernière victime, Briana profita de sa distraction pour arracher l’épée qui était plantée dans le cadavre qui gisait à ses pieds.

Intérieurement, elle maudit ses trois années passées au couvent. Trois années pendant lesquelles elle n’avait pas eu une seule fois l’occasion de manier une arme !

Halsey leva la tête et fronça les sourcils. Puis un sourire plein de suffisance envahit son visage.

— C’est mon épée que tu tiens, mon garçon. Je ne crois pas qu’elle aime être maniée par une main irlandaise. Tu ferais mieux de faire attention, elle pourrait bien te brûler la main, si tu n’y prends garde.

Derrière lui, les rires des soldats redoublèrent.

— C’est peut-être vous qui devriez prendre garde, répliqua Briana en testant la souplesse de la lame.

Si elle ne s’était pas exercée au maniement des armes, elle avait eu sa part de travaux des champs. Bêcher la terre, faucher, tailler, fendre du bois… autant d’activités qui avaient endurci son corps et lui avaient permis de conserver toute sa souplesse.

Le sourire d’Halsey s’accentua.

— Voilà bien les Irlandais ! Toujours prêts à se vanter, jusqu’au moment où ils rencontrent un glaive anglais. Alors, leurs rodomontades cèdent la place à des bêlements de moutons que l’on conduit à l’abattoir. Prépare-toi à mourir, mon garçon.

Il avança et se fendit sans crier gare. A son grand désappointement, son adversaire esquiva le coup et lui entailla le bras. Le cri de douleur qui s’échappa de ses lèvres fut rapidement noyé sous un chapelet de jurons ; il ne fallait pas que ses hommes l’imaginent en difficulté.

— Il faut lui faire payer ça, Halsey ! cria l’un des soudards.

La mâchoire serrée, Halsey se jeta en avant, résolu à en finir.

Une fois de plus, Briana réussit à éviter sa charge et, d’un mouvement du poignet, fit glisser sa lame sous la sienne et le toucha à l’épaule.

En voyant le sang couler sur le devant de sa tunique, Halsey blêmit et ses yeux s’étrécirent dangereusement. Il ne souriait plus ; ce n’était plus une partie de plaisir, désormais, mais un combat à mort.

— Ce petit jeu commence à me fatiguer, mon jeune ami.

Il recula et fit un signe de tête à deux de ses hommes.

— Tenez-le, pendant que je lui donne une leçon.

Briana se retourna vers les deux hommes et, ayant fait un moulinet avec son épée, elle eut la satisfaction de les voir battre en retraite. Las, le dos tourné, elle était sans défense contre Halsey. Soudain, elle ressentit une douleur violente à l’épaule et, sous le choc, laissa échapper sa lame.

Bien qu’elle titubât, elle eut encore la force de faire face à son assaillant.

Halsey souriait à nouveau ; une lueur sanguinaire brillait dans ses yeux. Elle était tout près de lui à présent et elle remarqua que son visage portait la marque de nombreux combats. Une grande cicatrice lui barrait la joue ; son oreille gauche avait été tranchée au ras du crâne et il avait perdu la moitié de son nez et de son menton.

— Tu vas mourir, chien d’Irlandais ! Et ce maudit pays avec toi. Les villes et les villages seront livrés aux flammes et nous massacrerons les gens de ta race, sans épargner personne, pas même les femmes et les enfants. Tenez-le ! ordonna-t-il à ses soldats. Et, cette fois-ci, faites en sorte qu’il ne s’échappe pas !

Deux hommes se jetèrent sur elle et lui saisirent les bras. Briana vit Halsey lever sa rapière. Quand la lame entra dans sa poitrine, une douleur fulgurante la traversa, puis ses jambes se dérobèrent sous elle et elle s’effondra en arrière.

Le démoniaque éclat de rire de son bourreau lui parut résonner à l’infini.

— Venez, les gars. Retournons au camp. J’ai soif et j’ai besoin de noyer dans la bière le goût infâme de ces pouilleux.

Un murmure de voix, de plus en plus lointain…

Elle avait l’impression de sombrer lentement dans un puits sans fond…

Puis l’obscurité se fit autour d’elle et l’engloutit complètement.

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** Extrait offert par Ruth Langan **

Prologue

Irlande, 1564

— Oh, milord ! Venez vite !

La jeune domestique s’appuya contre le chambranle de la porte, tout essoufflée, le regard affolé.

— Bri… Briana !

Gavin O’Neil dressa la tête et fronça les sourcils.

— Qu’y a-t-il, Adina ?

— Elle a été blessée, milord.

— Blessée ? Dieu du ciel !

La femme de Gavin, Moira, s’était levée, la main sur la gorge.

— Oui, milady. Par l’épée d’un soldat anglais, sur la foi de ce que l’on m’a dit. Un garçon du village est venu en courant pour nous annoncer la nouvelle. Ses camarades la ramènent au château.

Prestement, Gavin boucla son ceinturon et traversa la chambre, le fourreau de sa rapière battant contre sa jambe. A la porte, il se retourna brièvement et échangea un regard avec sa femme.

— Fais préparer ce qu’il faut pour la soigner.

Moira hocha la tête.

— Adina, de l’eau chaude et des linges propres ! Et que la cuisinière apprête une décoction de laudanum pour la douleur. Ah ! et puis envoie quelqu’un quérir mes fils et belles-filles.

Gavin était déjà dans le hall du château et elle dut courir pour le rejoindre.

Une lueur meurtrière brillait dans le regard du seigneur de Ballinarin.

— Au diable ces maudits Anglais ! marmonna-t-il en ouvrant la porte sur la cour. Si jamais Briana est blessée grièvement, je les tuerai tous de ma propre main.

Suivi par Moira, il parcourut la cour d’honneur au pas de charge et mêmement franchit le pont-levis.

Un long cortège montait lentement vers la vieille forteresse féodale. A sa tête marchait un solide gaillard qui portait dans ses bras le corps inerte d’une jeune fille.

Le cœur de Gavin cessa de battre.

— Seigneur Dieu !

Plus blême qu’une lune d’octobre, il courut à la rencontre du cortège. Avisant leur seigneur, les villageois s’arrêtèrent et ôtèrent respectueusement leurs chapeaux.

— Ah ! Briana ! Briana ! s’écria-t-il en prenant dans ses bras le corps inanimé et ensanglanté.

Lorsque Moira le rejoignit, il était agenouillé dans l’herbe et berçait la jouvencelle, comme au temps où elle n’était qu’un enfançon.

Entre-temps, ses fils et leurs épouses avaient été prévenus. Rory et sa femme, AnnaClaire, arrivèrent les premiers, conduits par Innis, leur fils adoptif ; puis Conor et Emma. En découvrant l’état de Briana, ils s’immobilisèrent brusquement. L’angoisse noua leur gorge et les empêcha de rien dire.

— Qui a fait cela ? s’enquit Gavin d’une voix rendue rauque par l’émotion.

— Cela peut attendre, Gavin.

Moira prit le pouls de la jeune fille et poussa un soupir de soulagement. Le cœur battait régulièrement. Eut-elle perdu beaucoup de sang, ses blessures n’étaient peut-être pas fatales.

— Viens. Nous serons mieux à l’intérieur pour la soigner.

Gavin opina du chef et, se redressant, revint à pas lourds vers le château, suivi par les membres de sa famille et par le cortège lugubre des villageois. Il avait l’impression qu’une chape de plomb s’était abattue sur ses épaules. Il n’avait pas de biens plus précieux que ses enfants et Briana occupait une place à part dans son cœur — parce qu’elle était la plus jeune et parce qu’elle était sa seule et unique fille.

Les domestiques attendaient en silence dans la grande salle du château.

La première émotion passée, Moira recouvra toute son énergie.

— Viens m’aider, Adina, ordonna-t-elle. Nous ne serons pas trop de deux pour panser les blessures de Briana.

La jeune domestique approcha, un peu intimidée, mais pleine de bonne volonté. Elle avait les larmes aux yeux et tous les autres domestiques partageaient son émotion, car Briana, avec son tempérament de feu, était un peu leur enfant — une enfant chérie et gâtée à l’égal d’une princesse. Sa présence était un remède à la monotonie ; personne comme elle ne savait répandre autour d’elle une franche gaieté.

— Dépose-la ici, devant le feu, Gavin, reprit Moira en indiquant à son mari une méridienne, auprès de la cheminée. Je vais examiner son épaule, qui, apparemment, est la source de tout ce saignement.

Armée d’une paire de ciseaux, elle tailla dans la manche et dans le corsage de sa fille. Puis elle trempa un linge propre dans la cuvette et, très doucement, nettoya les pourtours de la blessure.

— La plaie impressionne mais n’est pas très profonde, dit-elle au terme de quelques instants. Point ne sera nécessaire de recoudre, la nature y pourvoira. Un pansement bien serré devrait suffire.

Gavin la regardait œuvrer en silence. Peu à peu, au fur et à mesure que son alarme se dissipait, une autre humeur l’envahit — pour finalement le submerger.

Il se retourna bientôt vers les villageois, les yeux étincelant de fureur.

— Maintenant, vous allez tout me dire. Qui a fait cela ?

— Un groupe de soldats anglais, milord, répondit un jeune paysan. Ils sortaient de la taverne.

— Combien étaient-ils ?

Avant même de connaître les faits, Gavin ne pouvait se garder d’éprouver une haine farouche à l’égard de tous les Anglais. Il avait passé sa vie à combattre les bandes de soudards qui, sous prétexte de maintenir l’ordre, mettaient l’Irlande en coupe réglée. Quand ils passaient dans un village, rien ni personne n’échappait à leur sauvagerie, pas même les femmes et les enfants. D’horrifiques récits colportaient leurs méfaits.

— Au moins une vingtaine, milord.

Moira laissa échapper un cri de surprise.

— Autant ?

— Vers où sont-ils partis ?

— La dernière fois que je les ai vus, ils se dirigeaient vers la forêt, milord, au nord du village.

Moira redressa la tête.

— Pour quelle raison ont-ils attaqué notre fille ?

Le jeune paysan baissa les yeux et regarda fixement le bout de ses chaussures.

— Lady O’Neil t’a posé une question, s’impatienta Gavin. Pourquoi ont-ils choisi de s’en prendre à Briana ?

— C’est elle…

Il avala avec peine et jeta un coup d’œil embarrassé à ses camarades.

— C’est elle qui les a attaqués, milord.

Les yeux de Gavin s’arrondirent de stupeur.

— Briana ? Elle les a attaqués ?

Le jeune paysan hocha la tête, indubitablement mal à son aise. Les accès de fureur du seigneur de Ballinarin étaient fameux dans tout le comté de Mayo et nul de ses sujets n’avait envie d’affronter son courroux.

— Veux-tu dire que les Anglais n’ont rien fait pour provoquer son attaque ?

— Oui, milord, acquiesça-t-il en tournant nerveusement son chapeau entre ses doigts. Les Anglais ne l’avaient pas vue, avant qu’elle se jette sur eux, l’épée à la main.

— L’épée à la main ?

Gavin pivota sur les talons et vit un espace vide au-dessus de la cheminée. Là aurait dû être accrochée l’épée qui avait appartenu à son père.

— Comment ont-ils réagi ?

Briana avait repris connaissance. Repoussant la main d’Adina, elle s’assit et rejeta en arrière sa crinière rousse.

— Ils se sont moqués de moi ! repartit-elle d’une voix haletante, mais encore pleine d’indignation.

Tous les regards convergèrent vers elle. Elle n’avait d’yeux que pour son père. Les traits de son viril visage étaient contractés et ses pupilles exprimaient un mélange de colère et d’incompréhension — pas du tout la fierté enjouée et indulgente qu’elle avait escomptée.

— Au début, ils ont essayé d’esquiver mes coups, poursuivit-elle en espérant l’amadouer. Puis leur chef m’a ordonné de jeter mon épée. J’ai refusé et ces chiens d’Anglais ont alors été contraints de se défendre.

— L’un d’entre eux l’a frappée avec le plat de sa lame, renchérit le jeune paysan. Elle est tombée de son cheval et, sur le moment, elle en a été un peu étourdie ; mais c’est une vraie O’Neil ! Vous l’auriez vue repartir à l’attaque !

Il y avait de l’admiration dans le timbre de sa voix. Comment ce petit bout de femme avait-il pu être capable de recevoir un coup pareil et trouver encore la force de réagir ?

Au village, Briana O’Neil était une source constante d’étonnement, car malgré la vie luxueuse et insouciante qu’elle menait au château de Ballinarin, c’était une créature pleine de fougue, toujours prête à se jeter la tête en avant dans les pires dangers. D’aucuns disaient qu’elle s’ingéniait à égaler ses frères. D’autres qu’elle essayait simplement de plaire à un père dur et exigeant. Enfin, quel que fût le démon qui l’habitait, elle ne ressemblait à aucune autre fille du village et même de tout le comté.

— C’est à ce moment-là que le chef des Anglais lui a donné ce coup d’épée. Ensuite, il a ordonné à ses hommes de se mettre en selle et de quitter le village.

— A-t-il dit quelque chose avant de s’en aller ? dit Gavin tout en gardant les yeux fixés sur sa fille.

— Oui. Qu’il n’avait pas envie d’avoir le sang d’une enfant sur les mains.

Les yeux de Gavin s’étaient étrécis dangereusement. Quand le jeune paysan se fut tu, il reporta tout le poids de sa fureur sur sa fille.

— Petite idiote ! Que cherches-tu ? A te faire tuer ?

— Non, père.

Elle serra les dents et fit un effort pour se lever.

— Je cherche la même chose que vous.

— Vraiment ? Qu’est-ce donc ?

— Je vous ai entendu le dire depuis que je suis toute petite. La fin de la tyrannie et la mort de tous ces maudits Anglais qui martyrisent notre pays.

— Et tu as pensé pouvoir t’en charger toute seule ?

Il avait élevé la voix, un signe qui, pour ceux qui le connaissaient, ne laissait rien présager de bon.

— Tu es encore plus stupide que je l’imaginais ! Tu as eu de la chance, vraiment beaucoup de chance. Si ces soldats t’avaient tuée, ils auraient été dans leur droit et personne n’aurait pu les en blâmer.

Mortifiée jusqu’au plus profond d’elle-même par ces propos, Briana fut incapable de contenir sa frustration.

— Alors, pour vous, je ne suis que stupide ? Si j’avais été Rory, Conor ou même Innis, vous n’auriez rien trouvé à redire ! Vous m’auriez félicitée pour ma bravoure ! Combien de fois, père, vous ai-je entendu vous vanter des actions d’éclat de vos fils ? Peu vous importait, alors, les dangers qu’ils avaient affrontés ! Mais comme je suis une fille, vous refusez de reconnaître que c’est le même sang que le leur qui coule dans mes veines. J’ai autant de courage qu’eux et ma haine des Anglais est aussi forte, sinon plus forte, que la leur ! Pourquoi ne le voyez-vous pas ? Pourquoi refusez-vous de me voir telle que je suis ?

Il lui prit les poignets et la tira vers lui, jusqu’à ce que son visage touche presque le sien.

— Oh, je te vois fort bien, répliqua-t-il d’une voix vibrante d’émotion. Et sais-tu ce que je vois ? Une fille têtue et emportée, qui n’a pas un brin de jugeote dans sa cervelle de moineau. Ne comprends-tu pas que ces soldats auraient pu t’emmener avec eux, juste pour… s’amuser ? Tu m’entends, n’est-ce pas ?

S’il avait espéré la choquer ou lui faire peur, il en fut pour ses frais.

Elle rejeta la tête en arrière et une lueur de défi brilla dans ses yeux.

— Plût à Dieu qu’ils s’y frottent ! Le premier qui l’aurait tenté, je lui aurais planté mon poignard dans le cœur.

Pour Gavin, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Il la regarda pendant un long moment, comme s’il allait la gifler…

Finalement, il lâcha ses poignets et se retourna vers sa femme.

— Voilà le résultat de votre éducation, madame ! Votre fille ignore tout de la façon dont une femme doit se conduire pour avoir une chance de faire son chemin dans la vie.

Moira se raidit légèrement, consciente du fait que la moitié du village assistait à la scène et la raconterait, sans omettre un seul mot, à l’autre moitié avant la tombée de la nuit.

— Elle est encore jeune, Gavin. Il faut être patient.

— Patient ? Patient ?

Il abattit son poing avec violence sur le manteau de la cheminée.

— J’ai été patient pendant trop longtemps.

En voyant la lueur noire qui brillait dans ses yeux, Moira sut que rien ne pourrait dulcifier sa colère. Quand il se trouvait dans cet état, rien ni personne n’était à même de lui faire entendre raison.

— Puisque vous avez échoué, je vais prendre les choses en main, personnellement.

Moira se recroquevilla sur elle-même, prête à recevoir la sentence qui, inéluctablement, allait tomber de la bouche du maître et seigneur de Ballinarin. A côté d’elle, sa fille observait la scène, en proie à une sourde inquiétude.

— Dès demain, Briana sera envoyée à l’abbaye de Sainte-Claire.

— Au couvent ? Tu ne parles pas sérieusement, Gavin.

— Le plus sérieusement du monde.

— Je t’en supplie, Gavin, murmura-t-elle d’une voix tremblante. Ne fais pas cela.

— Il n’est d’autre moyen pour la garder en vie.

L’angoisse et la stupeur de Briana étaient sans commune mesure.

— Vous… vous voulez m’enfermer dans un couvent ? bredouilla-t-elle, pâle comme un linge. Jamais je ne pourrai vivre loin de vous ! Sans Rory, sans Conor, sans Innis… Non, je préfère mourir, père, plutôt que de quitter Ballinarin.

— C’est trop tard, ma fille, répliqua-t-il sèchement. Tu aurais dû y penser avant d’attaquer ces soldats anglais. Il te faut maintenant expier ton inconscience. Au couvent, tu apprendras à te conduire comme il sied à une femme.

— Comme il sied à une femme ? répéta-t-elle avec mépris. Je n’ai aucune envie de…

— Peu m’importe ce dont tu as envie, l’interrompit son père. Tu es une femme, que cela te plaise ou non. A l’abbaye de Sainte-Claire, les sœurs t’enseigneront ces choses dont tu auras besoin tout au long de ta vie : la couture, le filage et le tissage. Une femme doit être humble, docile et respectueuse. Le silence et la prière… Au contact de ces pieuses femmes, tu apprendras à tenir ta langue et à dominer tes passions.

— Non, père. Je vous en prie…

— Tes prières ne serviront à rien. Je ne me laisserai pas fléchir. Si, au bout d’un an, la mère supérieure m’envoie un rapport favorable, tu seras autorisée à revenir à Ballinarin.

— Un an, c’est bien long, Gavin, protesta Moira en se serrant impulsivement contre sa fille. Elles vont l’obliger à mettre une robe de bure et à dormir sur un lit en planches, sans même le confort d’une paillasse !

Ce plaidoyer n’aurait pas d’effet. Elle le voyait dans les yeux de son mari, dans le timbre de sa voix, dans l’expression de son visage. Ce n’était pas la fureur qui le guidait, mais une souveraine angoisse. Cette fois-ci, il était sérieux. Il ne reculerait devant rien pour préserver la vie de sa chère Briana. Même si, pour cela, il devait lui briser le cœur — et briser le leur, par la même occasion.

— Et ses cheveux, Gavin…

Le maître de Ballinarin détourna la tête pour ne pas voir les longs cheveux bouclés qui auréolaient le visage faussement angélique de sa fille.

— Tant mieux si on les lui coupe, repartit-il en réussissant, non sans mal, à masquer sa tristesse à cette idée. Cela lui donnera une leçon d’humilité.

Les yeux de Briana s’emplirent de larmes ; elle les chassa en clignant férocement des paupières. Pleurer devant les garçons du village ? Plutôt être battue à mort !

Se jeter à genoux ? Supplier ? A quoi bon ! Son père ne changerait pas d’avis.

Dès ce soir, tous les villages des alentours sauraient que Gavin O’Neil avait banni sa fille pour la punir de son inconséquence.

« Je fais cela pour elle, parce que je l’aime, se répétait ce dernier. Afin d’assurer sa sécurité. Ce sera un crève-cœur pour sa mère et pour ses frères, mais je ne vois pas comment l’empêcher autrement de mettre sa vie en péril. Et puis, là-bas, au moins, on lui inculquera les bonnes manières qui lui font si visiblement défaut… »

— J’envoie sur-le-champ un messager à l’abbaye de Sainte-Claire, afin de prévenir la mère supérieure. Moira, occupe-toi des bagages de Briana. Elle partira demain matin, à l’aube.

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— Nous avons fait un bout de chemin ensemble. Nos routes doivent maintenant se séparer. C'est ainsi. Je n'y peux rien.

— Nous n'allons pas nous marier ?

— Non.

Il vit le sang se retirer de son visage et, l'espace d'un instant, il crut qu'elle allait défaillir. Mais, au lieu de cela, elle pivota sur les talons et s'enfuit, claquant la porte derrière elle.

Keane embrassa du regard le clan des O'Neil, puis, sans un mot, sortit du salon et gagna sa chambre.

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— Oh, Briana... Vous avez été magnifique. Quelle autre femme aurait pu tenir tête de cette façon à un homme comme votre père ? Aucune.

Ni aucun homme, d'ailleurs.

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Briana se leva et, après avoir fait Une rapide toilette à l'eau froide, ôta sa chemise de nuit et s'habilla — au couvent, les frais vestimentaires étaient réduits au strict nécessaire : dessous en tissu grossier, robe de bure et, en guise de souliers, sandales l'été et sabots l'hiver.

Une fois ses sandales attachées, elle rangea dans un coin les vieilles couvertures de laine qui lui servaient de paillasse et embrassa la pièce du regard. La cellule était aussi nue que lors de son arrivée, trois ans auparavant.

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Irlande, 1564

— Oh, milord ! Venez vite !

La jeune domestique s'appuya contre le chambranle de la porte, tout essoufflée, le regard affolé.

— Bri... Briana !

Gavin O'Neil dressa la tête et fronça les sourcils.

— Qu'y a-t-il, Adina ?

— Elle a été blessée, milord.

— Blessée ? Dieu du ciel !

La femme de Gavin, Moira, s'était levée, la main sur la gorge.

— Oui, milady. Par l'épée d'un soldat anglais, sur la foi de ce que l'on m'a dit. Un garçon du village est venu en courant pour nous annoncer la nouvelle. Ses camarades la ramènent au château.

Prestement, Gavin boucla son ceinturon et traversa la chambre, le fourreau de sa rapière battant contre sa jambe. A la porte, il se retourna brièvement et échangea un regard avec sa femme.

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Surveille ta langue, si tu tiens à ton nez.

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Le cœur du pécheur était enfoui beaucoup trop profondément pour qu'elle le trouve.

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Le vin est doux, mais les lendemains sont amer.

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