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Extrait ajouté par ilovelire 2016-06-26T12:29:11+02:00

Stian souriait, mangeait et évitait mon regard. Il avait manifestement décidé d’adopter l’humeur des plus gais. Il était bien trop petit pour comprendre qu’il était à moi, à moi seule. Quelques jours auparavant, j’étais au troisième rang. J’étais désormais au deuxième. Le temps me rattrapait. En danois, une tache de naissance se dit modermærke, « marque de la mère ». La naissance, de ce fait, lui est davantage associée. En norvégien, le contexte fait figure d’évidence, c’est nécessairement la mère qui met au monde un enfant avec un angiome. Je mangeais la viande, buvais le vin et goûtais au rituel du repas en me disant que les familles étaient comme les pays, avec des régimes et des hiérarchies, et qu’il existait des sentiments que les gens devraient être obligés d’avoir. Mais à quoi bon, tant qu’on ne pourrait pas les faire sortir en les secouant comme les pièces de monnaie d’une tirelire. Grand-mère avait coutume de dire à maman : « Va-t’en ! Personne ne se soucie de toi ! »

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Extrait ajouté par ilovelire 2016-06-26T12:28:59+02:00

La maison de grand-mère n’était située que deux pâtés de maisons plus loin. Maman ne s’inquiétait pas du tout de devoir coucher là-bas après toutes ces années d’absence. Elle vida son verre de vin et ses pommettes se teintaient de rose. Ses yeux gris devenaient noirs comme du charbon. Elle était blonde et belle. Elle dit se sentir tellement libre.

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Extrait ajouté par ilovelire 2016-06-26T12:28:51+02:00

Lotte avait décoré la table avec des fleurs du jardin. Non pas des œillets blancs de deuil, mais des asters et des bambous en fleur. Tous les bambous de la terre fleurissent en même temps dans le monde entier. Tous les cent ans, certes, mais c’était juste le moment. Ils n’étaient pas particulièrement beaux, mais ils trônaient dans un vase en tant que phénomène botanique simultané que nous admirions et qui nous laissait pantois. Nous mangeâmes de la viande danoise sous toutes ses formes, entière, hachée, fumée, bouillie et marinée, et nous bûmes du vin de Californie servi dans des carafes au goulot béant.

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Extrait ajouté par ilovelire 2016-06-26T12:28:37+02:00

Maman, Ib et Lotte s’étreignirent au milieu du hall d’arrivée en se regardant joyeusement droit dans les yeux. On aurait dit qu’ils dansaient. Je pensai aux quarante-quatre kilos auxquels ils attachaient soudain de l’importance, parce que c’était devenu une masse inerte que le sang n’irriguait plus. Quarante-quatre kilos de matière organique, de presque quatre-vingts ans d’âge. Ils s’étreignaient et évoluaient en cercle, d’abord sans dire un mot. Cela ressemblait à une sorte de ronde. Je tenais Stian par la main en me demandant à quoi ressemblaient les quarante-quatre kilos à cet instant.

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Extrait ajouté par ilovelire 2016-06-26T12:28:29+02:00

J’observais son profil. Elle avait un port droit et fier. Seuls quelques plis sous le menton attestaient son âge. Les boucles d’oreilles se balançaient au rythme des moteurs. Stian la regarda aussi, sans rien dire.

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Extrait ajouté par ilovelire 2016-06-26T12:28:21+02:00

La mer et le ciel prirent fin, se transformèrent en terrain plat, le nord de l’île de Sjælland, puis Amager et Kastrup. Le train d’atterrissage s’abaissa, la soudaine résistance à l’air provoqua une secousse de la carlingue.

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Extrait ajouté par ilovelire 2016-06-26T12:19:48+02:00

Je savais que Stian se souviendrait de ce voyage le restant de ses jours, qu’il s’en souviendrait d’une tout autre façon que moi. Je fus témoin de ses réactions apparentes ; lui, il était en possession de son petit corps, qui allait de ses mèches de cheveux à la semelle de ses chaussures. J’eus ma version du cours des événements, il eut la sienne. Chacune à sa manière, nos histoires s’éloignaient de la réalité et en étaient le reflet. Ainsi ma grand-mère était-elle différente de la mère de ma mère. Ainsi mon amour pour elle existait-il, tout à fait incompréhensible pour les autres, sauf peut-être mon grand-père.

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Extrait ajouté par ilovelire 2016-06-26T12:19:39+02:00

Après lui avoir dit au revoir, je restai assise, immobile, devant la table du téléphone. Je mis mes mains sur mes genoux et les contemplai. Pendant combien d’années avais-je eu la possibilité de décrocher et de composer le numéro de grand-mère ? Ou de lui écrire une lettre ? Ou d’aller la voir ? J’avais quitté la maison depuis neuf ans. Neuf ans au cours desquels j’aurais pu rejeter ma loyauté envers ma mère. Ou en tout cas lui cacher ce que je faisais. Mais grand-mère n’aurait pas résisté. Pas résisté à faire montre de son triomphe. Elle m’aurait agitée sous le nez de ma mère comme un trophée.

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Extrait ajouté par ilovelire 2016-06-26T12:19:14+02:00

Je coinçai le combiné entre mon menton et mon épaule et entrepris de le moucher, appuyant sur une narine, puis l’autre. Il souffla deux fois de chaque côté, une collaboration entre son nez et mes doigts qui se passait de commentaires. Après quoi il s’éclipsa par la porte de la véranda en courant sur ses jambes minces et bronzées avec force mouvements de coudes.

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Extrait ajouté par Hanayu 2016-01-12T11:44:50+01:00

« Te voilà désormais jeune maman ! Rapelle-toi qu'une âme d'enfant est molle comme la cire et conserve, la vie durant, chaque impression du Bien et du Mal ! Et l'amour d'un enfant, souvent beaucoup plus fidèle que celui des adultes, n'est-il pas un trésor qu'il convient de chérir ? »

Elle avait sans doute recopié cela dans un livre.

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