Ajouter un extrait
Liste des extraits
Se lever, bosser, se coucher, recommencer, tout cela coulait de source. Jusqu’à un certain point… Au point de ne plus penser, de ne pas réfléchir au fait qu’on pouvait tout changer. On tenait ce pouvoir dans nos mains, nous, millions de travailleurs sur lequel se reposait le système. Si nous l’avions voulu, nous aurions pu proposer une refonte complète du mode de travail. N’effectuer que les heures nécessaires pour atteindre les objectifs, venir et partir aux horaires souhaités, accueillir toute personne malgré son tempérament, prendre en compte ces divers caractères afin que nul ne se sente rejeté, mal dans sa peau, obligé de jouer un rôle pour être accepté.
Ça aurait dû se passer comme ça. Mais j’avais encore du mal à croire que la volonté seule pouvait tout arranger. Le système était fait de telle sorte que toutes les bonnes résolutions ne suffisaient pas à changer le monde, alors la détermination s’effritait, et nous n’avions plus qu’à fermer notre gueule et poursuivre notre chemin parallèle.
Afficher en entierSauf que tout ça, pensai-je en jetant inconsciemment le mégot par la fenêtre, tout le monde l’avait vécu en se croyant à part, seul, immonde d’être différent, anormal, asocial. Et un jour, ce jour du 22 février 2017, ça avait commencé. Quasiment tous les habitants de cette terre s’étaient tirés. Un à un, sans bruit, sans esclandre, ni violence. Juste par lassitude. Et un à un, cette lassitude qui rongeait les âmes comme le cancer ronge ces pauvres gosses qu’on nous montre à la télé, ce tiraillement incessant qui brûlait les chairs aussi sûrement qu’un venin paralysait l’esprit, cette angoisse intolérable agrippant les entrailles jour et nuit sans trêve avait disparu, et avec elle les malheureux qui s’y étaient attachés depuis des lustres.
Afficher en entierL’humanité… Parlait-on toujours de la même chose aujourd’hui ? Assurément non, elle ne ressemblait plus à ce que l’on avait l’habitude de croire depuis des millénaires. Il suffit d’attendre un seul jour pour s’en apercevoir. Dès le lendemain de la catastrophe, l’image insipide d’une espèce passée rejoignit les pages jaunies d’un vieux manuel d’histoire. Cela n’était pas si grave d’ailleurs, car à partir du 23 février il ne restait plus personne sur terre, ou presque, et l’on pouvait certifier que les rares survivants se préoccupaient de tâches plus urgentes que plonger leur nez rabougri par l’hiver dans les feuilles écornées d’un bouquin sans saveur.
Afficher en entier