Ajouter un extrait
Liste des extraits
Quand elle court, sur le terrain de jeu, en classe, quand elle étire son dos, et son visage, ses lèvres tendues vers le monde, et son corps alerte, sa souplesse quand elle se déplace, sa vélocité, sa vitalité pleine, le balancé de ses épaules, le dessin de ses muscles sous son pantalon. Je deviens jalouse, comme si je convoitais un objet précieux, un trésor à l’air libre. Je tiens au creux de ma main un grain de sable que j’ai peur de voir s'envoler. Je découvre d’autres amplitudes en moi, les intensités de la joie, les balbutiements du désespoir. Des images me viennent qui ne sont pas les bonnes. L’embrasser sur la bouche, la prendre dans mes bras. Ce n'est pas ça, Issa et moi. Ce n'est pas une route qui va quelque part. C’est un champ de hautes herbes qui s'étend sur des kilomètres, C’est une ronde, un vol d'oiseaux emmêlé dans les nuages. C’est une panthère au pelage profond comme la voûte céleste, doux comme l'océan. C’est une bouchée de crème et de génoise moelleuse. Je la contemple, trahie et soumise. Je suis patiente, à défaut de savoir quoi faire. Il faudrait que je sois capable de me lever, de m’avancer vers elle et que ce soit simple. Je ne connais pas les gestes d’un champ d'herbes sauvages, ni ceux d’une ronde d'oiseaux.
Afficher en entierJe cherche à distinguer ce qui se passe dans la pièce voisine. La voix du médecin résonne étrangement, elle fait presque trembler l'air. Celle de ma mère est plus basse, plus discrète. Ils échangent des mots que je ne connais pas. Ma grand-mère va mourir, je l'ai bien compris. Je ne saisis pas pourquoi on veut à tout prix m'éloigner de sa mort. Comme si elle ne me concernait pas. J'ai l'impression qu'on cherche injustement à m'effacer de l'histoire. J'ai besoin d'en voir le plus possible.
Afficher en entierJ'entends ma mère qui entre dans la chambre. Ses pas sont lents. Elle marche sur la pointe des pieds. Elle effleure les barreaux de l'échelle, suit le bord de la couchette du haut jusqu'au milieu du matelas. Je me terre dans l'angle. Elle grimpe sur le rebord du lit, plie son coude autour de la barrière, elle se tient, le corps tendu dans le vide. Je sens ses yeux, ils scrutent les reliefs à travers le garde-corps ajouré. Elle tâte la couette à ma recherche. Quand elle me trouve, ses doigts se referment, ils tentent d'identifier leur prise. Une masse de cheveux, une fesse, un talon. Sa main s'arrête sur mon épaule. Elle reste là, sans bouger.
Afficher en entier