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Pour sa part, Martin Brady n’était pas certain d’avoir envie de voir des gringos. Mais il savait qu’il en verrait ce jour-là. Tout au long de cette remontée vers le nord, vingt-six jours de route avec les bœufs et le lourd minerai – et bien avant encore –, il avait pensé au moment où il se retrouverait à nouveau de l’autre côté du fleuve. Il y avait pensé pendant des années. Quand le patrón lui avait dit d’emmener le minerai dans le Nord, il n’avait pas renâclé. Il voulait savoir à quoi ça ressemblait. Maintenant, il y était presque.
Afficher en entierUne heure avant le jour, le vent se leva et balaya le désert, déplaçant le sable, changeant les formes des dunes sous les sombres mesquites. Il soufflait sur les plateaux nus, depuis les derniers rochers au sommet des montagnes jusqu’au fleuve qui, dans le fond du désert, s’écoulait vers le sud par un col dont les flancs à pic enserraient son cours. Sous le col, le vent suivait l’eau jusque dans une vallée où il rencontrait les habitations d’une ville isolée qui dormait encore entre les arbres et les champs labourés.
Petites et discrètes, quatre compagnies distinctes de voyageurs faisaient route ce matin-là, alors que le soleil n’était pas encore levé, vers la ville solitaire. Ignorant toutes la présence des autres, seulement remarquées par le vent, elles convergeaient depuis les quatre points cardinaux de l’obscurité qui s’étendait très loin alentour.
Au nord, le vent cinglait le dos de trois hommes voûtés sur les bancs d’un petit char qui se dirigeait vers le sud en longeant les arbres au bord du fleuve. Il mordait les doigts du cocher qui 16 tenait les rênes, de l’homme qui serrait le fusil sur ses genoux et de celui qui scrutait la nuit à côté des sacs postaux et des bagages.
À l’ouest, sur une longue pente qui descendait vers le fleuve, des rafales de sable épais venaient heurter les lèvres d’un officier et de six soldats de cavalerie qui escortaient à cheval une ambulance tirée par des mules et roulant vers l’est. Le vent faisait battre les fermetures des rideaux du chariot ; derrière la toile, il effleurait le visage d’une femme effrayée, seule dans le noir sur la banquette cahotante.
source : Actes Sud
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