Extraits

Dans des circonstances ordinaires, je suis certain que j'aurais refusé. Mais quand les pétales que l'on a froissés et jetés dans la boue se défroissent et appellent à l'aide, qu'est-ce que l'on est censé faire ?

Elaina Whisthoven aimait les livres. Croyant que cet amour lui serait payé de retour, et désireuse de servir l'humanité, elle était devenue bibliothécaire.

Le chasseur a besoin de savoir ce que veut le gibier. C'est ainsi qu'il faut s'y prendre : pénétrer dans les territoires de la peur et du désir, de l'habitude et des instincts, ah, oui - entrer dans les ténèbres. Suivre les ténèbres, car c'est là qu'ira la proie.

Il avait adoré ses filles quand elles étaient petites. Adoré. Et il avait su en quoi consistait son job : les protéger. Mais comment les protéger du vrai danger, celui qu'elles représentaient pour elles-mêmes, et les unes pour les autres ?

Les bibliothèques sont des havres de liberté. Des refuges propres et secs dans un monde livré aux intempéries. Elles sont remplies d’idées et d’informations. Par ailleurs, elles ont tendance à attirer toutes sortes de zozos et de zinzins et de paranos qui traînent des chariots de supermarché regorgeant de scénarios de conspiration. Même les bibliothèques universitaires, avec leur accès limité sur un campus sécurisé. Après tout, il y a pas mal de profs et d’étudiants qui ont pété les plombs. Au fil des ans, je m’y suis habitué ; ayant appris à les considérer comme inoffensifs, je ne m’offusque jamais de leur comportement. La meilleure façon d’agir, tant qu’ils n’en viennent pas à la violence physique, c’est encore de faire mine d’entrer dans leur jeu. Stowe m’avait l’air d’appartenir à cette catégorie de personnages, et j’ai décidé de le traiter comme eux, en hochant la tête et en restant neutre, ni contrariant ni condescendant.

— Vous avez entendu parler d’Alan Carston Stowe.

Ce n’était pas une question, mais j’ai quand même hoché la tête affirmativement. Oui, j’avais entendu parler de lui. Je n’aurais su dire son âge exact, mais il était très vieux. Il vivait non loin de là, sur une grande propriété. Après avoir hérité de vastes terrains en Virginie, il avait compris qu’en subdivisant, en construisant et en vendant, il pouvait réaliser de non moins vastes profits. Ce n’était peut-être pas la découverte du siècle, mais il l’avait pressée comme un citron, avec une détermination et un enthousiasme inégalés, et s’était mis à acheter de nouveaux terrains pour pouvoir continuer à subdiviser, à construire, à vendre. Après quoi, il avait ajouté à la liste de ses exploits la création de centres commerciaux et de parcs industriels, devenant ainsi l’un de nos pionniers en matière d’urbanisation sauvage. Bien qu’il n’ait probablement été ni le premier ni le seul responsable, on lui attribuait le mérite d’avoir popularisé les MacMaisons, le produit phare du nouveau marché immobilier.

CHAPITRE 1

— Conquérir le monde, décréta le vieillard, ça se fait au grand jour.

C’était le début de l’automne, une de ces belles journées ensoleillées où la lumière est pure, la brise caressante plutôt que mordante, l’air saturé des parfums de la nature. Au loin galopaient de splendides chevaux.

L’homme portait une parka matelassée ; de rares cheveux blancs dépassaient de sa casquette en tweed.

Son interlocuteur lui rendait presque une vingtaine d’années. Ses cheveux étaient gris ; il avait enfilé un manteau de cachemire par-dessus son costume, mais portait aux pieds, par souci de confort, des chaussures de sport genre cross-trainer.

— Les entreprises les plus susceptibles d’aboutir sont celles que l’on aura dissimulées à l’ennemi jusqu’au moment de leur exécution, répliqua-t-il.

Il avait marmonné cette phrase, et le vieux à la casquette ne la comprit que grâce à sa connaissance de Machiavel.

— On a beau garder sa tactique secrète, on ne peut pas cacher qu’on est en guerre.

— Et Pearl Harbor, alors ?

— Bah, grogna le plus âgé des deux hommes. On savait bien qu’on allait droit à l’affrontement avec le Japon, ou en tout cas on aurait dû le savoir. Ils essayaient de mettre le grappin sur toute l’Asie, et on les privait de pétrole. De pétrole ! Qu’est-ce qu’ils auraient pu faire d’autre ?

— Et les terroristes ?

— Il n’y a jamais eu le moindre doute sur ce que veulent faire Al-Qaida, le Hezbollah et tous les autres. Ce n’est pas un secret, ils le prêchent dans les mosquées, au coin des rues. Il faut bien que ce soit au grand jour pour qu’ils arrivent à convaincre les gens, à les recruter.

 Oui. Beaucoup, en fait. — Je veux dire, la vraie, avec des rimes ! a-t-il ajouté. Et quelque chose à dire ! — Du genre, « On peut causer de gin, cancaner sur la bière / Quand on est cantonné gentiment à l’arrière… » ? C’était un extrait de Gunga Din. Je suppose que mon choix avait été influencé, de manière presque inconsciente, par les œuvres complètes de Rudyard Kipling que je venais d’apercevoir sur les étagères – vingt-six volumes, pas moins, reliés en cuir rouge

La meilleure façon d’agir, tant qu’ils n’en viennent pas à la violence physique, c’est encore de faire mine d’entrer dans leur jeu. Stowe m’avait l’air d’appartenir à cette catégorie de personnages, et j’ai décidé de le traiter comme eux, en hochant la tête et en restant neutre, ni contrariant ni condescendant

Stowe était vieux, il avait l’air grincheux. — Où est Mme Lokisborg ? — Elle n’était pas disponible, ai-je répondu. Je suis le directeur du service informatique de la bibliothèque, et Mlle Whisthoven a pensé que vous jugeriez mes qualifications appropriées