Extraits

...mais le conte se termina quand même, sans qu'on s'y attendit, en cours de route, exactement comme un morceau de musique étrangère.

Fafhrd jura par superstition. Il pouvait toujours accepter la sorcellerie quand elle agissait contre lui, mais quand elle était en sa faveur, cela le gênait toujours.

Les prêtres qui soignaient l’Arbre de Vie, à Babylone, furent plus communicatifs. Un soir, juste après le coucher du soleil, ils virent les plus hautes branches qui bougeaient et entendirent le grincement d’un couteau à greffer. Tout autour d’eux, une totale absence de mouvement ou de bruit, une cité désolée d’où les habitants avaient fui en groupe pour gagner la Séleucie, trois quarts de siècle auparavant, et que les prêtres regagnaient dans le plus profond secret pour accomplir leur devoir sacré. Ils furent immédiatement prêts, les uns à grimper sur l’Arbre de Vie armés de leurs faucilles d’or, les autres à tirer avec des flèches à pointe d’or sur le blasphémateur, quel qu’il soit, qui apparaîtrait quand, tout à coup, une forme énorme qui ressemblait vaguement à une chauve-souris s’élança de l’Arbre et s’évanouit derrière un pan de mur. Il pouvait naturellement s’agir d’un homme vêtu de gris qui se serait balancé au bout d’une corde mince et solide, mais on parlait tant de toutes ces choses mystérieuses qui erraient la nuit dans les ruines de Babylone que les prêtres n’estimèrent pas nécessaire d’engager une poursuite.

Quelle fut exactement la cause qui provoqua la rupture entre le grand barbare et le mince Prince des Voleurs, et qui brisa leur amitié soudée par de si nombreuses aventures, nul ne le sut jamais avec certitude, et ce fut bien longtemps le sujet de toutes les conversations. Les uns dirent qu’ils s’étaient disputés au sujet d’une fille, d’autres soutinrent, ce qui était des plus invraisemblables, qu’ils avaient eu un désaccord sur le juste partage d’un lot de joyaux qu’ils avaient volé à Muulsh, l’usurier. Srith l’enrouleur de parchemins supposa que le froid survenu entre eux était surtout un reflet de l’inimitié surnaturelle qui avait autrefois existé entre Sheelba-au-Visage Aveugle, le mentor ès-sorcelleries du Souricier, et Ningauble-aux-Sept-Yeux, le guide tentaculaire et étranger de Fafhrd.

Le coupe-gorge Gis et la courtisane Très avaient regardé venir le brouillard par-dessus les toits pointus de Lankhmar, ce brouillard qui avait tout recouvert jusqu’à obscurcir le jaune croissant de la lune et l’arc-en-ciel du palais. Ils avaient ensuite allumé des torchères et avaient tiré des draperies bleues pour jouer à jeter leurs couteaux afin d’aiguiser leurs appétits avant un jeu plus intime mais à peine plus agréable.

Le serpent de brume la renifla un moment comme s’il était mécontent de ne plus trouver trace de vie, la frappant au visage, puis se déroula rapidement, suivant la même direction que le brouillard du fleuve, dans la direction des maisons nobles et du palais aux lanternes ciselées du Suzerain.

À part quelques éclairs rouges au sein de l’un d’eux, les deux brouillards semblaient exactement identiques.

Le roulement des tambours était sourd. On n’entendait que chuchotements et grondements. Tous ces bruits se mêlaient à une diabolique vibration qui menaçait de secouer la ville et le pays de Lankhmar, et même tout l’univers de Nehwon.