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Il prend une gorgée, ferme les yeux, la garde en bouche. Il aime cette sensation de picotement sur la langue. Il avale. Chaud, caustique, le liquide dévale son gosier, tel un reflux gastrique à l’envers.
Eugene a grandi durant la prohibition et chez lui, on buvait surtout de la gnôle de contrebande. De temps à autre, cependant, le père d’un copain se procurait sur ordonnance une bouteille d’Old Grand-Dad, dans laquelle tout le monde tapait ensuite pendant un jour ou deux. L’étiquette proclamait que ce bourbon était “sans pareil pour les usages médicaux” et même si Eugene ne voit pas au juste quels peuvent être lesdits usages médicaux – on le prescrivait tantôt pour la goutte, tantôt pour les maux de tête qu’elle avait causés –, il était et demeure convaincu que l’Old Grand-Dad est sans pareil pour les usages récréatifs. Il n’y a rien de meilleur qu’un bon bourbon. Il s’en offrira au moins trois autres avant de songer à quitter son tabouret bien chaud
Afficher en entierIl se redresse et rajuste sa cravate. Il jette un coup d’œil autour de lui. Presque tout le monde dans la grande salle le regarde en silence. Il reconnaît plusieurs personnes, des visages pâles pareils à des panneaux indicateurs exprimant la surprise amusée. Il sent à nouveau monter les larmes, mais il cligne des paupières, les réprime.
— Je suis certain que c’était un malentendu, monsieur Stuart, déclare Boykin. Je pense qu’il vaut mieux en demeurer là pour ce soir, mais vous serez le bienvenu à votre prochaine visite. Cinquante dollars en jetons vous attendront à la caisse.
— Je ne remettrai jamais les pieds ici, sale connard. Il ne s’agit pas d’un malentendu. Votre croupier est un arnaqueur. Un tricheur. Ça rejaillit sur vous. Sur vous et votre établissement. Alors, allez vous faire mettre. Allez vous faire foutre.
Teddy se racle la gorge et crache au visage de Boykin. Le crachat dégouline le long de la joue de celui-ci comme du blanc d’œuf.
Boykin tire son mouchoir et s’essuie. Il lance un regard derrière Teddy et hoche la tête.
Afficher en entierVoyez ce gosse : treize ans, en slip au bord de son lit, les pieds qui ne touchent même pas le sol. Ses chaussettes blanches pendillent comme deux sacs vides au bout de ses orteils.
Des mèches de cheveux inégales, coupées aux ciseaux de cuisine par sa mère, lui tombent sur le front. Une croûte, vestige d’une altercation avec un caïd de cour de récré, lui barre la lèvre du bas ; celle du haut est gercée parce qu’il ne cesse de se passer la langue dessus avec nervosité.
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